Ses parents ayant péri durant la guerre - son père à bord de son avion, sa mère sous les bombardements - Roger est recueilli par son grand-oncle, le révérend Réginald Wakefield, qui l’élève dans la foi protestante avec tout l’amour et la bienveillance possible, aidé en cela par Mrs Graham, sa gouvernante, également cheffe des druidesses de Craigh na Dun et voyante à ses heures perdues.
Un étrange univers dans lequel le jeune Roger puisera le goût du savoir, un sens moral particulièrement élevé, et une tendance à l’attachement aux valeurs un peu désuètes.
S’il est un personnage de la saga qui mérite qu’on s’attarde sur lui, c’est bien Roger Mackenzie !
De l’enfant timide, élevé par le révérend Wakefield à la mort de ses parents, au capitaine sous les ordres de Jamie Fraser à l’approche de la révolution américaine du XVIIIe siècle, il y a beaucoup à dire sur l’évolution du personnage.
Lorsque nous croisons Roger pour la première fois, il est ce petit garçon adorable et un peu effacé, jouant avec son avion et assistant, sans bien comprendre, au drame qui se joue devant lui lors de la réapparition de Claire après 3 ans d’absence inexpliquée.
Par Valérie Gay-Corajoud
Nous le retrouvons adulte en 1968, diplômé de l’université d’Oxford et l’un des plus jeunes professeurs du département histoire. Le révérend vient de mourir et le voilà à nouveau orphelin. On nous le présente comme un homme sensible, généreux et particulièrement érudit.
Nous l’abordons en premier lieu par le biais de son attachement à Claire et à Brianna sans savoir encore qu’il fait partie intégrante d’une histoire qu’il cherche tout d’abord à comprendre puis à compléter.
Epris de Brianna, il va l’accompagner dans sa quête d’une vérité pour le moins douloureuse sur la disparition de Claire et sur les raisons des disputes avec Frank qui en ont découlé.
Historien, il sait où et comment chercher. Il sait également que le poids du passé peut être difficile à vivre lorsqu’on est personnellement impliqué. Il prévient Brianna des risques d’en apprendre plus sur son histoire, mais jamais ne l’abandonne, même lorsque la réalité rend la situation tendue, voire dramatique. Il n’est pas homme à se défiler.
Il est également fin psychologue, permettant à Brianna et à sa mère de garder un lien pour que se tisse l’histoire passée et à venir. C’est lui qui encourage Bree à plus de patience afin d’entendre ce que sa mère a à dire. C’est lui qui donne le courage à Claire de parler. Il est l’entremetteur chaleureux et courageux dont elles avaient cruellement besoin.
Et puis, assez vite, il découvre qu’il est impliqué dans cet imbroglio temporel. Il est le descendant des MacKenzie par le biais des coucheries secrètes du chef de guerre Dougal MacKenzie et de la troublante Geillis Duncan, voyageuse du temps et intrigante jacobite. Ça décoiffe comme héritage, surtout pour un historien !
D’une certaine manière, cette vérité soudaine sur sa lignée semble plus simple à accepter par Roger que ne l’est celle de Brianna à propos d’un père Highlander mort sur la lande de Culloden 2 siècles auparavant.
Est-ce parce que Roger est orphelin et que l’idée d’en apprendre sur son passé prédomine sur la stupeur ? Est-ce parce que l’éducation de Mrs Graham a laissé en lui une part d’acceptation du mystérieux et de l’inexplicable ? Ou peut-être qu’il voit là le moyen de rester aux côtés de Brianna et d’avoir un rôle à jouer dans sa vie.
Nous n’avons pas le temps de nous attarder sur les raisons qui poussent Roger à s’impliquer avec autant de passion et de constance car les actions et les coups de théâtre s’enchaînent.
Alors bien sûr, nous venons de passer du temps avec les clans écossais à une époque où les qualités d’un homme se devaient d’être le courage, la force et la combativité.
En parallèle, Roger peut apparaitre comme faible, voire un tantinet agaçant, plus proche d’un Frank Randall que d’un Jamie Fraser. Mais dans le contexte présent, les qualités de Roger sont inestimables et Claire le confie à Jamie (lors de l’épisode "Adoration perpétuelle"), sans Roger, rien n’aurait été possible pour le retrouver à travers le temps.
Car en effet, tout s’accélère. Roger retrouve donc la trace de Jamie, et Claire s’en va à sa rencontre, laissant là sa vie, son métier, et sa fille, désormais orpheline. Peu de temps après il demande Brianna en mariage, mais elle refuse.
Il est donc seul, désœuvré, et dépositaire d’un savoir secret qui se tricote dans toutes les mailles du temps et dans lequel il se sent impuissant.
Mais finalement Bree traverse les pierres et s’en est trop pour Roger qui prend la décision de la suivre.
Alors on dira ce qu’on voudra, mais pour un petit professeur d’histoire, bien au chaud dans l’une des plus prestigieuses universités britanniques, ça vous pose un homme, non ?
Et c’est là que son calvaire commence.
Car oui… le cheminement de Roger est très certainement le plus douloureux qui soit !
Malgré les violences subies par tous les autres protagonistes, aucun n’a trouvé autant d’écueils sur son chemin que Roger MacKenzie, comme s’il fallait qu’il prouve, encore et encore, qu’il était digne d’être accepté par la famille Fraser… comme s’il fallait qu’il paye le prix fort pour les agissements passés de Dougal et Geillis.
Quoi qu’il en soit, tout commence par la traversée sur le bateau de Bonnet durant laquelle Roger rencontre son aïeule, Morag MacKenzie et où il va réaliser que la vie ne tient qu’à un fil, la sienne et celle des autres.
Puis il retrouve Bree, mais elle le repousse. Pourquoi ? Une bagatelle si l'on veut mon avis ! Cet homme qui vient de traverser 2 siècles et un océan pour elle, se fait remonter les bretelles parce qu’il a gardé secrète (quelques jours) l’annonce de la mort de ses parents 200 ans plus tôt ?! Cet homme qui a dû lui courir après parce qu’elle-même ne lui a rien dit sur le même sujet et sur ses projets ?! Cet homme sans qui rien n’aurait été possible ? La sentence est pour le moins cruelle !
Et pourtant il ne lui tourne pas le dos. Non. Toujours constant, il retourne sous la coupe d’un Stephen Bonnet terrifiant afin de retrouver des gemmes pour leur retour, à tous les deux.
Roger n’est plus le petit professeur d’histoire du XXe siècle. Il est déjà cet aventurier du XVIIIe et son amour pour Bree vaut largement celui de Jamie pour Claire. Il l’a prouvé par deux fois.
Pourtant l’histoire ne lui fera aucun cadeau car, faisant les frais de l’incompréhension des uns et du secret des autres, il est battu presqu’à mort par un Jamie furieux, vendu comme du bétail à une tribu d’indiens mal embouchés, trimballé sur pas loin de 1000 kilomètres à travers une forêt broussailleuse, frappé, humilié, enfermé, oublié. Beaucoup auraient jeté l’éponge, au minimum.
D’ailleurs, sa rencontre avec le père Alexandre Ferigault nous le montre amer et désabusé. Il ne sait pas encore pourquoi Jamie l’a massacré de la sorte. Est-ce parce que Bree le lui a demandé ? Il ne sait pas pourquoi il a été vendu. Il ne sait pas pourquoi il est ainsi maltraité. Il ne sait qu’une seule chose. Il souffre. Toute flamme en lui semble s’être éteinte. Dorénavant, ce qu’il veut, c’est survivre et retrouver le confort du XXe siècle. C’est possible ! Il a remarqué le cercle de pierres, il a une gemme. Rien ne peut l’en empêcher du moment où il parvient à s’échapper de sa prison.
Oui mais voilà. Il peut sauver le prêtre d’une mort lente et douloureuse. Il peut écourter cette agonie. Il peut faire le choix de l’humanité, de la compassion. Il peut encore sauver deux âmes… celle du prêtre et la sienne. Il lui suffit pour cela de faire marche arrière.
Et c’est là, précisément à ce moment, que s’impose la vraie personnalité de Roger. Il n’est plus d’aucun siècle précis. Il n’est plus dans une quête personnelle. Il n’est plus dans un cheminement linéaire et historique. Non, il est cet homme qui met en conformité ses croyances et ses actions.
Ce choix d’une vie contre la sienne, c’est comme s’il traversait d’autres pierres. Non pas les pierres du temps ! Mais celles de la foi.
C’est pour cet homme que Jamie et Claire risquent leur vie à leur tour. Et c’est pour cet homme que le jeune Ian échange sa place. C’est cet homme-là finalement, qui délaisse les pierres et retrouve Bree à 1000 kilomètres encore… et l’enfant qui sera le sien, il l’a décidé ainsi.
Roger est transformé. Ni plus savant, ni plus rayonnant, ni même, plus amoureux ! Mais Roger, entier, défini, comme s’il venait de clore un rituel de passage tribal menant l’adolescent à l’âge adulte.
Ses cicatrices courant sur son visage, ses yeux emplis de nouveaux paysages, son âme aguerrie, il est prêt pour la vie du XVIIIe siècle au sein des colonies, auprès de la femme qu’il aime…
N’aurait-il pas mérité que ce calvaire touche à sa fin ?
Mais Diana Gabaldon en a décidé autrement. Peut-être qu’à ses yeux, Roger devait encore faire ses preuves. Peut-être qu’ayant placé la barre si haut pour Jamie, il lui semblait important de montrer toute la valeur de son futur gendre. Allez savoir.
Car Roger MacKenzie, dit la grive, reste si peu adapté à l’époque et à la région dans laquelle il vit dorénavant. Ni chasseur, ni guerrier, ni même fermier… son seul réel talent, c’est sa voix avec laquelle il importe les chansons d’un siècle lointain. Il chante Roger, pour sa femme lors de sa nuit de noce, pour son fils aux yeux émerveillés, pour les Browns récalcitrants. Il chante pour les mariages et les enterrements. Comme personne, il chante. Cela pourrait suffire ! Mais bien sûr, pour Jamie, ce beau-père à qui il n’est pas simple de plaire, cela ne comptera jamais, d’autant que ce dernier n’entend rien à la musique et que Roger doit déjà se faire pardonner d’être presbytérien.
Il devient capitaine pourtant, non pas grâce à son talent, mais pour que Jamie puisse le protéger, il n’est pas sot au point de ne pas le comprendre. Il devient également enrôleur pour la milice coloniale, mais sa première décision est contestée. Il devient le père de Jemmie, mais Jocasta laisse entendre qu’il ne l’est que pour toucher l’héritage. Il y aurait de quoi tout abandonner, non ?
Il tient pourtant, encore et toujours, il tient.
Et c’est lors d’une mission dangereuse pour laquelle il s’est porté volontaire qu’il est frappé par son aïeul, le mari de Moragh, puis livré comme traitre à l’armée britannique, et enfin, pendu comme tel.
Le destin se joue de Roger avec autant de cruauté et d’injustice que les Dieux de la Grèce antique le faisaient avec les populations terrorisées.
Et c’est là que se pose le traumatisme de Roger alors qu’il reprend vie à Fraser’s Ridge.
C’est la corde autour de son cou bien sûr, ainsi que le sac par-dessus sa tête tout autant que la main glissée au dernier moment dans la corde ! Mais c’est surtout la solitude d’une souffrance injuste.
C’est comme le bout d’un chemin de croix qui l’accable plus que de raison et qui fait s’enfoncer sa voix en ses tréfonds.
Comme Jamie après Wentworth, Roger doit maintenant revenir des enfers par la simple force de sa volonté. Il doit retrouver la lumière qui pourrait donner un sens à toutes ses souffrances, car quand bien même le corps serait sauf, l’âme, elle, est toujours au bord du gouffre.
Ce sens, ça pourrait être l’incroyable expérience de l’élasticité du temps et de ce que cela représente pour un historien ! Ça pourrait être son attachement aux valeurs chrétiennes qui prônent l’importance de la vie. Ça pourrait être tellement de choses ! Mais au bout du compte, rien n’est plus important que cet amour qu’il éprouve pour sa femme. Sa femme pour laquelle il a tout risqué et pour qui, il revient, une fois encore, dans le monde des vivants.
Roger MacKenzie, devenu l’équivalent d’un Highlander finalement, exilé à travers l’espace et le temps, nommé Fils de la maison Fraser.
Roger Wakefield également, chrétien ayant accompli son chemin de croix à travers les montagnes abruptes de l’Amérique du nord jusqu’à sa crucifixion - ici remplacée par une pendaison -
Roger Mac finalement, ayant traversé les pierres jusqu’en enfer, ressuscité et revenu parmi les siens. D’ailleurs les pierres ne s’y trompent pas, puisqu’elles ne le laissent pas repartir.
Roger. Tout simplement.
Et cet homme qu’il est devenu, ayant trouvé sa place dans ce nouveau monde, va dès lors pouvoir jouer son rôle et s’inscrire dans l’histoire en marche.
Il sauve Jamie d’une mort atroce lorsque ce dernier se fait mordre par un serpent, le soignant, le veillant, le portant et en ayant l’idée de rapporter la tête du crotale avec lequel Brianna va pouvoir fabriquer une seringue de fortune.
Il permet à cette jeune fille hollandaise atrocement brûlée de mourir sans plus de douleur en l’accompagnant vers une fin rapide dans un geste plein d’amour et de compassion.
Il se tient aux côtés de Jamie lors du guet-apens contre Stephen Bonnet, puis rattrape ce dernier sur la plage et l’assomme, enfin, pour le remettre aux autorités.
Et finalement, il tue, pour Claire… faisant fi de ses croyances religieuses, de sa répulsion à la vengeance… parce qu’il a promis à Jamie d’être à ses côtés.
Au bout du compte. Roger, capitaine MacKenzie, est un homme accompli.
Pour les personnes qui n’ont pas lu les livres au-delà du tome 5, je m’arrête ici… Mais sachez déjà que l’évolution de Roger est loin de s’arrêter là !
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