Quatrième quête au pays d’Outlander :
Tom Christie : qui combat-il ? qui sort de cette chrysalide peu attirante ?
« Une nouvelle fois, un grand merci à Aurèlie d'Outlander addict et Valerie de Dinna Fash Sassenach, sans lesquelles la planète Outlander France ne serait pas aussi créatrice, généreuse, talentueuse et ouverte à tous.
Claire Doré et Fany Alice
Tom : - J'ai attendu toute ma vie, en quête de…Non, dans l'espoir. L'espoir de quelque chose que je ne pouvais nommer, mais dont je n'ai jamais douté de l'existence…
Je me suis convaincu que Dieu était ce que je cherchais. C'était peut-être vrai. Mais Dieu n'est pas fait de chair et de sang, et l'amour de Dieu à lui seul ne peut m'aider à vivre…
J'ai toujours rêvé d'un amour partagé. J'ai passé ma vie à m'efforcer de donner mon amour à des personnes qui ne le méritaient pas. Laissez-moi ce plaisir de donner ma vie pour quelqu'un qui le mérite. (T06-Ch. 97)
Comment s'insère l'intrigue autour de Tom Christie dans la saga Outlander ?
Fany Alice
C’est une intrigue qui se suffit à elle-même. D’une certaine façon, le tome 6 pourrait presque être lu seul, indépendamment des autres livres, tant il évolue en vase clos par la simple densité de son récit. À travers le personnage de Tom, l’auteure propose une parabole sur l’existence, son sens et sa place dans le grand mouvement des questionnements, doutes, actions et contre actions. Tom nous rappelle que nous sommes nos choix et que le déterminisme, qui nous construit et nous irrigue, n’est pas pour autant une donnée figée, immuable : il est friable, questionnable, au gré des événements et des rencontres.
Claire Doré
Pour nous lecteurs, le récit autour de Tom Chrisitie suit un processus cathartique. Comme tu le dis Fany, il nous rappelle le tragique de l’existence humaine. Son comportement exemplaire conforme à la morale publique est balayé par le désordre qu’introduit la passion. Tom Christie nous renvoie à des questions difficiles : comment supporter l’exil et la solitude ? Quel courage faut-il pour accepter un châtiment à la place d’un autre ? Quelle valeur vaut de perdre la vie ?
L’arrivée de Tom Christie avec ses enfants et sa communauté presbytérienne va disloquer le Ridge autour des Fraser. Tom est d’abord présenté comme rébarbatif, détestable. Il refuse toute joie, conforté par sa foi. Ce fervent pratiquant pense détenir la vérité, décourage le débat, suscite l’exaspération par son absence de doute. Son outrecuidance lors de son arrivée au Ridge est montrée dans la série par le fait qu’il frappe à la porte de cuisine, que l’usage réserve aux intimes, et non à la porte principale destinée aux invités. Puis son caractère complexe, compliqué, se découvre petit à petit, jusqu’à enfin nous laisser toucher par sa solitude et son cœur mis à nu. L'évolution de la relation de Tom avec Claire ajoute de la tension et de l'émotion au récit avec les thèmes de la perte, l'amour, la loyauté et du sacrifice dans l'univers d'Outlander.
Fany Alice
J’ajouterai une autre question : quel est le sens d’une vie, d’un point de vue éthique et moral, si un innocent paye pour le coupable et si le coupable reste, in fine, impuni ? La version télévisée est intelligemment construite sur ce fil conducteur : si on intègre le premier épisode de la saison 7, qui clôt la saison 6, le récit commence, physiquement, à Ardsmuir et s’achève, métaphysiquement, à Ardsmuir, avec le dialogue entre Jamie et Tom, juste avant la libération de Claire. Tout s’éclaircit dans les pensées de Tom qui résout ainsi l’incompréhension suscitée par le geste de Jamie dans le premier épisode de la saison 6. Ce qu’il n’a pas compris avec Jamie, il le comprend avec Claire.
Qui est cet homme austère ?
Claire Doré
Tom Christie est un homme profondément religieux, presbytérien. Sa foi est un aspect essentiel de sa personnalité. Lorsqu’il arrive à Fraser’s Ridge, il est une source de conflit avec les Fraser, il nourrit sa rancune contre Jamie depuis leur séjour à Ardsmuir. Tom et Jamie sont de culture opposée, Highlander contre Lowlander, catholique contre presbytérien. Jamie accepte la présence de Tom à Fraser’s Ridge par opportunisme.
Tom est un homme célibataire en charge de deux enfants, et c’est ainsi qu’il se retrouve à Fraser‘s Ridge, pour assurer leur existence, malgré son contentieux avec Jamie. Il pense les garder dans le droit chemin par le secours de la Bible et de l'Eglise. Sous des aspects de froideur et d’intransigeance, il essaie de faire au mieux pour vivre sa foi, pour maintenir sa communauté dans la crainte de Dieu. Pour lui, être un serviteur de Dieu, consiste à s’interdire tout plaisir. Cet homme a beaucoup souffert : la prison anglaise, la servitude et l’exil. On apprendra que sa femme Mona a séduit son frère puis l’a tué, qu’elle a été pendue comme sorcière. Sa vie sans joie respectueuse des percepts de son Église ne va cependant pas donner de résultat positif.
Fany Alice
C’est un homme frustré ! Il n’est reconnu ni comme chef, ni comme père ni comme époux. Il a échoué sur les trois piliers qui fondent le respect d’un homme à cette époque. Jamie dégage une autorité naturelle et une confiance qu’il sait ne pouvoir égaler ; sa fille est, selon les propres propos du père, la réplique de la mère exécutée, son fils est sournois et poltron ; quant à l’adultère dont s’est rendue coupable son épouse, il est la tâche honteuse de sa virilité contestée jusque dans son lit. Malgré cela, et peut-être à cause de cela, c’est un homme bon, moral, étranger aux superstitions et soucieux de droiture.
Jamie et Tom : une transposition du traditionnel antagonisme biblique entre le bien et le mal ?
Fany Alice
Lorsque j’ai lu le tome 6, je n’ai pas perçu d’emblée que Tom n’était pas « un méchant », destiné à prendre la relève après les Randall, Bonnet et Brown. Dans Outlander, le mal est omniprésent et les héros, qui sont eux-mêmes imparfaits, combattent sans cesse en questionnant la valeur de leurs actes. Tom s’inscrivait naturellement dans cette lignée d’épreuves, par sa suspicion, sa jalousie, sa mauvaise humeur, son intransigeance. Mais j’ai fini par considérer que la personne à laquelle il fait le plus de mal, c’est lui-même, et que sa violence, essentiellement verbale ou mentale, est avant tout une colère contre sa personne.
L’antagonisme dans la Bible, c’est la dualité entre le bien et le mal, qui s’exprime sous bien des formes. Ici, je dirai que le personnage de Job est celui qui nous éclaire probablement le plus sur la personnalité de Tom. Job subit une pluie de malheurs, alors qu’il se considère intègre et vertueux, et fait l’amère expérience du mal. Malgré cela, il a toujours foi en Dieu et clame son innocence. Il ne trouvera jamais l’explication sur l’origine du mal, mais il obtiendra une autre réponse : le mal frappe aussi les hommes justes et innocents. Inconcevable, au premier abord, pour notre pauvre Tom persuadé que les cicatrices de Jamie sont nécessairement l’expiation d’un solide péché ! Et si le mal aidait à rendre meilleur les innocents ? Si le mal n’était plus seulement une punition pour le pécheur mais une épreuve pour le Juste ?
Claire Doré
Jamie est du côté du bien et il apparaît comme la victime des Christie. Alors que Tom est d’abord vu comme une cause du mal, il est désigné comme le porteur de la jalousie et de la rivalité.
Tom et Jamie pourraient être des frères ennemis. Ils ont des traits de caractère semblables : leur éducation, leur intelligence, leur ténacité, leur sens du devoir envers leur famille et leur communauté.
Mais à Jamie échoit la préférence divine, avec une destinée extraordinaire : il est beau et aimable, il conduit ses hommes à travers les épreuves avec la récompense de la réussite, la présence d’une femme et d’enfants aimants. Conscient et responsable de ses actes, acceptant le don de soi, il se conforme à ce qui est le bien dans la tradition biblique : même le mal qu’il occasionne est offert comme un sacrifice de lui-même à Dieu. Il aime les autres et s’en fait aimer.
À Tom, échoit la condamnation à l’errance solitaire, au dur labeur, la multiplication des obstacles qui le privent de toute jouissance, et un physique ingrat peu attirant. Aux yeux de Tom, qui se conforme aux préceptes de son Église, le choix divin demeure énigmatique, voire injuste, il l’atteint au vif.
Tom a survécu à l’emprisonnement dans la certitude d’être meilleur que les autres. Il est persuadé que les highlanders avec lesquels il était enfermé à Ardsmuir sont des hommes dont les vices les ont menés là où ils sont. Il ne comprend pas que cet emprisonnement et ces châtiments inhumains sont inhérents au système de coercition anglais contre les highlanders. Il accepte l’ordre, les lois et la justice établis par les Anglais. Il pense que les cicatrices de flagellation de Jamie sont dues à une condamnation forcément méritée, pour des actes déshonorants, vol ou rapine. Tom sait que Jamie a tué le gardien de prison sadique Murchison, ce qui le conforte dans l’idée que Jamie est, au fond, un barbare.
Les peurs de Tom l’empêchent d’aller vers les autres, et bien que bon et moral, il ne peut se faire aimer, toute manifestation d’amour est source de péché. L’offrande de Tom à Dieu est une demande d’amour qui se trompe de destinataire. Dieu lui renvoie son silence. Ce qu’il expérimente douloureusement, à Ardsmuir, c’est la blessure causée par l’irruption de Jamie, qui le déloge de sa place et la confisque à son profit. Et le sacrifice de Jamie acceptant la flagellation injuste provoque en lui une confusion, dans un monde vidé de sens et de certitude.
De cet écroulement de ces certitudes ne peut émerger qu’un violent désir de destruction, soit de lui-même, soit de Jamie. Quand Tom arrive au Ridge, son désir inconscient est de le voir voler en éclat. Il doit trouver sa propre place à côté de Jamie non plus en termes de « moi ou lui », mais « moi et lui ». Ce basculement va s’opérer par Claire. Tom, accablé par les conséquences des actes de ses enfants, va se condamner lui-même ; son châtiment pris à la place de celui de Claire exprime une culpabilité sacrificielle, une expiation.
Fany Alice
À la lecture de ta transcription précise des traits de caractère et des aptitudes de Jamie et Tom, j’ai tendance à considérer que Jamie aurait pu avoir une vie proche de celle de Tom, s’il n’avait pas connu Claire. Peut-être est-ce là ce que les scénaristes ont voulu instiller lorsqu’ils ont fait dire à Jamie, face à Brown, que la seule bonté dont il est irrigué lui vient exclusivement de sa femme ?
De quel danger se préserve Tom Christie en n’étant attiré que par des femmes impossibles ?
Claire Doré
Tom n’a eu que des amours impossibles, c’est ce qu’il dit à Claire : « J’ai aimé trois femmes dans ma vie. La première était une sorcière et une putain ; la deuxième n’était que putain. Il se peut que vous soyez une sorcière mais peu m’importe. L’amour que j’ai pour vous m’a conduit au salut et à ce que je pensais être la paix intérieure tant que je vous croyais morte. Je ne connaîtrai pas la paix tant que tu vivras, femme. Ce qui ne signifie pas que je le regrette ». T07-Ch 19
Les propos de Tom à Claire sur sa femme et sa fille sont un début de réponse : « Sa mère Mona était pareille. Il lui fallait tous les hommes. Elles portaient toutes les deux en elles la malédiction de Lilith ». T06-Ch 97
Qui est Lilith dans la Genèse ? Lilith était la première femme d'Adam, qu’elle abandonne rapidement parce qu'il ne la traite pas comme son égale et refuse de s'allonger sous elle pendant les rapports sexuels. Elle le quitte et prend des démons comme amants. Dieu crée une seconde épouse plus obéissante, nommée Eve, et punit Lilith en faisant mourir cent de ses enfants par jour. Lilith est une figure de sorcière dépravée, démon nocturne aux cheveux longs et relâchés (on retrouve le malaise de Tom envers les cheveux de Claire). Dès lors, Lilith apparaît comme un symbole de la nature féminine démoniaque menaçante. Tom Christie a désiré une sorcière, une femme interdite.
Puis Tom s’est confectionné une carapace pour ne pas se laisser atteindre au risque de souffrir encore. Sa vénération de Dieu lui permet de se réfugier loin de ses échecs amoureux. Le besoin de tendresse, de partage… : il ne veut pas le ressentir. Même à Ardsmuir, il accepte la solitude, conforté par son Dieu. Mais son refuge religieux n’est pas assez solide. Tom va rencontrer Claire.
Tom considère Claire d’abord comme une femme impossible qui devrait corriger son attitude. Il ne comprend pas la nature rebelle de cette femme, n’en voit que le danger. Au fond, ce dont Tom a peur, c’est de l’autre sous plusieurs formes, femme, catholique, highlander…Mais cette peur s’enracine dans une peur plus fondamentale encore, liée à un débordement incontrôlé de la sexualité, qui brûlerait l’être d’un coup, le condamnant à l’enfer.
Claire est la première à lui témoigner de la sollicitude, elle ne se laisse pas intimider par les barrières qu’il a érigées autour de lui. Cette femme forte qui n’a pas peur de bousculer un homme, va le déstabiliser. Son intégrité lui fera reconnaître son attirance, puis son amour. Mais cet amour est idéalisé, sans espoir. Tom se met encore une fois dans une histoire d’amour impossible, s’interdisant toute réciprocité, répétition d’un même symptôme, condamné à l’insatisfaction perpétuelle.
Ce n’est pas qu’il n’a pas eu de chance en ne rencontrant pas la bonne personne à aimer, c’est qu’il ne peut qu’aimer des personnes impossibles. Il est fasciné par celles qu’il ne peut dominer ou contrôler : celles qui ont un autre pouvoir que le sien, qu’il ne peut comprendre faute de vouloir les connaître.
Jamie a bien cerné le problème de Tom, il en parle à Claire après le baiser de Tom à Claire :
« – Le problème de Tom Christie, reprit-il, c’est qu’il te veut, de tout son cœur, mais qu’il ne sait rien de toi… Je ne t’ai jamais embrassée sans savoir qui tu étais… et c’est une chose que ce pauvre Tom ne connaîtra jamais ». T07-Ch 19.
Autant Jamie a su rebondir dans son exil avec et grâce à Claire, autant Tom ne s’est jamais mis dans la situation de trouver une âme sœur qui l’aime et le comprenne pour adoucir sa vie.
Fany Alice
Comme c’est commode l’inaccessibilité ! Cela évite de souffrir, de se remettre en cause, et de vivre, tout simplement ! Tom vit dans la peur continuelle d’être rejeté ou trahi. Pour mieux justifier sa solitude, il occupe son temps et son esprit à dénicher le mal et la perversité en n’importe quel être humain, et avant tout en la femme, dont la vision est très binaire à l’époque : prude ou prostituée, chaste ou débauchée, vertueuse ou libertine. Il aurait pu réciter les vers de Phèdre : « Tout m’afflige et me nuit et conspire à me nuire ». N’est-il pas douillet et ultra-sensible à la douleur ? Douleur physique certes, mais douleur de vivre avant tout…. Et au travers de cette ultra sensibilité au toucher, on devine aisément la peur diffuse en Tom : celle de céder sous la caresse, de ne plus rien contrôler, de s’ouvrir à des sensations inconnues, et, finalement, d’abandonner une part de soi à l’autre, la femme, grâce à laquelle on s’apprivoise autrement.
En quoi sa rencontre avec Claire symbolise-t-elle un tournant pour Tom Christie ?
Fany Alice
Je commencerai par la fin : Tom livre son amour à Claire bien qu’elle soit inaccessible puisque mariée et amoureuse. On pourrait penser que, là encore, il rejoue la scène traditionnelle de l’inaccessibilité, tombe dans la facilité d’avouer un amour qui ne lui coûtera rien en termes de renoncement à ses certitudes ou son mode de vie, ses habitudes de vieux solitaire muré dans ses interdits. Il n’en est rien. Car, Tom prouve son amour. Le sacrifice de sa vie (on peut en effet craindre pour lui la pendaison) est l’évidence du basculement de sa condition et de sa conversion à l’amour. Il est désormais prêt à accepter l’altérité dans sa vie, avec tout le grand chambardement que cela peut occasionner en lui.
Claire Doré
Quand Tom rencontre Claire, il n’est pas étonné que Jamie, meneur d’homme, ait une épouse de la même trempe. Ce qu’il ne comprend pas, c’est un couple amoureux où l’homme et la femme ont une relation égalitaire.
Il a d’abord peur d’elle, de sa féminité (la nuit après l’opération), même un toucher médical le met mal à l’aise. Comprendre qu’il peut être touché lorsque Claire lui opère la main, va le dépouiller de ses défenses, et laisser croître un sentiment qu’il ne peut réprimer car trop longtemps contenu, l’amour dont un homme a besoin pour vivre. Ne plus avoir peur des cheveux déliés de Claire, symbole d’indépendance et de féminité, pour enfin s’avouer qu’il l’aime, révèle ses combats intérieurs. Claire va obliger Tom à se sentir vivant, va le toucher au cœur. Il faudra des circonstances exceptionnelles pour avouer son amour. Et il agira en conséquence, sans risquer un refus, ni de Claire ni de Jamie. Vouloir protéger Claire au prix de sa propre vie le rend aussi valeureux que Jamie, qu’il jalouse et admire. Sa vie jusque-là menée pour étouffer tout élan du cœur va enfin trouver une sorte de joie.
Tom nous renvoie à nos craintes, à une vie qui tient du mauvais rêve. Resterions-nous en retrait en priant ou prendrions-nous le risque de la douleur, voire de la mort, pour donner du sens à la vie ?
Fany Alice
Cela dépend en grande partie des circonstances, d’après moi. Si je veux rester fidèle à la puissance de l’amour, telle que la décrit D. Gabaldon, je dirais que c’est le sentiment le plus intense, celui ouvre toutes les vannes vers l’inconnu et transcende les interdits intimes.
Claire Doré
Tom comprend que Jamie fait ressortir le pire en lui : sa jalousie et sa peur de la douleur. Il est jaloux d’un Jamie qui prend l’ascendant sur tous les hommes d’Ardsmuir en les fédérant, en leur apportant des soins grâce à sa relation avec le gouverneur et l’évasion par les livres racontés de mémoire.
Jamie lui rappelle involontairement sa peur de la douleur, et il lui en veut aussi pour cela. En acceptant d’être fouetté à la place d’un faible pour le port prohibé d’un morceau de tartan, Jamie l’a mis face à ses propres lâchetés, en lui montrant qu’un homme pouvait se révolter avec courage contre les règles édictées par les Anglais. Tom comprend ce que coûte la position de chef dans cette terrible prison, lui qui prétendait l’être avant que Jamie ne le supplante auprès des hommes : au point que son orgueil blessé le pousse à montrer à Jamie que lui aussi peut endurer la souffrance physique d’une opération de la main sans anesthésie, grâce à la force de sa foi. Aussi, en dépit de sa peur du sang (il avait même vomi à la vue du dos écorché de Jamie à Ardsmuir), il a le courage d’affronter la douleur. Jamie Fraser n'est pas un concurrent facile pour un simple mortel, pas éduqué à devenir guerrier. Jamie tire Tom vers le haut sur leur difficile échelle de valeur.
Le courage que Tom n’a pas eu à Ardsmuir à la place de Jamie, il va l’avoir pour Claire. Le déclic est la mort de Malva qu’il n’a pas pu sauver des traces maléfiques de sa mère. Son désir d’expier le rôle qu’il a joué dans la situation où se retrouvent Claire et Jamie, le pousse à se mettre au service de Claire et par là même de Jamie. Incapable de repousser la passion qui l’anime pour Claire, il l’accepte. Cet homme vertueux se retrouve paradoxalement dans une situation de condamné à mort, non à cause de ses vices, mais par choix. La passion balaye une existence de conformiste. Il se hisse à la hauteur de son destin, rachetant tous ses échecs.
Le récit de Tom Christie, dans sa révélation à lui-même, dans la recherche de son estime de soi, a un effet cathartique. Tom nous renvoie à nos propres lâchetés, la tentation de l’isolement. Nous serions-nous dénoncés à la place d’un faible pour le tartan à Ardsmuir ? Quant à choisir de mourir par amour… Ne plus subir mais devenir acteur de sa propre vie demande du courage. Aurions-nous ce courage ?
Quelle est la singularité de Tom Christie par rapport à tous les autres personnages d'Outlander ?
Fany Alice
C’est un homme bon qui paraît méchant. C’est un homme malheureux qui paraît heureux. C’est un homme fort qui paraît faible. Il est ambivalent, bien décrit sous la plume de l’auteure, bien interprété par l’acteur. Un ours, mal léché et nounours à la fois. Il est celui dont on se passerait bien dans les premières scènes de la saison 6, tant on pressent qu’il draine le pire avec lui, et qui se révèle indispensable pour le dénouement et la libération de nos héros.
Claire Doré
Pour moi, l’intervention de Tom a un « effet Papillon ». Cette théorie prétend que si l'on pouvait retourner dans le passé et changer quelques détails de notre vie, tout ce qui en découle serait modifié. Tom publie une nécrologie pour laisser une trace du couple Jamie-Claire qu’il a aimé et ce faisant, déclenche un effet papillon. Effectivement, si Tom n’avait pas fait paraître cette annonce, découverte au XXème siècle par Roger et Brianna, alors pas de voyage dans le temps pour eux, pas de rencontre avec Jamie, pas de petits Jemmy et Mandy…vertigineux ! Merci Tom.
Fany Alice
Oui, merci Tom ! Et, une fois la chrysalide devenue papillon, sa vie devient éphémère, condamnée. Mais, alors, quel insecte de toute beauté, n’est-ce pas ?
Claire Doré
Un bel envol de cette chrysalide peu attirante…Grâce à l’annonce dans le journal faite par Tom, la place de Jamie et Claire n’est non seulement pas effacée, mais elle est inscrite dans la mémoire collective comme sur une stèle. Le nom des Fraser demeure pour l’éternité, ils sont réintégrés dans l’Histoire par Tom en reconnaissance de leur humanité.
À la lumière des échanges ci-dessus, a-t-on encore le droit de ne pas aimer Tom Christie ?
Fany Alice
Le passé qu’il offre de lui est détestable. Une part de ce qu’il offre de lui au présent demeure détestable. Je parle de l’époux rigide, autoritaire et insensible qu’il a probablement dû être. Je pense au père sévère et peu affectueux qu’il est. Je pense au juge implacable de ses semblables qu’il est parfois par moments. Une vie est un ensemble. La fin peut-elle racheter les flots d’erreurs et de regrets ? Suffit-il d’une action pour faire disparaître toutes les autres ? En mettant un point final à la présence de Tom Christie quelque temps après la libération de Tom, l’auteure laisse à chacun le soin d’y répondre, spéculant sur la conversion de l’homme, si elle durera ou s’il finira relapse. Pour ma part, je pense que la perte de ses deux enfants consolidera son repentir. Il reste un homme fondamentalement pétri d’expiation.
Claire Doré
Personnage complexe, à la fois insupportable et fascinant, il suscite l’indignation, puis la compassion. L’exclusion est son lot : Tom condamné et déchu de son statut de gentilhomme, écarté par les hommes d’Ardsmuir, trompé par sa femme, par son frère puis ses enfants. La compréhension de Claire à son égard met fin au rejet qu’il a subi toute sa vie. Il suffit de peu pour qu’il se dévoile et dédie sa vie à cette femme. Ce besoin de dévotion à celle qui le voit au-delà des apparences le rend touchant.
Une vie bien perdue, une vie qui vaut la peine d’être perdue, ne prend son sens et sa valeur que par sa fin. Sa vie ne devient parfaite que parce qu’il veut la perdre par amour. Il peut mourir heureux pour une femme qu’il aime. Il devient aussi romantique que Jamie qui avait accepté de perdre Claire à Culloden pour la sauver. Son sacrifice le rend-il plus aimable pour autant ? Aura-t-il plus d’empathie envers les autres ? Comme tu le remarques Fany, l’auteure efface ce personnage de la suite du récit, il restera à jamais le mal-aimé.
Ce qui ne nous détruit pas nous rend plus fort : en quoi la passion de Tom Christie le libère-t-il ?
Claire Doré
Tom, en révélant à Claire son amour et la tragédie de ses relations avec ses femmes et ses enfants, a été enfin honnête sur ses sentiments et est devenu un être libre. Il découvre qu’il a eu beau aimer et prier comme le dictaient l’Eglise et la société, il n’a pas trouvé de paix et que pire, il a totalement échoué avec les enfants dont il était responsable. Après son sacrifice pour Claire, il s'amende en aimant comme il s’y autorise maintenant, bénissant l’existence de la femme aimée car elle est pour lui la joie du monde. Tom ose enfin affronter son moi le plus profond pour donner un sens à sa vie. Aimer une femme, c’est aussi pour cet homme de foi, aimer Dieu. Il y trouve de la joie, mais pas encore la paix quand il apprend que Claire est vivante mais à jamais inaccessible. Claire figée dans la mort est plus facile à aimer que claire vivante, un nouveau combat s’annonce pour lui.
Il ne s’appelle peut-être pas Christie par hasard : avec un nom pareil, son destin est tracé par D. Gabaldon.
Fany Alice
Effectivement, la similitude de son nom avec Saint-Thomas, l’apôtre qui doute et ne croit que ce qu’il voit, m’a frappée dès les premières pages. Il symbolise l’incrédulité religieuse, le questionnement permanent, et aurait fini… martyr.
Tom a résolu l’énigme d’Ardsmuir, il a compris qu’un homme bon fait ce qu’il doit, indépendamment des conséquences et que le sacrifice pour ceux qu’on aime, qu’il s’agisse des hommes dont on est le chef, ou la femme qu’on chérit, est un puissant catalyseur de vertu pour l’auteur du sacrifice.
Claire Doré
Tom ne voyait Dieu que comme une instance sévère et qui punit, et sombrait dans la tentation de l’autodestruction. Tom émerge de sa surdité aux autres et de son indifférence quand il peut entendre Claire qui l’écoute et lui parle. Cette parole lui permet de se situer dans un avenir possible. Il canalise son anxiété et sublime son instinct de mort en allant vers un sacrifice qui est paradoxalement le manifeste d’une victoire de la vie sur les pulsions destructrices.
Peut-on parler de la mort des enfants Malva et Alan comme d’une malédiction ?
Claire Doré
Tom s’est interdit la violence malgré sa haine de soi et sa non acceptation des autres. Ce sont ses descendants qui vont, eux, commettre les meurtres, basculer du côté du mal. Son fils et sa fille (sa nièce) commettent meurtres et inceste sans maîtriser leurs pulsions. La descendance de Tom ne tiendra aucune promesse de rédemption, le mal non seulement s’emparera du cœur de ses enfants, mais par eux le Ridge entier s’emplira de violence. Mais pour quelle faute originelle s’étend cette malédiction sur la descendance maudite des Christie ? Si Tom se sent coupable, on ne saura pas quelle malédiction le poursuit. Rien n’indique dans le texte de D. Gabaldon de quelle nature est le « tort originel » que se reproche réellement Tom, est-il le mauvais fils ? Nous ne savons rien de son enfance, de ses parents. Sa filiation est abolie dans le sang. Pas de happy end pour Tom.
Fany Alice
C’est, en quelque sorte, un sacrifice qui l’aidera à faire un choix éthique et moral comme il n’en a jamais fait : sauver Claire. Sans inceste, sans passion destructrice du frère pour la sœur, sans pulsion morbide de Malva, Claire n’aurait pas été précipitée sur l’échafaud.
Claire donne à Tom un mauvais conseil de lecture, Histoire de Tom Jones de Henri Fielding, livre immoral pour un puritain. Un conseil de lecture pour Tom Christie ?
Claire Doré
Le bonheur en 15 leçons…humm, Tom Christie n’a aucun humour ! Alors, pour un conseil sur le bonheur, je lui ferais lire la Lettre à Ménécée d’Épicure. Épicure identifie quatre grandes craintes qui empêchent l’homme d’être heureux : la crainte des dieux, la crainte de la souffrance, la crainte de n’être pas heureux, et la crainte de la mort. Si Tom l’avait su plus tôt !
Fany Alice
Si Tom avait vécu quelques dizaines d’années plus tard, je lui aurais conseillé Lettres à un jeune poète, de Rilke. J’aimerais qu’il comprenne que devenir soi-même prend du temps et que seule compte la délivrance, peu importe qu’elle soit tardive.