Tome 6
Par Carolyn Garcin
J’ai une affection particulière pour ce sixième tome d’Outlander. Il représente pour moi le dernier moment (relativement) stable avant la fin d’un cycle, une certaine époque à Fraser’s Ridge où la famille est encore en très grande partie réunie. Brianna et Roger, puis Fergus et Marsali partiront bientôt eux aussi, comme Ian sera à son tour emporté vers d’autres horizons.
Mais pour l’instant, ils sont tous là, présents dans cette unité de lieu. Ce qui n’empêche pas les épreuves et les douleurs.
La nuit de Wentworth, traumatisme permanent
Diana Gabaldon a ce talent remarquable de continuer son récit sans jamais oublier les débuts de l’histoire. Je crois que c’est ce qui participe à lui donner cette authenticité. Elle n’enchaîne pas les épisodes, elle ajoute au contraire à chaque fois une couche supplémentaire qui modifie la perception des événements passés, ou les sédimente différemment. Comme dans nos propres vies, les faits passés ne changent pas, mais notre regard évolue à leur sujet au fil du temps, par nos apprentissages et notre expérience.
L’exemple le plus puissant demeure à mon sens la nuit de Wentworth. Ce traumatisme extrême reste régulièrement évoqué par Jamie sous différentes formes au cours des 8 tomes :
*tome 2 / il y a sa lente reconstruction en France, ses cauchemars terrifiants et son long retour vers Claire
* tome 2 (chapitre 33) / Jamie se confie à son beau-frère Ian, après avoir failli le tuer une nuit, Ian l’ayant enlacé par mégarde dans son sommeil :
« J'étais tellement fatigué que je me suis endormi aussitôt, et je suppose que Ian aussi. Cela fait cinq ans qu'il dort toutes les nuits avec Jenny et ils ont l'habitude de dormir blottis l'un contre l'autre pour se tenir chaud. Enfin... au beau milieu de la nuit, profondément endormi, il a passé un bras autour de ma taille et m'a embrassé dans le cou. Je me suis réveillé en sursaut, croyant que c'était Jack Randall. (…) Je me suis retourné et lui ai envoyé mon poing en pleine figure. Le temps que je reprenne mes esprits, j'étais assis à califourchon sur lui, en train de l'étrangler. Il était déjà tout bleu, la langue dehors. Ça a été un choc aussi pour nos hôtes, les Murray, qui en sont tombés du lit. Je leur ai dit que j'avais fait un cauchemar. (…) Le lendemain, nous sommes repartis sans échanger un mot. J'ai attendu qu'on arrive dans un endroit tranquille (…) et puis... je lui ai tout raconté, à propos de Jack Randall et de ce qui s'était passé. (…) Je n'en avais jamais parlé à personne d'autre que toi. Mais Ian... il est comme un frère pour moi. (…) Il... représente cette partie de moi qui est enracinée ici, qui n'est jamais partie. J'ai pensé que je devais le lui dire. Je ne voulais pas que cela nous sépare, que cela me sépare de ma terre, tu comprends ? (…) Au début, quand j'ai commencé à lui raconter, il se contentait de secouer la tête d'un air incrédule, mais quand il a vraiment compris ce qui s'était passé,(…) Il serrait les poings et il était livide. Il répétait sans cesse : « Mais comment, Jamie ? Comment as-tu pu le laisser te faire une chose pareille ! » (…) Il a fini par se taire et écouter la fin de mon histoire. Tout à coup, je n'ai pas pu continuer. J'ai compris que ça ne servait à rien. (…) On a chevauché longtemps, et j'ai entendu un petit bruit derrière moi. Je me suis retourné et j'ai vu qu'il pleurait. Il a surpris mon regard et a d'abord pris un air furieux. Il s'est ravisé et m'a tendu la main. Il m'a serré si fort que j'ai cru qu'il allait m'écraser les os. Après quoi, il m'a lâché et on est rentrés à la maison. »
*tome 3 (chapitre 11) / lorsque Lord John pose sa main sur la sienne un soir à Ardsmuir, dans une déclaration silencieuse, Jamie lui dit simplement « Enlevez votre main ou je vous tue ».
*tome 3 (chapitre 62) / lorsqu’il soutient Petit Ian qui lui raconte son agression par Geillis
*tome 4 (chapitre 47 Le chant du père) / lorsqu’il apprend l’agression et la grossesse de Brianna, Jamie avance qu’elle pourra dépasser ce traumatisme si le viol n’était pas « personnel », ce que Claire ne comprend pas.
« Tu m'excuseras, Sassenach, mais j'en connais sacrément plus sur la question que toi. (…) J'essaie de t'expliquer ce que je sais, reprit-il. (…) Je n'ai pas pensé à Jack Randall depuis un bon moment, dit-il enfin. Je ne veux pas le faire maintenant. Mais c'est là. (…) Il y a le corps, Sassenach, et puis il y a l'esprit. Tu es médecin, tu connais bien le premier. Mais pour moi, le second est le plus important. (…) Randall - la plupart des choses qu'il m'a fait subir, j'aurais pu les supporter, poursuivit-il d'une voix songeuse. (…) J'aurais eu peur, j'aurais eu mal, j'aurais eu envie de le tuer, mais j'aurais pu aussi continuer à vivre sans toujours sentir ses mains sur mon corps, sans me sentir souillé. Mais il ne pouvait pas se satisfaire de mon corps. Il lui fallait mon âme aussi... et il l'a eue. (…) Mais bon, tu sais tout ça (…) Ce que j'essaie de dire, c'est que... si cet homme n'était qu'un inconnu qui ne l'a prise que pour un moment de plaisir... s'il n'en voulait qu'à son corps... alors je pense qu'elle guérira. (…) Mais s'il la connaissait, s'il était assez proche pour la vouloir, elle, plutôt que n'importe quelle autre femme, alors il a peut-être blessé son âme et lui a fait un mal difficilement réparable. »
* tome 4 (chapitre 48 ) / lorsqu’il démontre à Brianna qu’elle culpabilise inutilement car elle n’aurait pas pu résister physiquement à Stephen Bonnet.
« Mais toi… reprit-elle après un moment. Tu aurais pu te défendre contre Jack Randall. — C’est vrai, je l’ai laissé faire. J’avais promis sur la tête de ta mère. Je ne le regrette pas. »
*Tout au long des années, et dans les tomes suivants encore, ses cauchemars demeurent et Claire ne peut le réveiller qu’avec une infinie précaution. Ce sujet revient aussi parfois dans leurs interminables discussions, car il est un élément incontournable de son parcours de vie.
*Plus tard toujours, le réactionnel à ce sujet ne faiblit pas, et John Grey en fera la cuisante expérience.
*Pour revenir à La neige et la cendre, le traumatisme ressurgit en miroir lorsque Claire est agressée à son tour, et nous revenons au thème de la possession.
La sauver, la ramener, la posséder de nouveau au plus vite, par peur de la perdre
Lorsque Claire est soudainement enlevée, puis violée, Jamie affronte le défi de la ramener au plus près de lui, dans tous les sens du terme. Hanté par l’écho à sa propre histoire, sa plus grande terreur est de la perdre, comme il a failli s’éloigner d’elle par le passé.
Le parallèle est explicite : chacun a sauvé d’abord l’autre en l’extrayant physiquement de sa captivité. Mais cela n’a pas suffi.
Après la nuit de Wentworth, réfugié à l’abbaye, malgré les soins, Jamie souhaite mourir. Leur distance paraît infranchissable : « Je t'aimerai toute ma vie, reprit-il enfin. Mais je ne peux plus être ton mari et je ne saurais être autre chose pour toi. Je te désire tellement que j'en tremble, mais... mon Dieu, aidez-moi... j'ai peur de te toucher ! »
Lorsque Jamie affirme à Claire la nécessité de faire l’amour sans attendre, il le présente d’abord comme l’opportunité d’être le géniteur d’un enfant si elle était enceinte. Il l’a déjà confié auparavant à Roger. Seulement, Roger perçoit une autre raison : « Ce n’était pas le risque qu’elle soit enceinte. C’était la peur… mais pas d’une grossesse. La peur qu’avait Jamie de la perdre, qu’elle s’en aille, qu’elle se réfugie dans un espace sombre et solitaire, sans lui, à moins qu’il ne parvienne à l’attacher à lui, à la garder à ses côtés. Mais, mon Dieu, c’était courir un tel risque… avec une femme tellement meurtrie et violentée. Comment pouvait-il le courir ? Pouvait-il ne pas le prendre ? »
Claire mesure à son tour cette peur de Jamie lorsqu’elle pense brusquement au risque médical et qu’elle lui dit maladroitement : « Me faire l’amour ? Quoi… tu veux dire… maintenant ?
– Eh bien… euh… oui. (…) … parce que ça me semble nécessaire. (…)
– Mais quand bien même… tu ne peux pas, Jamie.
J’aperçus une lueur effrayée dans son regard. Soudain, je me rendis compte qu’il s’agissait précisément de sa plus grande frayeur. »
30 ans plus tôt, elle l’a sauvé par la brutalité. Elle l’a provoqué et agressé pour le replonger dans son cauchemar et qu’il le retraverse en lui permettant cette fois de se rebeller, de répondre, de se défendre physiquement pour sortir de sa tétanie de victime et redevenir acteur.
Jamie n’a pas cette intention initiale, il cherche à la ramener avec la plus grande douceur.
« Il avait eu l’intention d’être doux. Très doux. Il s’y était soigneusement préparé, s’inquiétant de chacune des étapes qui devaient les ramener à bon port. (…) Puis il découvrit qu’elle ne voulait ni qu’il soit doux ni qu’il lui fasse la cour. »
Lorsqu’elle réagit brutalement, il prend à son tour une voie similaire. « Pourtant, il aurait dû le voir venir ; lui mieux que n’importe qui d’autre ! Ce n’était pas du chagrin ni de la douleur… mais de la rage. » Il la suit instinctivement dans cette brutalité et se déchaine lui-même avec fureur, jusqu’à perdre conscience. Sans y prendre aucun plaisir.
« Elle chuchota :
– Comment te sens-tu ?
– Très mal, répondit-il sincèrement. (…)
Il pleura sans bruit, ses muscles tendus jusqu’à la douleur pour ne pas trembler, ne pas la réveiller et qu’elle le voit ainsi. Il pleura jusqu’à ce que l’oreiller soit trempé sous sa joue. (…) Son seul réconfort était le poids si fragile étendu contre son cœur, respirant profondément. »
La sécurité dans une certaine violence
Diana Gabaldon commente cette scène dans « I give you my body » avec ces mots : « Examiner le lien étroit entre le sexe et la violence — et noter la nécessité de tenir compte de l’individu. (…) La seule chose qui va purifier Claire (et la rassurer : regardez ce qu’elle dit à la fin. Elle se sent à nouveau en sécurité, après avoir ressenti le pouvoir et la violence en lui) est la violence. Et — le point le plus important ici — Jamie fait attention à ce qu’elle veut, plutôt que de procéder avec sa propre idée de comment cela devrait être, même si c’est une idée raisonnable et celle que la plupart des gens auraient. »
Claire réagit d’une manière qui n’est peut-être pas conventionnelle dans ce moment difficile, et Jamie ose avec elle ce cheminement incertain et courageux pour tenter de la libérer du traumatisme du viol. La brutalité ne leur fait pas peur, elle leur est même familière et leurs étreintes en sont régulièrement empreintes, dès le début (cf leur première violente altercation à leur retour à Leoch qui se termine en retrouvailles plus qu’intenses). Néanmoins, cette violence s’inscrit toujours dans un consentement mutuel, ce qui fait toute la différence.
Diana Gabaldon s’est déjà exprimée à ce sujet : « Tous deux ont côtoyé le danger. La guerre a été leur proche compagne et tous deux se sont souvent battus pour leur vie et celle des autres. Cela va ouvrir d'autres canaux dans l'âme d'une personne que ce pourrait être le cas de quelqu'un qui a toujours vécu à l'abri de la violence, sans parler d'une violence soudaine, surprenante et sauvage. Utiliser occasionnellement un avantage violent et dominant dans le contexte d'une relation sécurisée où chacun d'eux fait implicitement confiance à l'autre peut à la fois leur donner un sentiment d'exaltation, approfondir leur confiance et/ou paradoxalement l'utiliser pour se sentir plus en sécurité face à la violence réelle incontrôlable avec laquelle ils vivent. »
A des moments plus légers et bucoliques, Jamie n’hésite d’ailleurs pas à la dominer physiquement sans complexe, avec une décontraction et un plaisir ouvertement assumés. Le chapitre 20 nous offre ainsi un amusant moment où Jamie n’hésite pas à la taquiner et à la vexer en faisant son éloge sur des qualités inattendues et peu féminines, tout en l’immobilisant physiquement sans échappatoire. Il ne lui veut jamais de mal, mais ne se refuse pas cette démonstration dominatrice, à laquelle elle finit d’ailleurs toujours par succomber.
Enfin… à une exception mémorable près !
La fessée, seule violence sans consentement
Ce qui montre bien que la brutalité est toujours consentie, dans une sécurité intime, c’est que le seul moment où cela n’a pas été le cas reste marqué au fer rouge dans la mémoire de Claire : la fameuse fessée !
Le sujet revient lors d’un échange trois décennies plus tard (chapitre 47), et suscite toujours chez Claire une franche indignation. Or Jamie ne cache pas le plaisir et l’amusement qu’il a ressentis, et qu’il assume encore, d’autant plus qu’il a respecté son engagement de ne pas réitérer ce geste. En toute franchise, il le lui rappelle : il s’y est tenu simplement parce qu’il l’a décidé : « ‘J’aurais pu, tu le sais bien, Sassenach.’ (…) Le plus rageant, c’était qu’il disait vrai, je ne le savais que trop. (…) … et, s’il décidait de remettre ça, je ne pourrais absolument pas l’en empêcher. La plupart du temps, je parvenais à oublier que je lui appartenais légalement, mais cela n’en demeurait pas moins un fait, et il en était conscient. »
Il la possède, il la domine, il le savoure, conscient dans le même temps du désir qu’il suscite, signe implicite de consentement. « Toi, mo nighean donn, tu m’appartiens. (…) Tu es à moi, Sassenach. Et je suis prêt à accomplir n’importe quoi pour que cela soit clair. »
En toute intelligence, il exprime l’équilibre de cet oxymore amoureux, qui le définit si particulièrement, en achevant l’échange par une ultime pirouette, celle de l’allégeance : « Oui, je t’appartiens, murmura-t-il dans mon oreille. (…) Je le sais très bien, mo nighean donn. »
Pour Jamie, l’un ne va jamais sans l’autre avec Claire.
La protection des siens, une évidence
La protection de Jamie envers Claire ne se dément jamais. C’est sans hésitation qu’il ordonne à ses hommes, lorsqu’ils la sauvent de ses ravisseurs : « Tuez-les tous. »
Parce que c’est une évidence pour lui, il considère comme légitime le désarroi de Fergus de n’avoir pas pu protéger Marsali de l’agression à la malterie : « Un homme doit protéger sa femme. » Qu’il n’y soit pour rien ne change rien. Lui-même se sent coupable de l’enlèvement de Claire : « Il se l’était reproché lui aussi. Il me l’avait avoué, très clairement, la nuit où il m’avait ramenée. (…) Il caressa la cicatrice sur mon arcade sourcilière. – Tu crois que je ne l’ai pas senti quand tu as reçu ce coup, ou les autres ? »
De même, lorsqu’ils sont assiégés chez eux, par la bande de Brown qui accuse Claire du meurtre de Malva : « Si vous voulez emmener ma femme, il faudra d'abord me passer sur le corps. »
Malgré tout, c’est peut-être le seul trait où il inscrit Claire dans un ordre de priorité qui la fait passer après leurs enfants. Ou plutôt, il l’inclut dans cette exigence, parce que cette valeur est absolument constitutive de ce qu’il est profondément.
Pour cela, il l’a renvoyée dans le futur à Culloden, parce qu’elle était enceinte.
A Abandawé, le risque qu’elle doive repartir dans le futur à la poursuite de Geillis, pour protéger Brianna, n’est même pas discuté, comme une fatale évidence.
Ici, lorsqu’il évoque le meurtre de la famille hollandaise, il lui dit « Si je meurs, ne me suis pas. Les enfants auront besoin de toi. Reste pour eux. Je peux attendre. »
Flashback 9 ans plus tôt. Pour protéger son fils William dont la ressemblance physique devient peu à peu visible en grandissant, Jamie se résout à quitter Helwater. A ce propos, je suis particulièrement séduite par ces moments de récit où un personnage évoque une scène du passé, que nous connaissons déjà, en nous livrant de nouveaux éléments qui en changent radicalement le sens. Au tome 3 (chapitre 59), John Grey raconte à Claire que Jamie lui a demandé de veiller sur son fils, et s’est offert à lui en échange. Bien que profondément amoureux, John Grey a refusé, mu par la pureté de son amour, de son honneur, de ses valeurs. Et la sincérité comme la parole de John Grey ne sont jamais mises en doute, il a déjà fait ses preuves à ce sujet. Il raconte encore que Jamie l’a embrassé avant de le quitter, ce qui avait laissé de nombreux lecteurs perplexes sur la possible ambivalence de Jamie, et sur son sens du sacrifice.
Quelques trois tomes et milliers de pages plus tard (chapitre 9), Jamie raconte à son tour la scène sous un angle bien différent : sa proposition n’était pas une offre mais au contraire un test de défiance. Après le refus de Grey, il l’a malgré tout embrassé pour le tenter encore et le tester jusqu’au bout. Il le raconte à Claire lorsqu’un doute la traverse.
« Tu ne te demandes jamais s’il n’a pas adopté l’enfant, parce que… William te ressemble tant, et ce, depuis tout petit. Lord John te trouvant physiquement… attirant… euh…
En voyant son expression, les mots moururent dans ma gorge. (…)
– Non. (…) Je ne dis pas ça parce que l’idée me serait intolérable. (…) J’en suis intimement convaincu. (…) Moi aussi, j’y ai pensé, reprit-il. Quand il m’a annoncé son intention d’épouser Isobel Dunsany. (…) Je lui ai offert mon corps. (…) Je voulais savoir quel genre d’homme il était. En être sûr. L’homme qui prendrait mon fils comme le sien. (…)
John Grey m’avait parlé de cette offre, des années plus tôt en Jamaïque. Toutefois, je doutais qu’il ait jamais saisi sa vraie nature. (…)
– John n’a pas voulu. Il m’aimait, c’est ce qu’il m’a dit. Si je ne pouvais pas l’aimer en retour – et il savait que c’était le cas – alors il ne voulait pas se contenter d’un simulacre. C’était tout ou rien. (…) Non. Un homme qui dit ça n’irait jamais sodomiser un enfant pour les beaux yeux de son père. Je peux l’affirmer avec certitude, Sassenach.
– (…) Si… il avait accepté ton offre et que… tu l’avais trouvé… (…) … moins honorable que tu l’espérais…
– Alors je lui aurais tordu le cou, là, au bord du lac. Peu m’importait d’être pendu. Je ne lui aurais jamais confié l’enfant. (…) Mais il ne l’a pas fait, et moi non plus. »
Protecteur pour les siens, Jamie confie ainsi William au meilleur père de substitution qui soit.
Diana nous offre plusieurs révélations de ce type, pour notre grand plaisir de lecteurs manipulés, mais tellement fidèle aussi aux surprises de la vraie vie... Murdina Bug n’a pas seulement tué Lionel Brown pour les raisons qu’elle a évoquées, et le fameux avis de décès publié dans la presse s’éclaire de manière inattendue... Dans le même esprit, nous sommes nombreux à imaginer que Frank n’a pas dit son dernier mot dans l’histoire, et que même s’il est bien mort, les zones d’ombre de sa vie et de ses actes recèlent encore bien des mystères…
Le consentement est peu présent cette fois-ci. Le seul moment significatif fait lui aussi écho à un autre moment passé. Lorsque Jamie évoque la nuit passée avec Mary McNab avant sa reddition, la première réaction de Claire est de lui interdire de l’appeler Sassenach. Ce n’est qu’après être passée de la jalousie blessée à la compréhension qu’elle lui permet de nouveau de s’adresser à elle ainsi. Elle avait réagi de la même manière lors de sa découverte du mariage à Laoghaire (tome 3 chapitre 34).
Son attitude est différente à l’égard de Geneva, peut-être parce qu’elle est morte, peut-être parce qu’elle est la mère de son fils. Elle exprime sa vulnérabilité amoureuse bien plus simplement, dans une émotion inquiète dénuée d’agressivité (tome 3 chapitre 59).
« ... Je n'ai pas voulu te le dire, de peur que tu croies que j'avais semé des bâtards un peu partout... de peur que tu penses que j'aimerais moins Brianna si j'avais un autre enfant. (…)
– Et elle... tu l'as aimée ? (…)
– Non, dit-il doucement. Elle... me voulait. (…) Elle voulait que je lui fasse l'amour. Ce que j'ai fait... Et elle en est morte. Je suis coupable de sa mort, devant Dieu. D'autant plus coupable que je ne l'aimais pas. (…)
– Tu aurais dû me faire confiance, dis-je enfin.
– Peut-être. Pourtant, je me disais sans cesse : « Comment puis-je lui expliquer tout ce qui est arrivé : Geneva, Willie... John ? » (…) J'ai failli t'en parler, une fois, mais c'était avant que tu découvres mon mariage avec Laoghaire. Ensuite, c'était trop tard. Comment pouvais-je te dire la vérité, et être sûr que tu comprendrais la différence ? (…) Geneva, la mère de Willie... elle voulait mon corps. Laoghaire voulait mon nom et la sueur de mon front pour subvenir à ses besoins et à ceux de ses filles. (…) John a eu mon amitié, et moi la sienne. Mais comment te raconter tout ça, puis te dire que je n'ai jamais aimé que toi ? Comment pourrais-tu me croire ? (…)
– Si tu me le dis, je te croirai, dis-je d'une petite voix. (…) Parce que tu es un homme honnête, Jamie Fraser. (…)
– Il n'y a que toi, dit-il d'une voix si faible que je l'entendis à peine. Rien que toi, à qui j'ai donné mon nom, mon cœur et mon âme. (…) Tu es le sang de mon sang, la chair de ma chair...
– Et je te donne mon âme jusqu'à la fin des jours, achevai-je. »
L’allégeance est déjà pleinement dans ces mots, comme à chacun des serments que Jamie prête à Claire avec une ferveur constante et inaltérable. Ces doutes exprimés en Jamaïque, sa difficulté à se confier à elle témoignent de son émouvante difficulté à concilier sa volonté de transparence et sa peur qu’elle puisse douter de lui. Elle a découvert son mariage avec Laoghaire avant qu’il ait pu le régler et le lui dire. Cette altercation si violente qui a failli les séparer ne le met pas en confiance pour évoquer Geneva, Willie, John… et Mary. Non pas qu’il juge Claire intolérante. Mais chaque histoire s’est déroulée dans un contexte précis qui nécessite d’être écouté. Il sera entendu au sujet de Laoghaire parce qu’il est presque mourant. Il cite Geneva en révélant l’existence de William, car Claire aura la délicatesse de ne pas heurter l’image de la jeune mère de son fils.
Reste Mary, qu’il n’a pas encore évoquée. Cet épisode a peu d’importance pour lui, mais son respect des femmes l’empêche de la disqualifier, comme Geneva. De plus, celle-ci est venue vers lui pour lui donner, et non lui prendre.
L’accusation d’adultère par Malva le pousse à solder ce dernier compte. Dans ce moment paradoxal, c’est par cet aveu qu’il prouve à Claire son innocence, son honnêteté sans réserve, et son amour sans compromis. Sa totale allégeance s’illustre dans son authenticité, la justesse de ses mots, la vulnérabilité sans fard, alors qu’il est par ailleurs un homme rompu aux plus fines stratégies sociales et politiques. Ce don total et sans réserve demeure constant, fidèle à son engagement depuis le jour de son mariage où il considère lui appartenir, corps et âme.
Il y a parfois l’expression d’une certaine candeur, malgré son âge et son parcours, dans cette allégeance. Claire le constate après leurs retrouvailles (tome 3, chapitre 29), lorsqu’elle le taquine parce qu’il s’est confessé à un prêtre avant d’y envoyer Ian, et qu’il répond sans malice.
« ... j'y suis allé en premier. En exemple, tu comprends.
- Ha, pas étonnant que cela ait pris du temps alors, dis-je pour le taquiner, combien de temps depuis ta dernière confession ? (…) Quoi, et aucun péché de luxure ou pensées impures ?
- Pas vraiment non, dit-il sérieusement. Tu peux penser à tout ce que tu veux de mal sans que cela soit un péché, surtout à propos de ta femme. C'est seulement si tu le fais à d'autres femmes que c'en est un. »
C’est aussi avec candeur qu’il se justifie confusément des assauts féminins dont il doit se défendre à chaque séjour en territoire cherokee, dans une scène légère et pleine d’humour : « La première fois, c’était un geste d’hospitalité… (…) Puis, à notre seconde visite, elles ont remis ça, sauf que ce n’étaient pas les mêmes. Quand j’ai essayé de les faire partir, elles m’ont répondu que Bird avait dit que c’était pour honorer mon vœu, car quelle est la valeur d’un vœu quand ça ne te coûte rien de le respecter ? Je ne sais pas s’il le pensait réellement ou s’il essayait de me faire craquer (…) ; à moins qu’il se soit tout simplement payé ma tête. »
Son allégeance renouvelée (« Claire, c’était toi. Ça a toujours été toi et ça le sera toujours. ») s’exprime aussi en l’absence de Claire, lorsqu’à la question du vieux Cherokee (« Cette femme que tu as, tu l’as payée cher ? »), il répond « Elle m’a coûté jusqu’à mon dernier sou, mais elle en valait la peine. »
Il ne prend conscience que très tard des sentiments qui animent Tom Christie à l’égard Claire. La jalousie qu’il pourra en éprouver se confond avec une forme d’orgueil entre mâles.
Vis-à-vis d’elle, il n’a plus peur, elle est à lui, sans doute aucun… (du moins pour l’instant !)
Comme les 2 épilogues de ce tome, je termine sur 2 mentions particulières :
* Diana a le don des scènes déroutantes, sans manquer d’un humour profondément bienveillant. Dans ce tome, je retiens la scène de l’accouchement de Marsali (chapitre 35), et de l’accompagnement inédit de Fergus aux yeux des hommes du Ridge !
« Un murmure de Marsali, (…) puis Fergus lui chuchota quelques mots à l’oreille. (…)
– Oui, comme pour Félicité, répondit Marsali d’une voix étouffée mais très audible. (…) Tu n’as qu’à coincer la porte avec un des meubles. (…)
Fergus apparut, hirsute, la chemise ouverte. Il nous aperçut, et l’expression la plus extraordinaire traversa son visage. Un mélange de fierté, de gêne et d’un sentiment indéfinissable… mais très français. Il adressa un sourire en coin à Jamie, accompagné d’un haussement d’épaules d’une suprême insouciance latine, puis il ferma la porte. On entendit alors le crissement d’une table qu’on tire et un bruit sourd quand elle cogna contre la porte. Jamie et moi échangeâmes un regard perplexe. (…)
– Il ne va pas… Jamie s’interrompit, atterré, puis interrogea : – Si ?
Apparemment oui, à en juger par les grincements rythmiques qui s’élevèrent dans la pièce d’à côté. Le feu me monta aux joues. Je me sentais un peu choquée, mais j’avais encore plus envie de rire. (…) Jamie lança vers l’infirmerie un regard teinté d’incrédulité et d’un certain respect.
– (…) S’il est vraiment en train de…, ce garçon ne manque pas de couilles.
Ian, qui entra à ce moment-là, s’arrêta net. Il entendit les bruits, regarda Jamie, puis moi, puis la porte, secoua la tête et tourna les talons, retournant dans la cuisine. »
* Enfin, est-ce un petit caillou blanc que l’auteur nous dépose au chapitre 68, lorsque Jamie tient à garder le diamant noir pour Claire, car il a rêvé d’elle et l’interprète comme une vision du futur, qu’elle rejoindra peut-être un jour (sans lui) …
« Mais je t'ai vue, là-bas. (…) J'ai rêvé de toi. Je ne savais pas où j'étais. Mais je savais que c'était là-bas, dans ton temps. (…) J'ai su que j'étais dans ton époque, à la lumière. (…) Je me souviens d'avoir pensé : « Alors, c'est ça, la fameuse lumière électrique ! » (…)
– Comment peux-tu reconnaître en rêve ce que tu n'as jamais vu dans ta vie réelle ?
– Je rêve tout le temps de choses que je n'ai jamais vues, Sassenach, pas toi ? (…) J'étais certain d'être à ton époque. Après tout, je rêve du passé, pourquoi ne rêverais-je pas du futur ?
Je ne trouvai rien à répondre à cette logique toute celtique.
– Mmmoui, pourquoi pas, dis-je sceptique. Quel âge avais-je ?
Il parut surpris, puis indécis. Il scruta mon visage comme pour le comparer à une image mentale. Pour la première fois, il ne paraissait pas sûr de lui.
– En fait... je ne sais pas. Je n'y ai pas réfléchi. Je n'ai pas remarqué de cheveux blancs ni aucun détail frappant. C'était juste... toi. »
Powerfull King of the men.
Chapitre 7 p81 La mort des Hollandais
Jamie haussa les épaules, déjà désintéressé du débat sur les machinations de MacDonald.
– J’avais raison, hein ? Ça veut dire que tu me dois un gage, Sassenach.
Il m’examina de haut en bas d’un air inspiré. (…)
– Je n’ai pas encore réfléchi à tous les détails, mais, pour commencer, je pense que tu devrais t’allonger sur le lit. (..) Allonge-toi, Sassenach, et remonte ta chemise. À présent, écarte les jambes, voilà, c’est ça… non, encore un peu.
Avec une lenteur calculée, il retira sa chemise. Je poussai un soupir et calai mes fesses, cherchant une position que je pourrais garder longtemps sans avoir de crampes.
– Si tu penses à ce que je crois que tu penses, tu vas le regretter. Je n’ai même pas fait ma toilette. Je suis crasseuse et sens comme un cheval.
Nu, il leva un bras et huma son aisselle.
– Ah oui ? Moi aussi. Ça tombe bien, j’aime les chevaux. (…) Oui, parfait ! À présent, si tu veux bien lever les bras et t’agripper à la tête de lit…
– Tu ne vas tout de même pas…
Puis je baissai la voix, regardant malgré moi vers la porte.
–… Pas avec MacDonald dormant à côté !
– Je vais me gêner ! Au diable MacDonald et tous les autres !
Toutefois, il ne bougea pas, m’observant, songeur. Puis, au bout d’un moment, il soupira, résigné.
– Non, dit-il doucement. Pas ce soir. Tu penses toujours à cette pauvre famille de Hollandais, non ?
– Oui. Pas toi ? (…)
– Je m’efforce de ne pas y penser, mais sans grand succès. Les nouveaux morts ne veulent jamais rester tranquilles au fond de leur tombe, n’est-ce pas ?
(…) Tout au long de cette soirée chargée d’incidents et de cris d’alarme, le souvenir de la morne clairière et de la rangée de tombes m’avait hantée. C’était une nuit à rester enfermé chez soi, avec un bon feu dans la cheminée et des voisins non loin. (…). Jamie me dit à voix basse :
– J’ai envie de toi, Claire. J’ai besoin… tu veux bien ? (…)
– Moi aussi, j’en ai besoin, murmurai-je à mon tour. Viens.
Il se pencha sur moi et tira doucement sur le lacet qui retenait le col de ma chemise, faisant retomber le lin élimé sur mes épaules. Je voulus l’enlever, mais il retint ma main et la tint contre ma hanche. D’un doigt, il baissa un peu plus l’échancrure de ma chemise, puis souffla la chandelle. Dans l’obscurité fleurant la cire, le miel et la sueur des chevaux, il baisa mon front, mes yeux, mes pommettes, mes lèvres, mon menton, et ainsi de suite, avec douceur et lenteur, jusqu’à la plante de mes pieds. (…) Plus tard, nous restâmes confortablement enchevêtrés, juste éclairés par la faible lueur des braises dans l’âtre. (…)
– Sassenach ? (…) Tu ne feras pas comme elle, dis ?
– Comme qui ?
– Elle. La Hollandaise. (…)
– Quoi ? Tomber dans le feu ? D’accord, j’essaierai. (…) Bonne nuit.
– Non, réveille-toi. (…) Sassenach, parle-moi. (…) Si je meurs, tu ne tueras pas toute la famille, hein ?
– Quoi ? (…) Quelle famille ? … Oh. Tu crois qu’elle l’a fait exprès ? Qu’elle les a empoisonnés ? (…) C’était peut-être un accident. Tu ne peux pas en être sûr.
– Non, admit-il. Mais je ne peux m’empêcher d’imaginer la scène. (…) Les hommes sont venus. Il leur a résisté et ils l’ont tué, sur le seuil de sa propre maison. Quand elle l’a vu mort… elle a dû leur dire qu’elle devait d’abord nourrir ses petits… puis elle a glissé les champignons dans le ragoût et l’a servi aux enfants et à sa mère. Deux des hommes en ont mangé, mais je pense que c’était un accident. Elle voulait seulement suivre son mari. Elle ne pouvait pas le laisser partir seul.
J’aurais aimé lui dire que c’était une interprétation plutôt mélodramatique de ce que nous avions vu. Mais je ne pouvais pas affirmer non plus qu’il se trompait. En l’écoutant, il me semblait moi aussi voir la scène, trop clairement.
– Tu ne sais pas, chuchotai-je enfin. Tu ne peux pas savoir.
(…) Sa tête se tourna tout à coup vers moi sur l’oreiller.
– Mais si je ne parviens pas à assurer ta sécurité ? La tienne et celle des autres ? Je ferais tout mon possible, Sassenach, je suis prêt à donner ma vie pour ça, mais, si je meurs trop tôt… Si j’échoue ? (…)
– Ça n’arrivera pas.
Il soupira et baissa la tête, posant son front contre le mien. (…)
– J’essaierai, chuchota-t-il. (…) Si je meurs, ne me suis pas. Les enfants auront besoin de toi. Reste pour eux. Je peux attendre.
Chapitre 9 p107
Jamie rattrapa Kezzie par le col.
– Attendez, les garçons, je viens avec vous. Vous aurez besoin de marchandises à troquer.
– Oh, nous avons plus de peaux qu’il n’en faut, lui assura Jo. La saison a été bonne. (…)
– C’est très généreux de ta part, Jo, mais je viens quand même.
Jamie me regarda, m’indiquant qu’il avait pris seul sa décision, mais qu’il sollicitait toutefois mon approbation. Je déglutis, un goût amer au fond de la bouche. Je m’éclaircis la gorge avant de répondre.
– Si tu y vas, laisse-moi préparer quelques affaires à troquer et dresser une liste de ce que tu peux leur demander en échange.
Chapitre 20 p189
Avec douceur, il posa sa main dans mon dos, la faisant, par habitude, aller et venir. Je connaissais cette caresse… le besoin de se rassurer, de confirmer que l’autre était bel et bien là, en chair et en os.
– J’ai cru que je ne pourrais pas vivre si je pensais au passé… que je ne tiendrais pas le coup.
Ma gorge était nouée par le souvenir de cette époque.
– Je sais, murmura-t-il. (…) Mais tu avais un enfant, Sassenach. Et un mari. Cela n’aurait pas été bien de les abandonner.
– Ce n’était pas bien de t’abandonner.
Je fermai les yeux, mais les larmes débordaient aux coins de mes paupières. Il attira ma tête à lui, sortit la langue et, tout en délicatesse, me lécha le visage. J’en fus si surprise que je me mis à rire entre deux sanglots et manquai de m’étrangler.
– « Je t’aime, comme la viande aime le sel », récita-t-il avant de se mettre à rire à son tour. Ne pleure pas, Sassenach. Tu es ici, moi aussi. Rien d’autre n’a d’importance.
Je plaçai mon front contre sa joue et l’enlaçai. (…) Il me serra contre lui. (…)
– Tu sais que, cette fois, on est mariés depuis près de deux fois plus longtemps que lors de ton premier voyage ?
Je m’écartai de lui, en fronçant les sourcils.
– Pourquoi ? Entre les deux, on n’était plus mariés ?
Pris de court, il passa un doigt méditatif sur l’arête de son nez.
– Il faudrait poser la question à un prêtre. Je suppose que si, mais, dans ce cas, ça ne fait pas de nous des bigames ?
Cette idée me mit mal à l’aise.
– Autrefois peut-être, mais plus maintenant. Mais non, nous ne l’étions pas vraiment. Le frère Anselme me l’a dit.
– Le frère Anselme ? (…) Si, si, je me souviens de lui. La nuit, il venait s’asseoir à mon chevet, quand je ne pouvais pas dormir. (…) Il t’appréciait beaucoup, Sassenach.
Voulant le distraire de ses souvenirs de Sainte-Anne, je demandai :
– Et toi, tu ne m’appréciais pas ?
– Oh si. Cependant, je t’apprécie encore plus aujourd’hui.
Je bombai le torse, faisant la coquette.
– Vraiment ? Qu’est-ce qui a changé ?
Il inclina la tête sur le côté, me jaugeant.
– D’une part, tu pètes moins dans ton sommeil.
De justesse, il esquiva en riant la pomme de pin qui fusa près de son oreille gauche. Je saisis un morceau de bois pour lui taper sur le crâne, mais il bondit en avant et m’agrippa les bras. Il me plaqua dans l’herbe et se coucha sur moi, me clouant au sol.
– Enlève-toi de là, mufle ! Je ne pète pas dans mon sommeil !
– Comment le sais-tu, Sassenach ? Tu dors si profondément que même le son de tes propres ronflements ne te réveille pas.
– C’est toi qui parles de ronflements ? Quel culot ! Tu…
Il m’interrompit, souriant toujours, mais poursuivant sur un ton plus sérieux :
– Tu es fière comme Lucifer. Et courageuse. Tu as toujours été plus intrépide que de raison. Aujourd’hui, tu es plus féroce qu’un blaireau.
– Si je comprends bien, je suis arrogante et féroce. Ce ne sont pas franchement des vertus féminines.
Je tentai en vain de m’extirper de sous lui, manquant de souffle. Il réfléchit un moment avant de reprendre :
– Tu es bonne, aussi. Très bonne. Même si tu n’en fais toujours qu’à ta tête.
Il rattrapa précipitamment mon bras que j’avais réussi à libérer et me coinça le poignet au-dessus de ma tête, ajoutant :
– Mais ce n’est pas un reproche, loin de là.
La mine concentrée, il marmonna :
– Vertus féminines, voyons voir… vertus féminines…
Sa main libre se glissa entre nous et se referma sur mon sein.
– En dehors de ça !
– Tu es très propre. (…) Je n’ai jamais vu une femme passer autant de temps à se laver, à part Brianna peut-être. (…) Tu n’es pas très bonne cuisinière, même si tu n’as encore empoisonné personne, à moins de le faire exprès. Et je dois reconnaître que tu es plutôt douée avec du fil et une aiguille, quoique tu préfères repriser la chair humaine.
– Merci beaucoup !
– Donne-moi d’autres vertus, j’en ai peut-être oublié une.
– Hmph ! La douceur, la patience…
– La douceur ! Elle est bien bonne ! Tu es plus impitoyable, sanguinaire…
Je plongeai la tête en avant, réussissant presque à le mordre à la gorge. Il m’esquiva, en riant de plus belle.
– Non, tu n’es pas très patiente non plus.
Pour un temps, je cessai de me débattre et me laissai écraser sur le sol, mes cheveux étalés dans l’herbe.
– Alors, quel est le trait le plus attachant chez moi ? questionnai-je.
– Tu me trouves drôle.
– C’est… ce… que… tu… crois, haletai-je.
Je me débattis comme une furie. Il se contenta de peser de tout son poids sur moi, tranquille, nullement gêné par mes coups de pieds et de poings, jusqu’à ce que j’aie épuisé toutes mes forces. Puis, quand je fus calmée, il déclara d’un air songeur :
– Et tu aimes beaucoup ce que je te fais au lit.
– Euh…
J’aurais aimé le contredire, mais l’honnêteté l’emporta. En outre, il savait pertinemment qu’il avait raison.
– Tu m’écrases, dis-je dignement. Aurais-tu la bonté de te pousser de là ?
Il ne bougea pas.
– Ce n’est pas vrai ?
– Si ! Bon, d’accord ! C’est vrai ! Tu vas te pousser maintenant ?
Il n’en fit rien, mais baissa la tête et m’embrassa. Je serrai les lèvres, résolue à ne pas céder, mais il était aussi déterminé que moi, et, pour être sincère… la peau de son visage était chaude, le chaume de son menton me chatouillait agréablement, et sa grande et douce bouche… Mes cuisses étaient ouvertes, et sa masse solide pressait contre elles, son torse nu sentait le fauve, la sueur et la sciure de bois prise dans sa chevelure auburn… La lutte m’avait mise en nage, mais l’herbe autour de nous était humide et fraîche. Une minute de plus, et il aurait pu me prendre là, sur le sol, s’il l’avait voulu. Il me sentit capituler et, avec un soupir, se ramollit lui aussi. Je n’étais plus sa captive, il me tenait, tout simplement. Il redressa la tête et glissa une main sous mon menton.
– Tu veux savoir ce que tu as de plus attachant, vraiment ?
Je pouvais lire dans le bleu nuit de ses yeux que, cette fois, il était sérieux. J’acquiesçai, muette.
– Plus que n’importe quelle créature de ce monde, tu es fidèle, chuchota-t-il.
Je faillis lui rétorquer quelque chose au sujet des saint-bernards, mais son regard était empreint d’une telle tendresse que je me contentai de le fixer dans les yeux, légèrement aveuglée par la lumière verte qui filtrait entre les aiguilles de pins au-dessus de lui.
– Toi aussi, répondis-je enfin. Ça tombe plutôt bien, non ?
Chapitre 21 p205
– Tu m’as promis l’honnêteté. Mais es-tu bien sûr d’être honnête avec toi-même ? Tu ne tourmentais pas Tom Christie seulement parce qu’il te défie ?
Son regard clair et franc à quelques centimètres du mien, il plaça sa paume chaude contre ma joue et me répondit d’une voix douce :
– Il n’y a que deux êtres dans ce monde auxquels je ne mentirai jamais. Toi et moi.
Il déposa un baiser sur mon front, puis souffla la flamme de la lampe.
– Cela dit…
Sa voix me parvenait des ténèbres, et sur le seuil de la porte, je distinguai tout juste sa haute silhouette se détachant sur le rectangle de lumière.
–… Je peux me faire avoir. Mais jamais de mon plein gré.
Chapitre 28 p314 Sauvetage de Claire
Grand, mince et noir, Archie Bug sortit de l’obscurité, serrant le manche d’une hache dans son poing. L’arme aussi avait été peinte en noir, et une épaisse odeur de sang l’accompagnait.
– Il en reste encore quelques-uns en vie, annonça-t-il.
Je sentis quelque chose de froid et dur sur ma main.
– Souhaitez-vous exercer vous-même votre vengeance, a banamhaighistear ?
Je baissai les yeux et découvris qu’il me tendait le manche d’un coutelas. J’étais debout mais ne me souvenais pas de m’être levée. Je ne pouvais pas parler, ni faire un geste… pourtant mes doigts se refermèrent sur l’arme sans que j’en aie vraiment conscience. Puis, une main luisante et couverte de sang jusqu’au poignet me la reprit. Tels des rubis, des gouttes rouge sombre étaient retenues dans les poils de l’avant-bras de Jamie.
– Elle a prêté serment, déclara-t-il à Archie Bug en gaélique. Elle n’a pas le droit de tuer, sauf pour sauver sa propre vie. C’est moi qui tue pour elle.
– Et moi.
Une haute silhouette était apparue derrière lui. Ian. Archie acquiesça, comprenant. Quelqu’un se tenait près de lui… Fergus. Je le reconnus sur-le-champ, mais quelques secondes me furent nécessaires pour mettre un nom sur son visage fin et pâle.
Chapitre 29 p318 Sauvetage de Claire, questionnement de Jamie à Roger
Jamie prit une profonde inspiration, puis remua les épaules, comme si sa chemise était trop étroite.
– C’est au sujet du petit. Je n’ai aucun droit de te le demander, mais je n’ai pas le choix. Ressentirais-tu la même chose pour lui, si tu étais sûr qu’il n’était pas de toi ?
Roger le dévisagea sans comprendre.
– Quoi ? Par le petit… vous voulez dire… Jemmy ?
Jamie acquiesça.
– Eh bien… Je… je ne sais pas. Pourquoi ? Et surtout, pourquoi me posez-vous la question maintenant, en un instant pareil ?
– Réfléchis.
Il était justement en train de le faire, se demandant quelle mouche avait piqué son beau-père. En voyant son air perplexe, Jamie comprit qu’il devait en dire un peu plus.
– Oui, je sais… c’est peu probable, n’est-ce pas ? Mais, c’est toujours possible. Après ce qui s’est passé la nuit dernière, elle pourrait être enceinte, tu comprends ?
Il comprit et crut qu’on lui avait asséné un coup de poing sous le sternum. Avant qu’il ait retrouvé son souffle pour répondre, Fraser reprit :
– À un ou deux jours près, je pourrais être…
Il détourna les yeux. Son embarras était visible sous la couche de suie qui recouvrait ses traits.
–… mais il y aurait un doute, tu saisis ? Comme dans ton cas. Cependant…
Il déglutit, laissant ce « cependant » résonner dans un silence éloquent.
(…)
(p322) Quand ils s’étaient éloignés de la civière de Brown, Jamie l’avait longuement regardé dans le blanc des yeux, puis avait murmuré :
– Tu ne crois pas que je ne pense qu’à moi, j’espère ?
Puis il s’était tourné vers le bassin où Claire n’était plus, plissant les paupières comme si cette vision lui était insupportable mais incontrôlable. D’une voix si basse que Roger l’avait à peine entendue, il avait repris :
– C’est pour elle. Tu penses qu’elle préférerait… douter ?
Roger inspira l’odeur des cheveux de son fils et pria le ciel d’avoir alors donné la bonne réponse.
– Je ne sais pas. Mais pour vous, s’il y a un doute, acceptez de vivre avec.
(p327) Retrouvailles intimes, douloureuses et délicates
Il paraissait soudain étrangement intimidé.
– Oh, mon Dieu, mo nighean donn. Oh, Seigneur, ton joli visage.
– Quoi ? Tu ne supportes plus de le regarder ?
Je détournai les yeux, blessée par cette idée, mais essayant de me convaincre que ce n’était pas grave. Après tout, les plaies cicatriseraient. Ses doigts touchèrent mon menton, doucement mais avec fermeté, et le levèrent pour m’obliger à lui faire face. Il me contempla, effectuant l’inventaire.
– Non, murmura-t-il. Je ne le supporte pas. Ça me déchire le cœur de le voir ainsi abîmé, et ça me remplit d’une telle rage que j’ai envie de tuer quelqu’un ou d’exploser. Mais au nom du Dieu qui t’a créée, Sassenach, je ne pourrais pas te faire l’amour sans être capable de te regarder en face.
– Me faire l’amour ? Quoi… tu veux dire… maintenant ?
Il lâcha mon menton et me dévisagea sans sourciller.
– Eh bien… euh… oui. (…)
Il baissa enfin les yeux et haussa les épaules, comme quand il était gêné ou confus.
– Eh bien… parce que ça me semble nécessaire.
Je fus prise d’une envie très déplacée d’éclater de rire.
– Nécessaire ? Tu crois que c’est comme quand on tombe de cheval ? Il faut remonter tout de suite en selle ?
Il me lança un regard noir, puis déglutit, faisant un effort manifeste pour contrôler ses émotions.
– Non. (…)
– Jamie, j’ai été rouée de coups et maltraitée de toutes les façons imaginables. Mais un seul d’entre eux… enfin… il n’y en a qu’un qui a réussi… Il… Il n’a pas été brutal. (…)
Il lâcha une interjection incompréhensible en gaélique, brève et explosive, puis s’écarta brusquement de la table. Son tabouret se renversa, et il donna un grand coup de pied dedans. Puis, encore et encore, finissant par le piétiner avec une telle violence que des éclats de bois volèrent à travers la cuisine et percutèrent la cloche à tarte. Je me figeai, trop abasourdie pour être bouleversée. Aurais-je dû ne pas lui en parler ? Pourtant, il le savait sûrement déjà. En me retrouvant, il m’avait demandée : « Combien ? » Puis il avait ordonné : « Tuez-les tous. » Mais à présent… savoir était une chose, entendre les détails en était une autre. J’en étais consciente et l’observais avec un chagrin mêlé de culpabilité, tandis qu’il bottait dans les fragments de tabouret et se jetait contre la fenêtre aux volets fermés. Les deux mains sur le chambranle, il pressa son front contre le bois, me tournant le dos. Je n’arrivais pas à savoir s’il pleurait. (…)
– Je suis désolée, dis-je enfin d’une voix faible.
Il pivota alors sur ses talons et me fusilla du regard. Il ne pleurait plus, mais des larmes avaient bien coulé sur ses joues qui brillaient encore.
– Ne sois surtout pas désolée ! rugit-il. Je te l’interdis, tu m’entends ?
Il traversa la pièce d’une seule grande enjambée et frappa du poing sur la table, si fort que la salière sauta en l’air et tomba par terre.
– Ne sois pas désolée !
J’avais fermé les yeux par réflexe et me forçai à les rouvrir.
– D’accord. (…) « Nécessaire » ? Que voulais-tu dire, au juste, par « nécessaire » ? (…)
– T’est-il venu à l’esprit que tu pourrais être enceinte ?
Stupéfaite, je redressai la tête.
– Je ne le suis pas. (…) Je ne le suis pas, répétai-je plus fort. Je ne peux pas l’être. (…) Je ne le suis pas. Je le saurais.
Il se contenta de me fixer, les sourcils arqués. Naturellement, je ne pouvais pas le savoir, pas encore. Or, s’il y avait eu plus d’un homme, il y aurait un doute. Le bénéfice du doute, voilà ce qu’il m’offrait… ainsi que lui-même. Un violent frisson partit du plus profond de mes entrailles et se propagea dans tout mon corps, ma peau se hérissant en dépit de la chaleur qui régnait dans la pièce. « Martha », avait-il murmuré, son poids m’écrasant dans les feuilles. (…) « Martha. » Son odeur rance, la pression de ses cuisses moites et nues contre les miennes, le frottement de ses poils…(…) Mes cuisses et mes fesses se crispèrent de révulsion, si fort que je me soulevai de quelques centimètres du banc.
– Tu pourrais… s’entêta Jamie.
– Je ne le suis pas, répétai-je aussi opiniâtre. Mais quand bien même… tu ne peux pas, Jamie.
J’aperçus une lueur effrayée dans son regard. Soudain, je me rendis compte qu’il s’agissait précisément de sa plus grande frayeur. Entre autres choses. Je me repris très vite :
– Je veux dire… nous ne pouvons pas. Je suis presque certaine de ne pas être enceinte, mais beaucoup moins de ne pas avoir été contaminée par quelque saloperie. (…)
La grossesse était peu probable, la blennorragie ou la syphilis l’étaient nettement plus.
– On… on ne peut pas. Pas avant que je me sois traitée à la pénicilline.
(…)
Mes mains tremblaient à l’idée que des spirochètes se multiplient dans mon sang seconde après seconde. Je refoulai ma peur que la pénicilline soit défectueuse. Ayant déjà fait des merveilles sur des plaies superficielles, il n’y avait pas de raison que…
– Laisse-moi faire, Sassenach. (…) Pique-moi d’abord.
– Quoi… toi ? Mais tu n’as pas besoin de… c’est que… tu détestes les injections !
– Écoute, Sassenach, si je veux surmonter mes peurs et les tiennes, ce que je compte bien faire, je ne vais pas faire d’histoires pour une petite piqûre. Vas-y.
Il me tourna le dos, se pencha en avant et remonta un côté de son kilt, m’exhibant une fesse musclée.
(p334) Parenthèse et pensées de Roger, éclairant les intentions profondes de Jamie
Qu’allait faire Jamie ? se demanda-t-il soudain. Essaierait-il de ? … Il chassa cette pensée, préférant ne pas y réfléchir. À sa place, il vit Claire, émergeant de l’aube, son visage tel un masque boursouflé. Toujours elle-même mais aussi lointaine qu’une planète sur une orbite qui l’emmenait à l’autre bout du cosmos. Quand réapparaîtrait-elle ? Claire se baissant pour toucher les morts, sur l’insistance de Jamie, afin de constater par elle-même le prix de son honneur. Ce n’était pas le risque qu’elle soit enceinte. C’était la peur… mais pas d’une grossesse. La peur qu’avait Jamie de la perdre, qu’elle s’en aille, qu’elle se réfugie dans un espace sombre et solitaire, sans lui, à moins qu’il ne parvienne à l’attacher à lui, à la garder à ses côtés. Mais, mon Dieu, c’était courir un tel risque… avec une femme tellement meurtrie et violentée. Comment pouvait-il le courir ? Pouvait-il ne pas le prendre ?
(p337)
C’était donc à la veille de la bataille de Culloden, sur cette colline rocheuse d’Écosse, au pied du cercle de menhirs.
– Désolée, dis-je un peu piteuse. Tu n’as probablement pas envie d’évoquer cette période, n’est-ce pas ?
Il saisit ma main libre et me regarda au fond des yeux, poursuivant d’une voix très basse :
– C’est à toi. Tout. Tout ce que j’ai vécu t’appartient. Si tu le veux, si cela peut t’aider, je suis prêt à revivre tout ce qui m’est arrivé.
– Mon Dieu, non, Jamie. Non, je n’ai pas besoin de tout savoir. Tout ce qui m’importe, c’est que tu aies survécu. Que tu vas bien. Mais… Dois-je te le raconter ?
Je voulais parler de ce qu’on m’avait fait, et il le comprit. Il détourna les yeux, tenant ma main dans les siennes, frottant doucement ses paumes sur mes articulations endolories.
– Tu dois vraiment ? demanda-t-il.
– Je crois. Tôt ou tard. Mais pas maintenant… à moins que tu n’aies besoin de l’entendre. Tout de suite.
– Non, pas maintenant, chuchota-t-il. Pas maintenant. (…)
– Alors, ton nez. Raconte-moi, s’il te plaît.
– Il y avait deux soldats anglais qui patrouillaient sur la colline. (…) Ils m’ont aperçu, et l’un d’eux t’a vue, tout là-haut près des menhirs. Il a crié et a voulu te courir après, alors je me suis jeté sur lui. Peu m’importait ce qui m’arriverait, tant que tu repartais saine et sauve. Je lui ai planté mon couteau dans le flanc, mais sa cartouchière a glissé, et ma lame est restée coincée. Pendant que j’essayais de la déloger et de rester en vie, son coéquipier nous a rejoints et m’a envoyé sa crosse en pleine figure. (…) Je lui ai arraché le mousquet des mains et leur ai fracassé le crâne à tous les deux.
Il parlait calmement, de manière presque détachée, mais une étrange résonance dans sa voix me noua le ventre. C’était encore trop frais, cette vision des gouttes de sang prises dans les poils de son bras. Trop frais cette nuance de… de quoi ? De satisfaction ? … dans son ton.
– Je suis désolé, Sassenach. Je n’aurais probablement pas dû te le raconter. Ça te perturbe ?
– Non, ce n’est pas ça. (…)
Toutes les images de la nuit précédentes revenaient en force, projetées en technicolor par cette simple phrase prononcée avec un tel détachement : « Je lui ai arraché le mousquet des mains et leur ai fracassé le crâne à tous les deux. » Et par son écho silencieux : « Je tue pour elle. » J’avais envie de vomir. (…)
– Ce qui me perturbe ? Perturber, quel mot idiot ! Ce qui me rend folle de rage, c’est que j’aurais pu être n’importe qui, n’importe quoi, un truc chaud avec des parties molles à tripoter. Bon sang, pour eux, je n’étais qu’un trou ! (…) Ce n’était pas comme ça avec Black Jack Randall, n’est-ce pas ? Il te connaissait. Quand il t’agressait, il te regardait. À ses yeux, tu n’étais pas n’importe qui, c’était toi qu’il voulait.
– Mon Dieu, tu crois vraiment que c’est mieux ?
Il me regardait, les yeux écarquillés. Je m’arrêtai, essoufflée, la tête me tournant.
– Non. (…) Non, je ne le crois pas. Jack Randall était un malade mental, un pervers de premier ordre, et ces… ces… types, ils n’étaient que des hommes. (…) Oui, rien que des hommes. (…) J’ai traversé une guerre mondiale, repris-je d’une voix vénéneuse. J’ai perdu un enfant. J’ai perdu deux maris. J’ai crevé de faim avec toute une armée. J’ai été battue, blessée, traitée comme une moins que rien, trahie, emprisonnée et agressée. Et j’ai survécu à tout cela ! (…) Et à présent, je devrais être anéantie parce qu’une bande de pathétiques petits minables ont enfoncé leur ridicule appendice entre mes cuisses et l’ont agité ? (…) Pas question.
– Leur ridicule appendice ? répéta Jamie éberlué.
– Pas le tien. Je ne parlais pas du tien. Le tien, je l’aime plutôt bien.
Là-dessus, je me rassis et m’effondrai en larmes. Il passa les bras autour de mes épaules, tout en douceur. Je ne sursautai pas ni le repoussai. Il pressa ma tête contre la sienne et glissa ses doigts dans mes cheveux. (…)
Je pris sa main et la portai à mes lèvres, frottant mes lèvres fendues contre ses phalanges. Elles étaient aussi enflées et meurtries que les miennes. Je touchai sa peau du bout de la langue, goûtant le parfum du savon, de la poussière et de la saveur métallique des écorchures et des entailles, des cicatrices laissées par des os et des dents brisés. J’appuyai sur les veines de son poignet et de son avant-bras, les sentant glisser sous mes doigts, rouler sur l’os sous-jacent. J’aurais aimé me dissoudre et être absorbée dans le sang qui coulait dans ses artères, me laisser porter jusque dans le refuge des cavités aux parois épaisses de son cœur. Mais je ne pouvais pas. (…)
– Le pire, dis-je dans les plis de sa chemise, c’est que je les connaissais. Je connaissais chacun d’eux. Je me souviendrai de leur visage à chacun. Et je me sentirai coupable, parce qu’ils sont morts à cause de moi.
– Non, répondit-il posément mais d’un ton ferme. Ils sont morts à cause de moi, Sassenach. Et à cause de leurs propres vices. Les seuls coupables, ce sont eux. Ou moi.
– Pas toi tout seul. « Tu es le sang de mon sang, les os de mes os », c’est toi-même qui l’as dit. Tout ce que tu fais, je le fais aussi.
– Alors, prions pour que ton serment me rachète, murmura-t-il.
Il me souleva et me serra contre lui, comme un tailleur rassemble un grand lé d’une soie lourde et fragile, pli après pli. Il me porta à travers la pièce et me déposa délicatement sur le lit, dans la lueur vacillante du feu.
Il avait eu l’intention d’être doux. Très doux. Il s’y était soigneusement préparé, s’inquiétant de chacune des étapes qui devaient les ramener à bon port. Elle était brisée, il devait prendre son temps, recoller chacun de ses morceaux épars.
Puis il découvrit qu’elle ne voulait ni qu’il soit doux ni qu’il lui fasse la cour. Elle le voulait direct. Bref et violent. Puisqu’elle était cassée, elle le tailladerait de ses fragments tranchants, aussi incontrôlable qu’un ivrogne armé d’un tesson de bouteille
Au début, il lutta, essayant de la serrer contre lui et de l’embrasser tendrement. Elle gigota entre ses bras telle une anguille, puis roula sur lui, se trémoussant, le mordant. Il avait pensé que le vin la détendrait, les mettrait tous les deux à l’aise. Il savait que l’alcool la désinhibait, mais il ne s’était pas rendu compte de tout ce qu’elle avait retenu jusqu’ici. Il ne pouvait que s’efforcer de la tenir, sans lui faire mal. Pourtant, il aurait dû le voir venir ; lui mieux que n’importe qui d’autre ! Ce n’était pas du chagrin ni de la douleur… mais de la rage.
Elle lui griffa le dos. Il sentit la morsure de ses ongles cassés et se dit qu’il était sans doute bon pour elle qu’elle se batte. Ce fut sa dernière pensée cohérente. La rage et le désir s’abattirent sur lui comme un orage noir sur la montagne, un nuage si dense qu’il ne voyait plus rien d’autant qu’il devenait lui-même invisible. Toutes ses attentions prévenantes furent balayées, et il se retrouva seul au milieu de la tempête, dans les ténèbres. (…) La fureur bouillonnait dans ses testicules. Il la chevauchait avec une fougue désespérée. Il devait cracher sa foudre et carboniser toute trace de l’intrus dans sa matrice ! Et s’ils devaient être consumés tous les deux, réduits en cendres et en poussière d’os, qu’il en soit ainsi.
Quand il retrouva ses sens, il était couché de tout son poids sur elle, l’écrasant dans le lit. Il haletait. (…) Il s’était perdu, ne sentait même plus les limites de son propre corps. Il resta hagard un moment, se demandant s’il n’avait pas perdu la raison… (…) Il était encore en elle. Il faillit s’arracher d’elle telle une caille effrayée qui s’envole, mais se retint. Il se retira doucement, relâchant un à un ses doigts agrippés à ses bras, se soulevant avec délicatesse même si l’effort lui paraissait immense. Il s’était presque attendu à la voir aplatie comme une crête, inerte sur le drap, mais l’arche élastique de ses côtes se gonfla lentement, s’affaissa, puis se gonfla de nouveau, rassurante. (…) Elle rouvrit les yeux, et il y lut la même surprise effarée. C’était le choc de deux inconnus se retrouvant nus l’un contre l’autre. (…) Il se pencha pour embrasser son front. Elle lui enlaça le cou et le tint fermement, le pressant contre elle. Il lui rendit son étreinte, la serrant si fort qu’il l’entendit se vider de tout son souffle, tout en étant incapable de la lâcher. (…) Elle avait des marques rouges sur les bras, là où il l’avait agrippée. Elles vireraient au noir dans les heures qui suivraient. Les traces des autres hommes formaient des fleurs sombres et violettes, bleues et jaunes, des pétales flous prisonniers sous la blancheur de sa peau. (…)
Il était en nage, elle aussi, et ils se séparèrent lentement, à contrecœur. Elle avait les yeux bouffis et voilés, comme du miel sauvage. Son visage à quelques centimètres du sien, elle chuchota :
– Comment te sens-tu ?
– Très mal, répondit-il sincèrement.
Il avait la voix rauque comme s’il avait hurlé (peut-être avait-ce été le cas). (…) Il s’éclaircit la gorge, incapable de détacher son regard du sien. (…)
– Et toi ?
Elle avait tressailli quand il l’avait touchée, mais ses yeux étaient toujours fixés sur lui. Il eut l’impression qu’elle contemplait un point au-delà, à travers lui, puis son regard se fit plus net et, pour la première fois depuis qu’il l’avait ramenée à la maison, elle le vit vraiment.
– En sécurité, répondit-elle enfin.
Elle ferma les yeux, et son corps se relâcha d’un seul coup, devenant aussi mou et lourd que celui d’un lièvre rendant son dernier souffle. Il la tint, la ceignant des deux bras comme s’il cherchait à la sauver de la noyade, tout en la sentant sombrer malgré tout. Elle s’enfonçait dans les profondeurs du sommeil. Il aurait voulu la retenir, souhaitant qu’elle guérisse, craignant qu’elle ne s’enfuie. Il enfouit son visage dans ses cheveux et son odeur. (…)
Il pleura sans bruit, ses muscles tendus jusqu’à la douleur pour ne pas trembler, ne pas la réveiller et qu’elle le voit ainsi. Il pleura jusqu’à ce que l’oreiller soit trempé sous sa joue. Puis il fut envahi d’une fatigue au-delà de l’épuisement, si loin du sommeil qu’il ne se souvenait plus de ce que dormir signifiait. Son seul réconfort était le poids si fragile étendu contre son cœur, respirant profondément.
Soudain, elle leva les mains et les reposa sur lui. Sa blancheur était aussi propre que la neige silencieuse qui recouvre les vestiges calcinés et le sang, répandant la paix sur le monde.
Chapitre 31 p367 Les tentations cherokees
Je demeurai assise sur le bord du lit, me balançant doucement, espérant trouver la force de me déshabiller. Il se passa plusieurs minutes avant que je remarque Jamie attendant sur le seuil de notre chambre.
– Euh… qu’est-ce que tu fais ? demandai-je.
– Je ne sais pas. Tu veux que je reste avec toi, ce soir ? Si tu préfères dormir seule, je prendrai le lit de Joseph. Ou sinon, je peux me coucher par terre, près du lit.
Pendant un instant, silencieuse, je jaugeai ces différentes solutions.
– Non, reste. Je veux dire, dors avec moi. (…) Au moins, tu chaufferas le lit.
Il eut une expression des plus étranges, entre la gêne et une consternation amusée, avec en plus, l’air qu’il aurait eu, conduit au bûcher : un héroïsme résigné. (…)
– Qu’est-ce qui t’arrive, encore ?
L’embarras prit le dessus : le bout de ses oreilles et ses joues se mirent à rougir. (…)
– Je ne voulais pas te le dire, bougonna-t-il. J’ai fait jurer à Ian et à Roger Mac de garder le secret.
– Tu peux compter sur ces deux-là, de vraies tombes ! (…) Qu’est-ce qui se passe ?
– Euh… et bien, c’est la faute de Tsisqua, vois-tu ? La première fois, c’était un geste d’hospitalité, mais quand Ian lui a dit… ce n’était sans doute pas ce qu’il y avait de plus malin à lui raconter, compte tenu des circonstances, mais bon… Puis, à notre seconde visite, elles ont remis ça, sauf que ce n’étaient pas les mêmes. Quand j’ai essayé de les faire partir, elles m’ont répondu que Bird avait dit que c’était pour honorer mon vœu, car quelle est la valeur d’un vœu quand ça ne te coûte rien de le respecter ? Je ne sais pas s’il le pensait réellement ou s’il essayait de me faire craquer afin d’avoir définitivement le dessus sur moi, ou s’il espérait que je lui donnerais les fusils qu’il réclame pour mettre un terme à tout ça ; à moins qu’il se soit tout simplement payé ma tête. Même Ian n’arrive pas à deviner où il voulait en venir et il…
– Jamie, qu’est-ce que tu me racontes ?
– Ah… euh… des femmes nues.
Cette fois, il était cramoisi. Je le dévisageai un instant. Mes oreilles bourdonnaient un peu, mais mon ouïe était tout à fait normale. Je pointai un doigt vers lui, articulant lentement :
– Toi, viens ici tout de suite. Assieds-toi (je tapotai le lit à mes côtés) et explique-moi avec des mots simples, monosyllabiques, ce que tu as fabriqué.
Il s’exécuta et, cinq minutes plus tard, j’étais allongée sur le dos, me tordant de rire et gémissant de douleur en tenant mes côtes fêlées. Les larmes coulaient le long de mes tempes et dans mes oreilles.
– Oh, mon Dieu, oh, mon Dieu, oh, mon Dieu ! C’est trop ! Tu me tues ! Aide-moi à me redresser. (…)
Je parvins non sans mal à retrouver la position assise, un oreiller coincé sur le ventre, que je serrai de plus en plus fort chaque fois qu’une nouvelle crise de rire me prenait.
– Je suis ravi que tu trouves ça drôle, Sassenach. Tu es sûre que ce n’est pas une crise d’hystérie ? (…)
– Non, non, pas du tout. Ouille, ouille, ouille, qu’est-ce que ça fait mal ! (…) Maintenant, je comprends pourquoi tu reviens toujours des villages cherokees dans un tel état de… de… (…) Et moi qui croyais que c’était de penser tout le temps à moi qui te faisait un tel effet !
Il sourit, reposa le verre, se leva et repoussa le couvre-lit. Puis il me dévisagea et déclara :
– Claire, c’était toi. Ça a toujours été toi et ça le sera toujours. Mets-toi au lit et souffle la chandelle. Dès que j’aurai fermé les volets, étouffé le feu et verrouillé la porte, je viendrai te tenir chaud.
Chapitre 33 p384 Meurtre de Brown par Mme Bug
Elle ferma les yeux, perdant un peu l’équilibre, et pressa une main sur sa poitrine
– Je n’ai pas pu m’arrêter, monsieur. Ça a été plus fort que moi.
Pendant ses explications, Jamie s’était tenu droit devant elle, le regard fulminant. Il se tourna brièvement vers moi, et ma face bouffie lui confirma les faits. Il pinça les lèvres.
– Rentrez chez vous, dit-il enfin. Racontez à votre mari ce que vous avez fait, puis envoyez-le-moi. (…) Évitant de me regarder, Mme Bug se leva d’un pas chancelant et sortit, marchant comme une aveugle.
– Tu avais raison, je suis désolée.
Je me tenais sur le seuil de son bureau, appuyée au chambranle. Il était assis, les coudes sur sa table, la tête dans les mains.
– Je croyais t’avoir interdit d’être désolée, Sassenach ?
Un léger sourire aux lèvres, il m’examina des pieds à la tête et s’inquiéta :
– Bon sang, Claire, tu tiens à peine debout ! Viens t’asseoir.
Il m’installa dans son fauteuil, s’agitant autour de moi.
– Je demanderais bien à Mme Bug de te préparer quelque chose, mais je l’ai renvoyée chez elle. Tu veux un peu de thé ?
J’avais été sur le point de pleurer, mais me mis à rire.
– On n’en a plus depuis des mois. Je vais bien, je suis juste… sous le choc.
– Tu saignes un peu.
Anxieux, il sortit un mouchoir froissé de sa poche et me tamponna les lèvres.
Chapitre 35 p404 Marsali et le désarroi de Fergus après l’attaque de la malterie
Je lui expliquai de mon mieux.
– Ce n’est peut-être rien, je l’espère, mais elle réclame Fergus. Elle dit qu’il l’évite, se sentant coupable pour ce qui est arrivé à la malterie.
– Oui, c’est normal.
– Normal ? Mais pourquoi Dieu ! Ce n’était pas sa faute, voyons !
Il me regarda comme si je n’avais pas compris une évidence qui aurait sauté aux yeux d’un débile profond.
– Tu crois que cela change quelque chose ? Et si la petite meurt ou si l’enfant a un problème, tu ne penses pas qu’il se le reprochera ?
– Il a tort. Pourtant, il est évident qu’il s’en veut. Mais toi, par exemple…
Je m’interrompis, me souvenant qu’il se l’était reproché lui aussi. Il me l’avait avoué, très clairement, la nuit où il m’avait ramenée. Il vit ce souvenir traverser mon regard et esquissa un sourire douloureux. Il caressa la cicatrice sur mon arcade sourcilière.
– Tu crois que je ne l’ai pas senti quand tu as reçu ce coup, ou les autres ?
Je secouai la tête, non pas en signe de négation mais d’impuissance.
– Un homme doit protéger sa femme, conclut-il en tournant les talons. Je vais chercher Fergus.
Chapitre 44 p505 Agent auprès des Indiens, les prévenir des futures exterminations
Ils restèrent silencieux un moment, chacun fixant le feu, chacun voyant sa propre vision du futur ou du passé. Enfin, Oiseau, l’air très contemplatif, questionna Jamie :
– Cette femme que tu as, tu l’as payée cher ?
Jamie fit une moue ironique, provoquant le rire des deux autres.
– Elle m’a coûté jusqu’à mon dernier sou, mais elle en valait la peine.
(p520) Traumatisme et suites
Je hurlai de toutes mes forces, mes nerfs se souvenant, pendant un instant horrible, d’une autre main qui s’abattait sur moi, me frappait… Je la frappai à mon tour, la terreur redoublant mes forces. Je tapai et hurlai, un vague vestige de raison dans mon esprit m’observant, stupéfait, consterné, mais incapable d’arrêter cette panique animale, cette fureur irrationnelle qui jaillissait des profondeurs d’un puits insoupçonné. Je martelai l’air devant moi à l’aveuglette, hurlant comme une possédée, tout en me demandant : « Qu’est-ce qui me prend ? » Puis un bras se glissa autour de ma taille, et je fus soulevée de terre. Une nouvelle vague de panique me parcourut, puis je me retrouvai seule, indemne. Je me tenais près de la penderie, oscillant, comme ivre. Planté devant moi, les bras écartés, Jamie me protégeait. Il parlait très calmement, mais j’avais perdu la faculté de comprendre. Je pressai les mains sur le mur derrière moi, trouvant un réconfort dans la masse solide.
Chapitre 47 p529 Fessée et possession
Le feu me monta aux joues. Il m’avait un jour cinglé les fesses avec une ceinture. Sur le moment, j’avais eu envie de le tuer, et le simple souvenir réveillait en moi des pulsions assassines. Toutefois, je n’étais pas idiote au point de comparer son geste avec les agissements d’un homme moderne se défoulant sur sa femme. À mon expression, il devina à quoi je pensais et sourit benoîtement.
– Oh, fit-il.
– Oui, « Oh ». Tu peux le dire !
J’étais parvenue à chasser cet épisode extrêmement humiliant de mon esprit et n’appréciais pas du tout de le voir resurgir. Lui, de son côté, paraissait trouver ce souvenir plaisant. Me souriant avec un air que je trouvais totalement insupportable, il déclara :
– Tu hurlais comme une banshee !
– Et pour cause !
– En effet. Cela dit, c’était ta faute.
– Ma f… ?
– Absolument.
– Tu t’es excusé ! Tu ne peux pas prétendre le contraire !
– Non, ce n’est pas vrai. Et c’était quand même ta faute. Je n’aurais pas été obligé de te corriger si tu m’avais écouté quand je t’ai demandé de t’agenouiller et de…
– T’écouter ! Parce que tu t’imaginais que j’allais docilement capituler et te laisser…
– Tu n’as jamais compris le principe de la docilité, Sassenach.
Il me prit le bras pour m’aider à franchir l’échalier, mais je me dégageai brusquement, suffoquant d’indignation.
– Espèce de brute d’Écossais !
Je laissai tomber la ruche à ses pieds, relevai mes jupes et escaladai la clôture.
– Je n’ai jamais recommencé, protesta-t-il. J’ai promis, non ?
Sautant de l’autre côté, je me retournai pour le fusiller du regard.
– Uniquement parce que j’ai menacé de t’arracher le cœur si tu levais de nouveau la main sur moi.
– Peut-être, mais… j’aurais pu, tu le sais bien, Sassenach.
Il cessa de sourire, mais il y avait toujours dans ses yeux cette même lueur. Je pris une grande inspiration, essayant simultanément de contrôler ma colère et de trouver une réplique cinglante. J’échouai dans un cas comme dans l’autre et, après un « Hmph ! » digne, je tournai les talons. J’entendis le bruissement de son kilt quand il ramassa la ruche et sauta pardessus la clôture. Il me rattrapa en quelques enjambées. Je ne lui adressai pas un regard, les joues toujours en feu. Le plus rageant, c’était qu’il disait vrai, je ne le savais que trop. Utilisant la ceinture de son épée, il m’avait frappée avec une telle énergie que je n’avais pas pu m’asseoir pendant plusieurs jours… et, s’il décidait de remettre ça, je ne pourrais absolument pas l’en empêcher. La plupart du temps, je parvenais à oublier que je lui appartenais légalement, mais cela n’en demeurait pas moins un fait, et il en était conscient.
(…) De son côté, sa pensée suivait un autre cours. Songeur, il déclara soudain :
– C’est très étrange. Laoghaire me rendait souvent fou, mais il ne m’est jamais venu à l’idée de la corriger.
Je n’aimais pas l’entendre parler de cette femme, quel que soit le contexte.
– Quelle négligence de ta part !
Il ne sembla pas remarquer mon sarcasme.
– Je crois que c’est parce que je ne l’aimais pas assez pour y penser, et encore moins pour le faire.
– Tu ne l’aimais pas assez pour la battre ? Quelle veinarde !
Cette fois, il perçut mon ton acerbe et me dévisagea.
– Pas pour la blesser, dit-il.
Il sourit, se leva et s’approcha de moi. Il me hissa sur mes pieds et, prenant mon poignet, levant doucement un de mes bras au-dessus de ma tête, me plaquant contre le tronc de l’arbre sous lequel j’avais été assise.
– Pas pour la blesser, répéta-t-il d’une voix douce. Pour la posséder. Je ne voulais pas d’elle. Toi, mo nighean donn, tu m’appartiens.
– Je t’appartiens ? Que dois-je comprendre par là, exactement ?
– Ce que je viens de dire.
En dépit de la lueur taquine dans ses yeux, il était très sérieux.
– Tu es à moi, Sassenach. Et je suis prêt à accomplir n’importe quoi pour que cela soit clair.
– Je vois. Y compris me battre régulièrement ?
– Non, pas ça. Je n’en ai pas besoin, parce que je peux le faire, Sassenach. Tu le sais très bien.
Je tentai de me dégager, par pur réflexe. Je me souvenais très bien de cette nuit à Doonesbury. De la sensation de m’être débattue de toutes mes forces, en vain. De l’impression horrible d’être clouée sur le lit, sans défense et vulnérable, consciente qu’il pouvait me faire tout ce qu’il voulait… et qu’il le ferait. Je gigotai violemment, autant pour chasser cette image que pour me libérer de son emprise. N’y parvenant pas, j’enfonçai mes ongles dans sa main. Il ne tiqua pas et soutint mon regard. De son autre main, il m’effleura le lobe de l’oreille. Il n’en fallait pas plus pour me démontrer qu’il pouvait me toucher partout, comme bon lui semblait. De toute évidence, les femmes sont capables de suivre une pensée rationnelle tout en étant sexuellement excitées, car c’était précisément ce qui m’arrivait. Mon cerveau tentait de réfuter toutes sortes de choses, y compris la moitié des paroles de Jamie prononcées au cours des dernières minutes. Parallèlement, l’autre extrémité de ma moelle épinière était non seulement agitée par une lubricité éhontée à l’idée d’être physiquement possédée, mais liquéfiée par un désir délirant qui me poussait à avancer les hanches et à les frotter contre les siennes. Son autre main saisit la mienne, et nos doigts s’entrecroisèrent. Il chuchota :
– Si tu me demandais de te libérer, Sassenach, tu crois que je le ferais ?
Je pris une grande inspiration, mes seins se gonflant contre son torse. Je ne m’étais pas rendu compte qu’il se tenait aussi près. Je fixai ses yeux et sentis mon agitation retomber doucement, se transformant en conviction, lourde et chaude dans le creux de mon ventre. Son corps oscillait contre le mien ; le pouls que j’apercevais dans son cou battait en rythme avec l’écho de mon cœur. Nous nous touchions à peine, ne remuant pas plus que les feuilles au-dessus de nous, soupirant dans la brise.
– Je ne te le demanderais pas, répondis-je. Je te l’ordonnerais et tu m’obéirais. Tu ferais ce que je te dis de faire.
– Vraiment ?
Son visage était si proche que je sentis son sourire plutôt que je le vis.
– Oui.
Je libérai ma main et caressai du pouce le lobe de son oreille et son cou.
– Oui, répétai-je. Parce que tu m’appartiens, toi aussi… Tu es mon homme. N’est-ce pas ?
– Oui, je t’appartiens, murmura-t-il dans mon oreille. Il baissa la tête, et ses lèvres effleurèrent les miennes.
– Je le sais très bien, mo nighean donn.
Chapitre 56 p661
– Je peux t'entendre réfléchir, Sassenach. Qu'y a-t-il ?
Il paraissait paisible, au bord du sommeil. Je caressai doucement son bras.
– Je pensais au goudron et aux plumes. Jamie, le moment est venu.
– Je sais.
Des hommes éméchés passèrent dans la rue, chantant en chœur. La lueur de leurs torches illumina le plafond un instant, puis disparut. Je sentais que Jamie les observait lui aussi, écoutant les voix éraillées s'éloigner dans la nuit. Il ne dit rien et, au bout d'un moment, son grand corps lové contre le mien se détendit, sombrant de nouveau dans le sommeil. Sans savoir s'il m'entendait toujours, je lui chuchotai :
– À quoi penses-tu ?
– Je me disais que tu aurais fait une prostituée formidable, Sassenach, si tu avais été de mœurs légères.
– Quoi ?
– Mais je suis ravi que ce ne soit pas le cas.
L'instant suivant, il se mit à ronfler.
Chapitre 64 p718 Claire, cheveux courts… relevée de sa fièvre quasi mortelle
Je parvins à lever une main pendant quelques secondes, mais j'étais trop faible pour redresser la tête. Roger me hissa en position assise, me calant contre des oreillers et, me soutenant d'une main dans la nuque, tint une tasse d'eau devant mes lèvres sèches. Ce fut l'étrange sensation de sa paume contre ma peau nue qui déclencha un vague processus de prise de conscience. Puis, ses doigts chauds contre l'arrière de mon crâne. Je bondis tel un saumon ferré, envoyant voler la tasse.
– Quoi ? Quoi ? balbutiai-je.
Je pris ma tête entre mes mains, trop choquée pour formuler une phrase entière et sentant à peine l'eau froide traverser le drap.
– QUOI ?
Roger paraissait presque aussi offensé que moi. Il chercha ses mots, bégayant :
– Je... je... je croyais que... que vous saviez. Vous ne... ? Enfin... ce... ce n'est pas si grave. Ils... ils repousseront. (…)
Tout l'espace dans mon esprit était occupé par la disparition de la masse lourde et douce de mes cheveux, remplacée par un tapis de crins drus.
– Malva et Mme Bug vous les ont coupés avant-hier. Nous... nous n'étions pas là, Brianna et moi, autrement, nous ne les aurions pas laissé faire. Elles pensaient que c'était bon pour calmer une forte fièvre. C'est la pratique, ici. Brianna était furieuse contre elles, mais elles croyaient... elles croyaient aider à vous sauver la vie. Oh, Seigneur, Claire... ne faites pas cette tête !
Il s'effaça derrière un rideau de larmes qui se referma soudain pour me protéger du regard du monde. Je n'avais pas conscience de pleurer. Le chagrin s'échappait simplement de moi comme d'une gourde transpercée d'un coup de couteau.
– Je vais chercher Jamie ! déclara-t-il précipitamment.
– NON !
Je le retins par la manche avec une force que je n'aurais jamais imaginé posséder.
– Non ! Je ne veux pas qu'il me voie ainsi !
Il ne répondit pas, et je m'accrochai obstinément à son bras, le seul moyen que je trouvais pour tenter d'éviter l'impensable.
– Il... euh... vous a vue.
Il baissa les yeux, évitant mon regard.
– Je veux dire... il vous a déjà vue.
Ce fut un choc presque aussi brutal que ma découverte initiale.
– Que... qu'est-ce qu'il a dit ?
l releva lentement les yeux, comme un homme craignant de regarder Méduse en face. Ou plutôt l'anti-Méduse. Avec douceur, il posa une main sur mon bras.
– Il n'a rien dit. Il a ... juste pleuré.
(p721)
Après m'être vue, ma résolution était moins ferme, sans compter que je devais bien reconnaître que j'avais un peu froid à la tête. D'un autre côté, en me voyant capituler, Jamie aurait été très inquiet, et, ces derniers temps, je l'avais suffisamment effrayé, à en juger par ses joues creuses et les profonds cernes sous ses yeux. De fait, son visage s'illumina quand je refusai son offre, et il jeta le bonnet de côté. Je reposai le miroir, face cachée, sur le couvre-lit.
– Ma seule consolation, c'est la tête des gens quand ils entrent dans la chambre et me voient. C'est comique !
– Tu es très belle, Sassenach.
Là-dessus, il éclata de rire. Surprise, je repris le miroir, me regardant de nouveau, ce qui l'acheva : il était plié en deux de rire et se tenait les côtes. (…) Toujours hilare, Jamie prit ma main et la baisa. La chaleur du contact de sa peau hérissa le duvet de mon avant-bras, et mes doigts se refermèrent sur les siens.
– Je t'aime, chuchota-t-il.
(p730) Tentative de suicide de Fergus
– Tu ne sais donc pas ? Il n'y en a pas un parmi vous qui le sait ? Ce n'est pas ce que l'on donne, ce que l'on fait ou ce que l'on apporte qui est important. C'est soi-même. C'est vous. C'est toi.
– Je sais. C'est ce que j'ai dit à Fergus. Ou du moins, je le crois. Je lui ai parlé de tant de choses !
Ils s'étaient agenouillés près de la source, s'étreignant, trempés de sang et d'eau. Il l'avait serré contre lui comme s'il cherchait à le rattacher à la terre, à sa famille, à la vie par la seule force de sa volonté. Emporté par la passion du moment, il ne se souvenait plus de ses paroles. Seules celles de la fin. Le visage de Fergus pressé contre son épaule, ses cheveux noirs froids contre sa joue, il lui avait chuchoté :
– Tu dois tenir bon, pour eux, même si tu n'en as pas envie pour toi. Tu comprends, mon enfant, mon fils ? Comprends-tu ?
Il marqua une pause avant de reprendre doucement :
– C'est que, tu vois, je savais que tu étais en train de mourir. J'étais sûr qu'en rentrant à la maison, tu ne serais plus là et que je me retrouverais tout seul. Je ne m'adressais pas qu'à Fergus, mais aussi à moi-même.
Il redressa la tête et me regarda à travers un rideau de larmes et de rires.
– Oh, Claire, si tu étais morte et que tu m'avais abandonné, je t'en aurais tellement voulu !
Chapitre 65 p742
Jamie ouvrit le lit d'un coup sec.
– Mais qu'est-ce qui t'a pris, bon sang, Sassenach !
– Mais... je me sens très bien et...
– Très bien ? Tu as le teint couleur de lait tourné, et tu trembles tellement que... Ah ! Laisse-moi faire.
Tout en grognant, il écarta mes mains et dénoua les lacets de mes jupons.
– Tu as perdu la raison ou quoi ? Filer en douce sans prévenir personne ? Si tu étais tombée ? Si tu t'étais sentie mal de nouveau ?
– Si j'avais prévenu quelqu'un, on ne m'aurait pas laissée sortir. Et je te rappelle que je suis médecin. Je suis tout à fait capable de juger mon propre état de santé.
Son regard me suggéra clairement qu'il ne m'estimait même pas capable de juger un concours floral. Il me souleva de terre, me porta jusqu'au lit et m'y déposa avec délicatesse tout en maugréant qu'il ferait sans doute mieux de me balancer par la fenêtre. Puis il se redressa et me toisa d'un air menaçant.
– Si tu ne paraissais pas sur le point de tourner de l'œil, je te retournerais comme une crêpe et te donnerais une bonne claque sur les fesses.
– Tu ne peux pas, je n'en ai plus.
Il est vrai que j'étais plutôt faible. Mon cœur palpitait et mes oreilles bourdonnaient. (…) Dans cette confusion de sensations, je sentis vaguement des mains sur mes jambes, puis un courant d'air agréable sur mon corps brûlant. Quelque chose de chaud enveloppa ma tête, et je battis des mains, essayant de m'en débarrasser avant d'étouffer. J'émergeai, hors d'haleine, pour découvrir que j'étais nue. Baissant les yeux, je vis mon corps squelettique, pâle et flasque, et tirai rapidement sur le drap pour me couvrir. Jamie était en train de ramasser ma robe, mes jupons et ma veste sur le sol, les ajoutant à ma chemise pliée sur son avant-bras. Il saisit également mes chaussures et mes bas, et versa le tout dans un sac. Puis, il se tourna vers moi en pointant un doigt accusateur.
– Toi, tu n'iras plus nulle part ! Tu n'as pas le droit de te tuer, je me suis bien fait comprendre ? (…)
– Il me semble me souvenir d'une certaine abbaye en France. Ainsi que d'un jeune homme très têtu et très mal en point. Et de son ami Murtagh qui lui avait volé tous ses vêtements afin qu'il ne puisse se lever et errer dans la nature avant d'être guéri. (…) Or, si je me souviens bien, cela ne t'a pas empêché de filer par la fenêtre et de décamper. Nu comme un ver, en plein hiver. (…)
– J'avais vingt-quatre ans. À cet âge, on ne réfléchit pas. (…)
Il poussa un profond soupir et vint s'asseoir sur le lit, faisant grincer le sommier sous son poids. Il prit ma main et la tint, tel un objet précieux et fragile. Il caressa doucement ma paume avec son pouce, allant et venant de la première phalange de mon majeur à la naissance du cubitus. (…) La lumière fit scintiller mon alliance en argent. Il la saisit entre le pouce et l'index, et la fit coulisser de haut en bas sur mon annulaire. Elle était si lâche qu'elle glissait facilement sur l'articulation.
– Attention. Je ne veux pas la perdre.
– Tu ne la perdras pas.
Il replia mes doigts et resta silencieux de longues minutes. Nous contemplâmes les derniers rayons solaires battre en retraite sur le rebord de la fenêtre. (…)
– Voir le soleil se lever et se coucher est un grand réconfort, dit soudain Jamie. Quand je vivais dans ma grotte, ou quand j'étais en prison, cela me redonnait espoir. La lumière qui allait et venait me rappelait que le monde poursuivait sa course comme à l'accoutumée. (…) J'ai la même impression quand je t'entends t'affairer dans ton infirmerie, Sassenach. Quand je t'entends remuer tes flacons et jurer toute seule.
Il tourna vers moi ses yeux de la même couleur que la nuit tombante.
– Si tu n'étais plus là, le soleil ne pourrait plus se lever ni se coucher.
Il leva ma main et la baisa, puis il la reposa sur ma poitrine, refermée sur mon alliance, et sortit.
Chapitre 68 p752 Un petit caillou de plus, un mystère, un indice ?
Il souffla la mèche et annonça d'une voix ferme :
– Quoi qu'il arrive, je ne toucherai pas au diamant noir. Il est pour toi.
Je le fixai, interdite.
– Que veux-tu dire ?
– Si je venais à être tué, tu l'utiliseras pour partir. Retourne à travers les pierres.
– Quoi ? Mais... je ne suis pas sûre d'en avoir envie.
Je n'aimais pas aborder l'éventualité de son décès, mais il était inutile de se voiler la face. Batailles, maladies, emprisonnement, accidents, assassinat...
– Brianna et toi n'arrêtez pas de m'interdire de mourir, repris-je. J'en ferais autant avec vous si j'avais le moindre espoir d'être écoutée.
Cela le fit sourire.
– J'écoute toujours ce que tu me dis, Sassenach. Mais l'homme propose, et Dieu dispose. Or, s'il juge bon de me rappeler à lui, tu rentreras.
(…)
Il me dévisagea, songeur, semblant hésiter à m'avouer quelque chose. Je commençais à avoir la chair de poule. Enfin, il secoua la tête et répondit :
– Je ne sais pas. Mais je t'ai vue, là-bas.
– Tu m'as vue où ?
Il fit un geste vague vers la fenêtre.
– Là-bas. J'ai rêvé de toi. Je ne savais pas où j'étais. Mais je savais que c'était là-bas, dans ton temps.
Cette fois, tous les poils de mon corps se hérissèrent.
– Comment le sais-tu ? Qu'est-ce que je faisais ?
Il plissa le front.
– Je ne m'en rappelle plus, mais j'ai su que j'étais dans ton époque, à la lumière. Oui, c'est ça ! Tu étais assise à ton bureau, tenant un objet à la main, peut-être une plume. Il y avait de la clarté partout autour de toi, sur ton visage, tes cheveux. Mais elle ne provenait ni d'une chandelle, ni d'un feu, ni du soleil. Je me souviens d'avoir pensé : « Alors, c'est ça, la fameuse lumière électrique ! »
Je le fixai, médusée.
– Comment peux-tu reconnaître en rêve ce que tu n'as jamais vu dans ta vie réelle ?
– Je rêve tout le temps de choses que je n'ai jamais vues, Sassenach, pas toi ?
– Oui, parfois. De monstres, de plantes étranges, de paysages bizarres. Et de gens que je ne connais pas. Mais là, c'est différent. Tu as entendu parler d'électricité, mais tu ne l'as jamais vue.
– Peut-être que ce n'en était pas, admit-il, mais, sur le coup, j'ai pensé à ça. En outre, j'étais certain d'être à ton époque. Après tout, je rêve du passé, pourquoi ne rêverais-je pas du futur ?
Je ne trouvai rien à répondre à cette logique toute celtique.
– Mmmoui, pourquoi pas, dis-je sceptique. Quel âge avais-je ?
Il parut surpris, puis indécis. Il scruta mon visage comme pour le comparer à une image mentale. Pour la première fois, il ne paraissait pas sûr de lui.
– En fait... je ne sais pas. Je n'y ai pas réfléchi. Je n'ai pas remarqué de cheveux blancs ni aucun détail frappant. C'était juste... toi.
Chapitre 80 p897 Malva et Mary MacNab : confiance et confidence
Il se tourna vers moi. J'avais beau contrôler mon expression et mes émotions, il me connaissait trop. Dès qu'il avait prononcé les mots « Je suis désolé », j'avais eu envie de vomir.
– Quoi que je dise, je donne l'impression de me défendre ou de m'excuser. Et je ne le ferai pas.
J'émis un son étranglé, et il me regarda, répétant sur un ton plus véhément :
– Je ne le ferai pas ! Il n'y a aucun moyen de nier une accusation pareille sans susciter un doute nauséabond. Je ne vais pas m'excuser pour quelque chose que je n'ai pas fait ; sinon, tu douterais encore plus de moi.
Je commençai à respirer un peu mieux.
– Tu n'as pas beaucoup confiance en ma fidélité envers toi.
– Si je n'avais pas confiance, Sassenach, je ne serais pas là.
Il m'observa quelques secondes, puis prit ma main. Mes doigts s'enroulèrent aussitôt autour des siens, grands et froids, qui me serrèrent très fort. J'ai cru que mes os allaient se briser. Il prit une grande inspiration, presque un hoquet, puis ses épaules se détendirent.
– Tu n'y as pas cru ? Pourtant, tu t'es enfuie.
– J'étais choquée.
Quelque part au fond de moi, je me dis aussi que si j'étais restée, j'aurais été capable de la tuer.
– Je comprends. Je me serais sans doute enfui, si j'avais pu.
Une petite pointe de remords s'ajouta à la surcharge de mes émotions. Ma fuite précipitée n'avait guère arrangé la situation. Cependant, il ne me faisait aucun reproche. Il se contenta de répéter :
– Tu n'y as pas cru ?
– Je n'y crois pas.
– Maintenant. Mais sur le coup ?
Je resserrai la cape autour de mes épaules.
– Non. Je n'y ai pas cru, mais je ne savais pas pourquoi.
– Maintenant, tu sais ?
Je me tournai vers lui, le regardant dans le blanc des yeux.
– Jamie Fraser, si tu étais capable d'une telle chose... je ne parle pas de coucher avec une autre femme, mais de me mentir... alors, tout ce que j'ai fait et tout ce que j'ai été, ma vie tout entière, n'aurait été qu'un long mensonge. Et je ne suis pas prête à l'admettre.
Il fut légèrement surpris.
– Que veux-tu dire, Sassenach
J'agitai la main vers le sentier, vers la maison qui était invisible plus haut derrière les arbres, vers le rocher blanc, une forme floue dans la pénombre.
– Je ne suis pas d'ici. Brianna, Roger... eux non plus. Jemmy ne devrait pas être ici. Il devrait regarder des dessins animés à la télévision, dessiner des voitures et des avions avec des crayons de couleur et non pas apprendre à manier des fusils plus grands que lui et à vider les viscères de chevreuils. Si nous avons tous atterri ici, c'est parce que je t'aimais, plus que ma vie. Et parce que j'étais convaincue que tu m'aimais de la même manière. Tu veux me dire que je me suis trompée ?
Il attendit quelques instants avant de répondre. Ses doigts se resserrèrent sur les miens.
– Non. Je ne te dirai pas ça. Jamais, Claire.
– Tant mieux.
Toute l'anxiété, la fureur et la peur qui s'étaient accumulées au cours de l'après-midi me quittèrent aussitôt. Je posai ma tête sur son épaule et humai son odeur âcre : il sentait la pluie, la peur et la colère. Désormais, il faisait complètement nuit. (…)
– Claire ? interrogea doucement Jamie. (…) J'ai quelque chose à te dire.
Mon sang se figea. Je m'écartai lentement de lui et me redressai.
– Ne me fais pas un choc pareil. J'ai l'impression d'avoir reçu un coup de poing dans le ventre.
– Je suis désolé.
Je serrai mes genoux contre moi, m'efforçant de refouler un haut-le-cœur.
– Tu as dit tout à l'heure que si tu t'excusais, cela signifiait que tu avais une action à te reprocher.
– C'est le cas.
Ses doigts tambourinaient contre sa cuisse. Il hésita un instant, puis déclara :
– Je ne connais pas une bonne manière d'annoncer à sa femme qu'on a couché avec une autre. Quelles que soient les circonstances. Je n'en vois vraiment pas.
Prise d'un soudain vertige, je fermai les yeux. Il ne parlait pas de Malva, cette question-là était réglée.
– Qui ? demandai-je de ma voix la plus calme possible. Et quand ?
– Euh... eh bien... quand... quand tu étais repartie, bien sûr.
– Qui ?
– C'était juste une fois. Je... je n'avais pas la moindre intention de...
– Qui ?
Il se gratta la nuque.
– Je ne veux surtout pas te contrarier, Sassenach, en ayant l'air de..., mais je ne veux pas non plus dire du mal de cette pauvre femme en laissant entendre qu'elle...
– QUI ? rugis-je en lui agrippant le bras.
– Tout doux ! ... Mary MacNab.
– Qui ? répétai-je surprise.
– Mary MacNab. Tu veux bien me lâcher, Sassenach ? Je crois que tu m'as transpercé la peau.
En effet, mes ongles s'étaient enfoncés dans son poignet. Je rejetai sa main et fermai la mienne, serrant mes bras autour de mes genoux pour m'empêcher de l'étrangler.
– Peut-on savoir qui est cette Mary MacNab ? questionnai-je entre mes dents.
– Tu la connais. La femme de Rab, celui qui est mort dans l'incendie de sa maison. Ils avaient un fils, Rabbie. Il était palefrenier à Lallybroch quand...
– Cette Mary MacNab ?
J'étais stupéfaite. Je me souvenais très vaguement d'elle. Elle était venue travailler comme femme de chambre à Lallybroch après la mort de sa brute de mari. Une petite femme toute sèche, épuisée par le dur labeur et la pauvreté, parlant peu, vaquant à ses tâches telle une ombre, à peine visible dans le chaos perpétuel de la vie chez les Murray. J'essayai en vain de me souvenir si je l'avais vue lors de ma dernière visite à Lallybroch.
– Je l'ai à peine remarquée. Mais, apparemment, ce n'est pas ton cas !
– Non, ce n'était pas ce que tu crois, Sassenach.
– Ne m'appelle pas ainsi.
Ma voix paraissait venimeuse même à mes propres oreilles. Il se massa le poignet en soupirant, à la fois frustré et résigné.
– C'était la nuit avant que je me rende aux Anglais.
– Tu ne m'as jamais dit ça !
– Dit quoi ?
– Que tu t'étais rendu aux Anglais. Je croyais que tu avais été capturé. (contradictoire avec une conversation à leurs retrouvailles, cf chapitre 26 tome 3, voir détail plus bas***)
– Oui, mais c'était organisé à l'avance, pour toucher la récompense. Mais ce n'est pas la question...
– Ils auraient pu te pendre ! « Et ça aurait été bien fait ! » lança une petite voix hystérique dans ma tête.
– Non, tu m'avais prévenu, Sasse... rnmphm. Et puis, de toute façon, je m'en fichais.
Je n'avais aucune idée de ce qu'il voulait dire par « tu m'avais prévenu », mais, actuellement, c'était le moindre de mes soucis.
– Laisse tomber. Je veux savoir...
– Mary MacNab, oui, je sais, je sais. Elle est venue me trouver, un soir, la veille de mon départ. Je vivais dans la grotte, près de Lallybroch. Elle m'a apporté mon dîner, puis... elle est restée.
Je me mordis la langue pour ne pas intervenir. Je le sentais rassembler ses pensées, cherchant ses mots.
– J'ai essayé de la renvoyer. Elle... elle m'a dit...
Il me regarda.
– Elle m'a dit qu'elle nous avait vus ensemble, Claire, et qu'elle savait reconnaître un amour vrai même si elle n'avait jamais connu cela elle-même. Elle n'avait aucune intention de trahir notre amour, mais elle voulait me donner... un petit quelque chose. Ce sont ses mots « un petit quelque chose qui pourrait vous être utile ». C'était... je veux dire, ce n'était pas...
Il s'interrompit et laissa retomber sa tête, les genoux fléchis contre lui.
– Elle m'a donné de la tendresse, dit-il enfin dans un souffle. Je... j'espère lui en avoir donné aussi.
Ma gorge était trop nouée pour pouvoir parler, et les larmes me piquaient les yeux. Je me souvins soudain de ses paroles au sujet du Sacré-Cœur, la nuit où j'avais opéré la main de Tom Christie, sur le fait d'avoir été si seul : « ... vivre un tel manque, et personne pour me toucher. » Il avait vécu sept ans dans cette grotte. Seul. Quelques centimètres nous séparaient, mais ils me paraissaient un gouffre infranchissable. Je posai ma main sur la sienne, le bout de mes doigts reposant sur ses articulations noueuses. Je pris une grande inspiration, puis deux, essayant de contrôler ma voix qui sortit néanmoins éraillée.
– Tu lui as donné de la tendresse, je le sais.
Il se tourna vers moi, et j'enfouis mon visage dans sa veste, ne retenant plus mes larmes.
– Oh, Claire, chuchota-t-il dans mes cheveux. Elle a dit... qu'elle voulait me garder en vie pour toi. Elle le pensait. Elle ne voulait rien pour elle-même.
Mes larmes redoublèrent. Je pleurais pour toutes ces années perdues, vides, couchée auprès d'un homme que j'avais trahi, pour lequel je n'avais pas de tendresse. Pour les terreurs, les doutes et les peines de la journée. Pour lui, pour moi, pour Mary MacNab qui savait ce que signifiait la solitude... et l'amour. Il me tapota le dos comme si j'étais une enfant, murmurant :
– J'aurais voulu te le dire plus tôt, mais... Ce n'est arrivé qu'une seule fois. Je ne savais pas comment te l'expliquer pour que tu comprennes.
Hoquetant, je me redressai enfin et m'essuyai le visage sur un pan de ma jupe.
– Je comprends. Je t'assure que je comprends.
C'était vrai. Je comprenais non seulement Mary MacNab, mais aussi pourquoi il me l'avait dit aujourd'hui. Il n'était pas obligé, je ne l'aurais jamais su. Il n'en avait pas d'autre besoin que la nécessité d'une honnêteté absolue entre nous... et le fait que je devais savoir qu'elle était bien réelle. Je l'avais cru au sujet de Malva. Mais, à présent, j'avais l'esprit certain... et le cœur en paix.
(…)
Jamie semblait en proie au même malaise. Puis, il se secoua et alla allumer une chandelle. Sa lueur vacillante ne fit qu'accentuer l'atmosphère étrange et creuse de la pièce. Il la tint à la main quelques minutes, indécis, puis la déposa au milieu de la table.
– Tu as faim, Sa... Sassenach ?
Il m'interrogea du regard, ne sachant pas si j'autorisais de nouveau l'usage de ce surnom. Je m'efforçai de lui sourire, sentant trembler la commissure de mes lèvres.
– Non. Et toi ?
Il fit non de la tête. Des yeux, il fit le tour de la pièce, cherchant une tâche à accomplir, puis saisit le tisonnier et remua les braises, les cassant en provoquant un nuage d'étincelles et de suie qui retomba dans l'âtre.
***
Conversation lors de leurs retrouvailles / tome 3 chapitre 26 (passage non traduit en français)
« Tu as vécu dans une grotte pendant un temps aussi non ? Nous avons retrouvé une histoire.
Ses sourcils se levèrent de surprise.
– Une histoire ? A propos de moi tu veux dire ?
– Tu es une célèbre légende des Highlands, lui dis-je avec humour, ou tu vas le devenir.
– Pour avoir vécu dans une grotte ? (…) Et bien, c'est un peu bête d'en faire tout une histoire non ?
– T'arranger pour être livré aux Anglais en échange de la prime, ça c'est un peu bête, dis-je encore plus ironiquement. Tu as pris un sacré risque là non ?
Le bout de son nez était tout rose et il avait l'air confus.
– Euh, et bien dit-il peu à l'aise, je ne pensais pas que la prison me serait mortelle, de toute façon, tout bien considéré.... (…)
– La prison, mes fesses oui ! Tu savais pertinemment que tu risquais la pendaison, non ? Et tu l'as fait de toute façon !
– Je devais faire quelque chose. Si les Anglais étaient assez bêtes pour payer de l'argent pour ma pauvre carcasse alors pourquoi pas ne pas en tirer profit, il n'y a pas de loi contre ça hein ?
– Je dirais que la question de savoir qui est l'idiot est ouverte à interprétation, dis-je sans le regarder. Mais bon, tu devrais savoir que ta fille est très fière de toi.
– Vraiment ? dit-il terrassé de surprise. (…)
– Bien sûr. Tu es un sacré héros après tout.
Il devint rouge comme une pivoine et se leva, décontenancé.
– Moi ? Non !
Il se passa la main dans les cheveux, une vieille habitude qui voulait dire qu'il était en train de réfléchir ou perturbé par quelque chose.
– Non, je veux dire... Je n'ai pas fait cela par héroïsme du tout. C'est juste que... Je ne pouvais plus supporter un instant de plus de les voir mourir de faim, de ne pas être capable de m'occuper d'eux- Jenny, Ian, les enfants... les métayers et leurs familles. (…) Je me suis dit qu'ils n'allaient pas me pendre à cause de ce que tu m'avais dit Sassenach mais même si j'avais su avec certitude que la pendaison m'attendait, je l'aurais fait. Ce n'était pas de la bravoure, loin de là. (…) Je ne pouvais rien faire d'autre !
– Je vois, dis-je doucement après un instant. Je comprends. »
Chapitre 81 p905 Roger et soupçons sur Jamie suite aux accusations de Malva
« Ce n'était pas impossible. » Cette idée revenait sans cesse l'agacer comme un caillou dans sa chaussure. Jamie était un homme d'honneur et il était dévoué à sa femme jusqu'à l'excès. Il avait été dans les affres du désespoir et de l'épuisement pendant la maladie de Claire. Roger avait eu peur pour lui autant que pour elle. Alors que celui-ci avait essayé de lui parler de Dieu et de l'éternité, et de le préparer à ce qui semblait inévitable, Jamie l'avait envoyé promener, avec une fureur noire à la seule idée que Dieu puisse lui enlever sa femme. Ensuite, il avait sombré dans une détresse totale quand Claire avait paru à l'article de la mort. Il n'était pas impossible qu'au milieu d'une telle désolation, l'offre d'un moment de réconfort physique se soit rendue un peu plus loin que prévu. Mais on était au début du mois de mai, et Malva Christie était enceinte depuis novembre. Or, Claire avait été malade à la fin septembre. Il se souvenait très nettement de l'odeur de champs brûlés dans la chambre le jour où elle avait brusquement rouvert les yeux, immenses et chatoyants, d'une beauté surprenante dans un visage d'ange androgyne. Donc, c'était absolument impossible. Personne n'était parfait, et n'importe quel homme pouvait avoir une faiblesse dans un moment extrême... une fois. Pas à répétition. Pas Jamie Fraser. Malva Christie était une menteuse.
Chapitre 87 p946 Attaque à la Grande maison
Jamie avait pris son coutelas et son épée, mais ne s'était pas changé. Il se tenait sur le perron, sa chemise tachée de sang, défiant quiconque d'oser s'en prendre à nous. D'une voix suffisamment forte pour se faire entendre de l'autre côté de la clairière, il déclara :
– Si vous voulez emmener ma femme, il faudra d'abord me passer sur le corps.
De toute évidence, ils ne demandaient pas mieux. Il ne s'était pas trompé sur le fait qu'Hiram s'opposerait à notre lynchage, mais l'opinion publique n'était clairement pas de notre côté.
Chapitre 94 p1004
Ian avait atteint la grille et palabrait avec le garde qui pointait son mousqueton vers lui, le maintenant à distance. Jamie voyait le soldat faire non de la tête. C'était absurde. Son besoin d'elle était physique, comme la soif d'un marin en mer depuis trop longtemps. Au cours de leurs années de séparation, il avait déjà ressenti ce désir. Souvent même. Mais pourquoi à présent ? Elle était en sécurité. Il savait où elle se trouvait. Était-ce seulement l'épuisement de ces dernières semaines ? Ou l'affaiblissement dû à l'âge qui rendait tous ses os douloureux comme si elle avait été arrachée à son corps ? Dieu n'avait-il pas modelé Ève avec une côte d'Adam ?
Chapitre 95 p1035
Il avait repris ses caresses à demi conscientes, lissant des mèches derrière mon oreille. Immobile, j'écoutai les battements de son cœur, ne voulant pas poser la question suivante, mais la sachant inévitable :
– Jamie, dis-moi qu'il n'a pas fait ces faux aveux pour moi, je t'en prie.
Par-dessus tout le reste, cette idée m'était insupportable. Ses doigts s'immobilisèrent sur mon oreille.
– Il t'aime. Tu le sais, n'est-ce pas ?
Je revis son regard gris et franc. Tom Christie était le genre d'homme qui pensait ce qu'il disait, et qui disait ce qu'il pensait. En cela, il était comme Jamie.
– C'est ce qu'il m'a dit.
Jamie demeura silencieux de longues minutes, puis tourna la tête, sa joue reposant sur mes cheveux.
– Sassenach... J'en aurais fait autant. En te sauvant la vie, j'aurais considéré que je donnais la mienne pour une bonne cause. S'il ressent cela, alors tu ne lui as causé aucun tort en le laissant te rendre ta vie.
Chapitre 119 p1192
La pierre était tiède. Je la caressai du pouce. Il s'agissait d'une gemme brute, de la taille d'une noisette.
– Jamie...
– Je t'aime, murmura-t-il si bas que je l'entendis à peine.
Je restai immobile, la pierre chauffant dans ma main. Ce devait sûrement être mon imagination, mais je la sentais palpiter en rythme avec mon cœur. Où l'avait-il dégottée ? Puis je me levai, un peu étourdie, mon corps glissant lentement hors du sien, et traversai la chambre. J'ouvris la fenêtre, le souffle froid du vent d'automne caressant ma peau chaude, et lançai la gemme de toutes mes forces dans la nuit. En revenant me coucher, j'aperçus dans le clair de lune la masse sombre de ses cheveux sur l'oreiller et l'éclat de ses yeux.
– Je t'aime, chuchotai-je en me collant à lui.
J'enroulai mon bras autour de lui et le serrai contre moi. Son corps plus chaud que la pierre, tellement plus chaud. Bientôt, son cœur se mit à battre avec le mien.
– Je ne suis plus aussi courageux qu'avant, tu sais, murmura-t-il. Plus assez courageux pour vivre sans toi. Mais encore assez pour essayer.
J'attirai sa tête contre moi et caressai ses cheveux, épais et lisses à la fois, vivants sous mes doigts.
– Rendors-toi, mon homme. L'aube est encore loin.
Chapitre 120 p1196 Départ de Roger, Brianna et Jemmy
Une éternité plus tard, je revins lentement à moi, descendant des nuages par petits morceaux, telle de la grêle. J'étais allongée, la tête sur les genoux de Jamie. Je l'entendis murmurer, sans savoir s'il me parlait ou s'adressait à lui-même :
– Pour toi seule, je continuerai... car si cela ne tenait qu'à moi... je ne pourrais pas.
(p1223)
– Tu peux au moins me promettre la victoire.
Il y avait une question dans cette affirmation. Je caressai son visage. La gorge nouée et la vue brouillée.
– Oui. Je peux te la promettre, cette fois.
Je ne mentionnai pas les lacunes dans cette promesse, ce qu'il m'était impossible de garantir. Ni la vie ni la sécurité ; ni un foyer ni une famille ; ni loi ni legs. Rien qu'une chose... ou deux.
– La victoire, repris-je. Et que je serai avec toi jusqu'à la fin.
Il ferma les yeux un instant. Les flocons de neige tombaient sur sa peau, s'accrochant une demi-seconde sur ses cils, blancs sur noir.
– Cela me suffit. Je n'en demande pas plus.