Il y a encore une fois de nombreux thèmes qui traversent la suite de cette histoire. Je reviens rapidement sur deux, la magie et la jalousie, avant d’aborder le cœur de cet article : la protection et les conflits. Exceptionnellement pour ce thème, j’ai fait figurer dans le texte les conflits en couleur, et ce sera en bronze.
La magie se manifeste peu, au-delà du principe des pierres, mais elle éclaire certains moments particulièrement émouvants. Il y a le spectre de Claire qui apparaît à Jenny lors du mariage de Jamie et Laoghaire à l’église ; puis Laoghaire qui ressent sa présence jusque dans son lit conjugal.
Il y a plus tard le fantôme de Dent de loutre lorsque Claire se perd seule, et son sauvetage inexplicable par l’apparition de ses mocassins à Jamie et Ian. Jamie connaît ses classiques en la surnommant Cendrillon, le conte a été publié par Charles Perrault en 1697…
Il y a enfin la présence de Frank, le soir de l’accouchement de Brianna. Claire s’entend souhaiter bonne nuit à Jamie d’un « Maintenant, dors. À chaque jour suffit sa peine. » qui résonne en elle : « A chaque jour suffit sa peine. Pourquoi avais-je dit cela ? C’était la phrase fétiche de Frank. L’air dans la chambre semblait vivant. Une brise agita les rideaux et un courant d’air frais caressa ma joue. Tu es déjà au courant ? murmurai-je. Tu sais qu’elle a eu un fils ? Il n’y eut pas de réponse mais, dans le calme de la nuit, je sentis une paix profonde descendre sur moi. »
La jalousie est désormais peu présente chez Claire, qui ne perd jamais son sens de l’humour et de l’autodérision, même lorsqu’elle évoque Laoghaire. Puis, lorsqu’elle héberge Lord John Grey et William, elle dépasse rapidement cette première impulsion pour entendre plutôt sa douleur d’être séparée de Brianna et son regret que Jamie ne connaisse jamais leur fille.
Puis l’histoire va progressivement réunir les 4 personnages principaux, Claire, Jamie, Brianna et Roger. Le chemin sera long, et l’amour qu’ils se portent met en œuvre de multiples déclinaisons de protections. Or ces intentions de protection vont engendrer des choix, des non-dits et des secrets, et mettre à jour leurs décalages dans la manière de vivre des valeurs parfois communes, parfois très différentes. Qu’ils relèvent de leur sexe ou de leur temps, ces écarts vont se télescoper jusqu’au conflit.
Les protections mutuelles, les non-dits et les secrets jusqu’à l’erreur.
Il y a d’abord la dispute de Brianna et Roger. Brianna découvre que Roger lui a dissimulé une information au sujet de ses parents, décidant ainsi à sa place pour la protéger, ou plutôt par peur de la perdre, la privant de son propre choix. La protection n’est peut-être qu’un prétexte pour habiller un choix plus égoïste.
Puis le viol de Brianna est l’événement déclencheur de choix individuels en cascade, jusqu’à l’erreur collective dont Roger paiera chèrement le prix.
Brianna garde pour elle l’agression qu’elle subit, elle ne la partage pas avec Lizzie, protégeant cette jeune fille apparemment trop fragile pour lui apporter soutien ou réconfort.
Lizzie déduit, sans le vérifier auprès de Brianna, qu’elle a été agressée par Roger puisqu’elle les a vus se disputer et ne connaît pas l’existence de Bonnet. Elle protège l’honneur de Brianna en respectant sa pudeur et son silence, et s’en tient à ses propres conclusions.
Roger disparaît après leur dispute pour aller voler des pierres à Stephen Bonnet. Il souhaite protéger Brianna de la violence de l’époque en lui permettant de rentrer.
Brianna refuse de nommer Bonnet pour protéger son père : elle ne veut pas qu’il se lance à sa poursuite et risque sa vie.
Claire se tait pour protéger le secret de Brianna et épargner à Jamie une expédition punitive. Elle vit aussi l’ambivalence de retrouver l’alliance de Frank, souhaitant la remettre sans blesser Jamie. Cette fameuse alliance est triplement chargée : elle représente son amour passé avec Frank, mais elle rappelle aussi l’agression du bateau que Jamie a subie de manière cuisante, ainsi que le prix payé par Brianna pour la récupérer.
Lizzie dénonce ensuite Roger par erreur, pour protéger Brianna.
Lorsque Roger est présenté par Lizzie et Petit Ian comme le violeur de sa fille, Jamie pense qu’il est venu la réclamer pour femme, ce qui est un droit légal à l’époque puisqu’elle est enceinte. Il ne le tue pas, peut-être pour épargner à Petit Ian le spectacle d’un meurtre, mais aussi parce que Roger affirme que Brianna était consentante à leur union, ce qui lui laisse un ultime doute. Il le laisse néanmoins presque pour mort et charge Petit Ian de s’en débarrasser définitivement.
Brianna est enceinte mais n’a pas dit à Jamie qu’elle était rituellement mariée à Roger pour le protéger et lui permettre de se dédire du serment des mains s’il ne veut pas d’elle après le viol.
Jamie s’apprête à s’offrir aux Mohawks, en contrepartie de l’Indien tué lors de la bousculade, pour protéger les deux êtres les plus chers à Brianna, Roger et Claire.
Ian clôt la boucle : il les protège tous et les libère en rejoignant la tribu indienne. Malgré le prix du renoncement à sa famille, ce n’est pas de l’ordre du sacrifice. Il est attiré par ces tribus, par une femme de celle-ci, il devient un homme et quitte symboliquement la maison de son père et de sa mère. À ce sujet, Jenny fait à mon sens erreur en punissant cruellement Jamie par son long silence épistolaire. Elle lui reproche injustement de ne pas avoir protégé son fils, alors que Ian a volontairement choisi cette voie, pas seulement par noble dévouement mais aussi pour s’accomplir.
La notion de protection est fondamentale pour Jamie. Elle sera son premier engagement envers Claire le soir de leur mariage (son nom, son clan, et son corps si nécessaire). Lorsqu’ils évoquent Brianna lors de leur traversée vers la Jamaïque, il s’exclame avec dépit en découvrant les mœurs du XXe siècle : « S’il n’est plus nécessaire pour un homme de protéger une femme et de prendre soin d’elle, alors je pense que ce sera vraiment une triste époque ! ». Protéger est une telle évidence que demander le consentement à sa femme ou à sa fille sur ce point n’est même pas un préalable pour lui.
Face aux désaccords : s’affronter ou se confronter
Lorsque Claire revient à cette époque, elle est déjà familière des enjeux de ce siècle et des valeurs de Jamie. Alors que Brianna n’a pas cette expérience, et n’a pas été élevée pour se plier à des règles qu’elle ne reconnaît pas comme légitimes. Sa jeunesse, sa fougue et son caractère bouillonnant prennent rapidement le pas en cas de conflit, et ses altercations avec Jamie virent le plus souvent à l’affrontement.
S’affronter avec Brianna
Jamie a mûrement choisi Ian pour épouser Brianna. Il est convaincu d’œuvrer pour son bien, alors qu’elle est fermement décidée à attendre Roger, quoiqu’il en coûte. Pour Jamie, cela n’a pas de sens de s’exposer ainsi au déshonneur, à la vulnérabilité et à l’opprobre sociale.
Après une courte accalmie, le malentendu sur l’identité de Roger se dévoile enfin, et la confusion des événements passés atteint son paroxysme, entre Brianna qui découvre que Jamie a empêché le retour de Roger, manquant de peu de le tuer, et Jamie qui accuse sa fille d’avoir menti sur son agression, avant d’apprendre le rôle de Stephen Bonnet.
Elle le traite de despotique, d’arrogant, de monstre et de pauvre type. Elle maudit le jour de leur rencontre et ajoute qu’elle aimerait le voir brûler en enfer, qu’elle donnerait son âme pour retrouver son père… son vrai père.
Il la qualifie d’insensible, d’idiote, d’égoïste, de sotte, d’impure, de menteuse, jusqu’à nighean da galladh (fille de pute d’après ma traduction !).
Qui ose parler ainsi à Jamie, à part sa sœur Jenny ?
Cela montre que l’époque n’est pas un critère vraiment différenciant.
Jenny et Brianna se rejoignent dans leur manière d’entrer en conflit avec Jamie. Elles passent très vite au réactionnel et à l’affrontement : elles crient, agressent verbalement ou physiquement, les objets volent. Petit Ian témoigne que les tentatives de son père pour s’interposer sont toujours restées vaines, ce qui lui fait conserver une prudente distance lors des disputes de Brianna et Jamie.
Différentes époques, réactions similaires.
De même, Jamie et Roger partagent des valeurs communes sur le mariage, qui n’appartiennent ni à Claire ni à Brianna. Roger veut absolument se marier à Brianna avant toute union charnelle, comme Jamie le dit à Claire lors de leurs noces. Il ne se serait pas permis de la toucher hors de ces liens. Claire et Brianna distinguent plus librement les deux.
Claire et Jamie se sont déjà affrontés par le passé, au moins une fois par tome.
Au premier, après l’avoir libérée de Jack Randall, lors de sa tentative de rejoindre les pierres, juste après son mariage, l’affrontement est intense mais court. Jamie baisse rapidement la garde et dévoile sa peur pour elle, son amour et sa vulnérabilité, dissipant instantanément l’agressivité de Claire.
A Paris, il y a la demande de sauver Frank, au prix de l’honneur de Jamie, et l’épisode déjà évoqué des morsures.
À son retour après 20 ans, il y a la découverte du mariage de Laoghaire, et l’amour propre blessé de Claire.
Ce sont des disputes animées par la peur de perdre l’autre, par la jalousie ou par le fait de sentir le sort de Frank privilégié au sien. Malgré tout, ils s’insultent rarement, se mettent peu en cause. Leur honnêteté et leur confiance ont nourri très tôt leur allégeance mutuelle.
Jusqu’en Amérique, leur rythme de vie et les urgences successives ont laissé peu de place à leurs désaccords. Dans ce nouveau contexte, j’ai eu l’impression que la sécurité qu’ils trouvent et la joie d’être réunis leur permet de laisser s’exprimer plus naturellement leurs divergences ou leurs reproches. Cela n’abîme pas leur relation, qui au contraire s’approfondit encore.
Car contrairement à Jenny et Brianna, Jamie n’affronte pas Claire, il s’y confronte.
Se confronter avec Claire
L’affrontement désigne la volonté de se battre contre l’autre, pour tenter de mettre à terre sa position ou ses idées, dans l’intention de vaincre et triompher. Un gagnant, un perdant.
La confrontation revient plutôt à choisir d’éprouver sa position à celle de l’autre. Celle de l’autre peut exister, je peux l’entendre, la reconnaître et la considérer, même si je ne renonce pas à la mienne. Mais je peux tenter de faire cohabiter les deux, car l’autre m’importe et je ne souhaite pas qu’il en sorte perdant. Deux gagnants, si possible.
Claire et Jamie ne doutent plus l’un de l’autre et se veulent réciproquement le plus grand bien. Leur confiance mutuelle est absolue. S’ils se perdent, ce sera par la mort, par accident.
C’est peut-être cette confiance qui leur permet de se confronter plus ouvertement sur des sujets extérieurs, de s’affirmer l’un et l’autre sans crainte, en tentant d’allier leurs différences. Ils le font avec assertivité, c’est-à-dire qu’ils s’affirment sans accuser l’autre, sans le disqualifier, sans reproche ou mise en cause.
ª Lors de l’attaque du bateau par Stephen Bonnet, Jamie vit une colère intense. Il semble la traverser sans chercher à en préserver Claire. Est-ce qu’il lui en veut qu’elle se soit défendue et qu’il ait dû la protéger encore davantage, et peut-être craindre pour elle ? Ce n’est pas dit. Mais elle manifeste de la crainte de le voir aussi furieux. Et il ne la ménage pas en trouvant un moyen efficace, mais particulièrement dégoûtant, de lui faire vomir sa bague.
ª Lors de la mort du contremaître Byrnes, il a privilégié sa protection sans son consentement. Elle s’agace d’abord en pensant qu’il s’est permis de décider à sa place alors qu’il voit plus loin qu’elle. Plus avisé désormais, il comprend les enjeux et les risques avant elle, quand elle ne réfléchit pas spontanément aux conséquences de soulager l’agonie de Byrnes.
ª Plus drôles, sa désapprobation en découvrant le pantalon en daim moulant de Claire. Et lorsqu’il sort de nuit réparer le toit, nu parce qu’elle lui reproche de porter sa seule chemise intacte. Il sort contrarié, mais sans le retourner contre elle. Simplement.
ª Le combat contre l’ours : en tentant de lui venir en aide, elle manque au contraire de l’assommer au plus fort de la lutte, en le frappant avec le poisson par erreur. Il le dit, simplement. Il ne la préserve pas, justement parce qu’il a confiance en leur relation. Et elle ne s’en vexe pas.
ª Lorsqu’il a le dos bloqué dans la neige : il exprime ses humeurs et sa contrariété lorsqu’elle le touche de ses mains froides, et passe ensuite à plus de légèreté. Elle l’accueille tel qu’il est, sans le juger ni le critiquer non plus à son tour.
ª Lorsque Brianna envisage d’avorter, leur désaccord est bien plus difficile car il touche à leurs valeurs, à ce qui les constitue profondément, qui nourrit leur identité. Pour elle, réaliser cet avortement traduit sa volonté de soigner, de prendre soin de sa fille et d’un patient, de respecter les choix de l’autre. Pour lui, croyant, c’est l’atteinte à la vie, c’est un crime. Elle sait qu’il peut l’empêcher de le faire. Il ne se le permet pas, il la supplie seulement.
ª Puis il y a leur incompréhension mutuelle lors de leur périple à la recherche de Roger. C’est un moment particulièrement douloureux, mais significatif sur plusieurs points.
Ils sont alors ramenés à leurs peurs et aux sujets intimes très sensibles.
Jamie a été blessé par les paroles foudroyantes de Brianna, il a été comparé à Frank dont il est jaloux. Il n’a pas élevé ses enfants, il n’a pas cette légitimité parentale, comme s’il n’était pas un père suffisamment bon alors que Frank est constamment loué pour ses qualités paternelles. Il cumule la culpabilité de s’être trompé vis à vis de Roger, d’avoir blessé sa fille indirectement, d’avoir menti à Claire pour la préserver (il lui a caché l’agression et les raisons de sa main blessée). Il constate aussi que Claire lui a également menti.
Par ailleurs, il y a le fait qu’il se considère comme un homme violent, et il se demande si cela fait de lui un homme mauvais (cf. lors de l’enlèvement de Petit Ian au tome 3, où Claire le rassure ; et précédemment dans ce tome lorsqu’il réfléchit à accepter ou refuser River Run.) Il dit ne croire à sa rédemption que parce que Claire croit en lui. Et si Claire ne croit plus en lui, si elle le considère comme mauvais après son erreur envers Roger, si elle lui préfère Frank, malgré sa mort ? Cela peut expliquer le sens de sa jalousie : « Je n’aurais jamais cru devenir jaloux d’un mort. » Car s’il a mal agi, s’il est rejeté des deux femmes, s’il n’est plus aimé par Claire, tout s’effondre. Plus rien n’a de sens.
Et ce malentendu dure longtemps (« Nous ne nous étions pas touchés depuis plus d’un mois. »). Ils parcourent en effet près de mille kilomètres. Jusqu’à l’intervention de Ian.
De son côté, Claire se sent surtout coupable, et n’ose pas aller vers lui. Elle lui a menti au sujet de Bonnet, elle a trahi leur premier engagement de sincérité, pour sa fille. Elle se rend compte qu’elle ne peut plus forcément le respecter si sa fille est en jeu, pour la première fois. « Je (…) les avais déjà trahis tous les deux. J’avais bradé l’honneur de Jamie en croyant le protéger. »
Le sentiment et la relation ne se confondent pas, et vivent distinctement.
Puis-je être aimé même si je fais une erreur, même si je dis quelque chose de mal ? Oui. Jamie est aimé, de Claire comme de Brianna, ou encore de Jenny.
Ce ne sont pas les sentiments qui les ont éloignés, mais la culpabilité et la douleur qui les ont empêchés de communiquer et de dissiper ces malentendus et ces décalages.
De même, si Brianna lui en veut de son erreur, elle l’aime et veut le voir revenir, c’est pour cela qu’elle envoie sa mère l’accompagner, pour être sûre qu’elle lui ramène aussi son père.
La surprenante lettre de Frank le montre aussi. Il confesse ses mensonges, ses peurs et sa haine : « (…) haine, jalousie, mensonges, vol, infidélité… Je n’ai pas grand-chose à présenter pour me racheter, sinon l’amour. Je l’ai aimée, je les aime, mes femmes. Ce n’est peut-être pas le genre d’amour dont elles auraient besoin, mais c’est tout ce que j’ai à offrir. » Et pourtant, j’imagine que l’amour qu’il a suscité chez Claire et Brianna ne faiblira pas pour autant.
Jamie lui-même s’apaise vis-à-vis de cet homme et de ce passé de Claire qui lui échappe, mais dont il ne veut pas la priver : « Je suis un homme jaloux, mais pas rancunier. Je t’ai prise à lui, ma Sassenach, mais je ne veux pas te le prendre. »
ª Dernier exemple d’accrochage, lors de la déclaration de l’état civil du bébé. Derrière la contrariété de Jamie de voir Brianna attendre Roger pour baptiser l’enfant, il y a son ressentiment contre Roger qui perdure. Il ne le connaît pas, il ignore encore ce qui peut les rassembler, comme le serment des mains qu’il découvre plus tard. À ce stade, il ne voit que ce qui les sépare. De plus, Roger est le descendant de Dougal mais il est aussi le descendant d’une sorcière, Geillis, qu’il déteste particulièrement.
Leur relation sera un des arcs narratifs du tome suivant et prolongera ce thème.
Diana Gabaldon illustre ainsi l’idée qu’apprendre à aimer l’autre ne se fait pas seulement en cultivant nos ressemblances. Au-delà même de se comprendre, le plus grand défi consiste à réussir à allier harmonieusement nos différences, pour rester soi et grandir encore, au plus près de l’autre.
Enfin, je ne résiste pas à citer un dernier accrochage. Lorsque Claire, craignant un voyage de Jamie en Ecosse et sa mort, s’agace de sa surprise et de son incompréhension, elle lui adresse ce reproche paradoxal : « Tu trouveras bien une solution. Tu en trouves toujours une ! »
Et Jamie a cette divine réponse : « Je ne m’étais jamais rendu compte que tu me prenais pour Dieu, Sassenach. »
King of the Men, et parfois plus encore.
Je vous souhaite une belle lecture !
Carolyn
Tome 4
Par Carolyn Garcin
Outlander
Les Tambours de l’Automne – Tome 4
Jamie Fraser : entre possession et allégeance, consentement et protection.
S’aimer malgré nos différences : s’affronter ou se confronter…
Nous voici au quatrième tome de la saga, pour la suite du parcours de Jamie sous l’angle de sa relation amoureuse à Claire, sur les thèmes déjà évoqués de la possession, de l’allégeance, du consentement et de la protection.
Comme pour les trois volets précédents, je vous livre les extraits bruts, par chapitre et page, en tentant d’aller à l’essentiel, d’où les coupes mentionnées par un (…), tout en préservant les éléments de contexte qui vous situent l’émotion du moment. Ces valeurs en écho chez Claire aux moments significatifs sont indiquées en italique.
À la fin du Voyage, nous avons laissé Claire et Jamie heureux, rescapés d’un naufrage, échoués sur les terres d’Amérique. À nouveau, tout commence pour eux.
La perspective de s’installer enfin prend forme. Une terre leur est offerte (à un certain prix malgré tout…) et malgré l’immensité de la tâche, le courage ne leur manque pas. Ils se sont aimés dans la peur, la menace, l’urgence, le chaos… sauront-ils vivre ensemble sans se lasser, dans cette nouvelle vie peut-être plus calme et sécure ?
S’ils se posent mutuellement la question, la réponse ne tarde pas. Foi ou thermodynamique, chacun renouvelle son engagement amoureux absolu, éternel, inconditionnel.
Chapitre 2 p46 La nuit de l’enterrement de Gavin Hayes
Jamie passa les rênes dans sa main gauche et glissa son bras droit autour de mes épaules, m’attirant à lui. Comme toujours, je me sentais en sécurité à son contact. Je m’amollis, ma joue frottant contre la serge poussiéreuse de sa veste, et sombrai aussitôt dans une inconfortable torpeur. (…) Je me réveillai en sentant Jamie qui me secouait par l’épaule.
— Tu ferais mieux d’aller t’allonger à l’arrière, Sassenach. Tu bougonnes dans ton sommeil. Tu risques de glisser du siège et de tomber sur la route.
(p50) Va prendre ton bain, Sassenach. Je viendrai te rejoindre dès que je pourrai. Je me dressai sur la pointe des pieds pour l’embrasser et le sentis sourire. Ma langue effleura sa bouche et il me mordilla doucement la lèvre inférieure.
— Tu crois que tu pourras rester éveillée encore un peu ?
— Autant qu’il le faudra, répondis-je. Mais ne tarde pas trop quand même.
(p54) Le sort des Indiens
— Que va-t-il arriver aux Peaux-Rouges ? demanda Jamie. (…)
— Beaucoup seront tués. Un grand nombre sera fait prisonnier et condamné à vivre dans des réserves.
— Tant mieux.
— Ça dépend pour qui. Je doute que les Indiens soient du même avis.
— Probablement pas, mais quand un ennemi essaie de me découper le haut du crâne, son point de vue ne m’intéresse pas beaucoup, Sassenach.
— Pourtant, on ne peut pas vraiment leur en vouloir.
— Comment ça ? rétorqua-t-il. Si un de ces sauvages te scalpait, je lui en voudrais beaucoup.
(p55) Nous restâmes côte à côte dans le creux du rocher, observant les étoiles. Je me sentais à la fois heureuse et un peu angoissée. Cette exaltation allait-elle durer ? Autrefois, j’avais considéré le « pour la vie » entre nous comme un acquis, mais j’étais alors beaucoup plus jeune. Bientôt, si tout allait bien, nous nous établirions sur ces terres. Nous trouverions un endroit où construire notre maison et vivre le reste de nos jours. Je ne demandais rien d’autre. Pourtant, j’étais inquiète. Quelques mois à peine s’étaient écoulés depuis mon retour. Chaque caresse, chaque parole échangées étaient encore teintées du souvenir et de la joie de la redécouverte. Que se passerait-il lorsque nous nous serions habitués l’un à l’autre, englués dans la routine de la vie quotidienne ?
— Tu crois que tu te lasseras de moi quand nous serons redevenus des gens comme tout le monde ? murmura-t-il.
— C’est exactement ce que je me demandais.
— Non, dit-il. Je ne me lasserai jamais de toi.
— Comment peux-tu en être sûr ?
— Je ne l’étais pas… autrefois. Nous avons été mariés pendant trois ans et je te désirais autant le dernier jour que le premier. Plus, peut-être. (…) Je pourrais passer toute ma vie à ton côté, Sassenach, et toujours t’aimer. Je pourrais te faire l’amour jusqu’à l’infini, tu me surprendras toujours… comme ce soir. (…) Je n’aime pas l’idée que tu puisses te passer de moi.
— Je ne peux pas, lui assurai-je.
Chapitre 6 p98
Myers se gratta le menton d’un air méditatif. (…)
— Votre épouse aura peut-être la bonté de me retrouver tout à l’heure dans cette auberge, là-bas. (…) Elle pourra jeter un coup d’œil à cette… cette… Il remua vainement ses lèvres pour prononcer « hernie inguinale », renonça et se détendit. Cette… obstruction, synthétisa-t-il. Myers remit le chapeau sur sa tête et, après un bref signe de tête vers Jamie, s’éloigna. (…).
— Décidément, Sassenach, tu as vraiment un don, déclara Jamie sans le quitter des yeux.
— Un don pour quoi ?
— Chaque fois que tu rencontres un homme, tu n’es pas cinq minutes avec lui qu’il commence déjà à baisser ses culottes.
Fergus manqua s’étrangler et Ian vira au rose vif.
— Tu es bien placé pour le savoir, mon chéri, répliquai-je d’une voix douce. En tout cas, il semblerait que je nous ai trouvé un bateau et un guide.
Chapitre 7 p115
— Ce serment d’allégeance, dis-je soudain. Que disait-il ?
Il haussa vaguement les épaules.
— « Moi, James Alexander Malcolm MacKenzie Fraser, je jure devant Dieu que je ne possède ni ne posséderai à l’avenir de pistolet, d’épée ou toute autre arme, et que je ne porterai désormais ni tartan, ni plaid, ni aucun autre symbole de mon appartenance aux clans déchus des Highlands. Si je me parjure, que soient maudits mes entreprises, ma famille et mes biens ; que je ne voie jamais plus ma femme, mes enfants, mon père, ma mère ou mes amis ; que je sois tué comme un traître sur le champ de bataille ; que je sois enterré sans les sacrements, dans une terre étrangère, loin des tombes de mes ancêtres. »
— Ça n’a pas été trop dur ? demandai-je au bout de quelques instants.
— Non. Pas sur le coup. Il y a des choses qui valent que l’on y sacrifie sa vie ou sa santé, mais pas des mots.
— Peut-être pas ces mots-là.
Ses traits demeuraient à peine visibles dans la pénombre, mais un soupçon de sourire flottait sur ses lèvres.
— Tu connais des mots pour lesquels tu serais prête à mourir ? (…)
— Je pensais à : « Je t’aime. »
Il tendit la main et m’effleura la joue. (…)
— Oui, murmura-t-il. Pour ces mots-là, sans doute.
Chapitre 8 p131
— Pourquoi voulais-tu m’offrir un bijou ? demandai-je. (…) Ah, je vois ! dis-je soudain. Tu voulais te faire pardonner tout cet argent tu as envoyé à Laoghaire, c’est ça ? Mais tu sais bien que ça m’est égal, je te l’ai dit. (…)
— Oui, je sais, tu me l’as dit, convint-il.
— Je le pensais… Plus ou moins.
Entendant mon propre ton, j’éclatai de rire.
— Tu ne pouvais tout de même pas laisser cette… cette… cette femelle hystérique mourir d’inanition, même si l’idée me paraît plutôt séduisante.
Il sourit à son tour.
— En effet, je ne voudrais pas avoir sa mort sur la conscience, elle est déjà assez chargée comme ça. Mais ce n’est pas pour ça que je voulais te faire un cadeau.
— Pourquoi alors ?
— Il y a vingt-cinq ans aujourd’hui, Sassenach, je t’ai épousée. J’espère que tu ne le regretteras jamais.
Chapitre 9 p143
Jamie inclina la tête et m’observa avec attention. (…) Il prit ma main dans la sienne, son pouce caressant mon alliance d’argent.
— Peut-être un jour pourrai-je te couvrir de dentelles et de bijoux. Jusqu’à présent, je n’ai pas pu t’offrir grand-chose, à part un anneau d’argent et les perles de ma mère.
— Tu m’as donné beaucoup plus, dis-je en pressant sa main. Brianna, entre autres.
— Oui, c’est vrai. C’est sans doute elle ma vraie motivation… pour rester ici, je veux dire.
Je l’attirai à moi et il posa la tête sur mes genoux. (…) Je dégageai ma main et la lui montrai. — Je n’ai pas besoin d’autre chose que de cette alliance. Il prit mes deux mains et les porta à ses lèvres. Il baisa d’abord la gauche, celle où je portais l’alliance en or de Frank, puis la droite, où se trouvait la sienne.
— Da mi baisa mille, murmura-t-il. « Donne-moi mille baisers » C’était le vers inscrit à l’intérieur de l’anneau d’argent, emprunté à un poème d’amour de Catulle.
— Dein mille altera, répondis-je. « Puis donne-m’en mille autres. »
(p144) Le souvenir de Colum et de Dougal me mit soudain mal à l’aise. Colum avait succombé à sa maladie peu avant Culloden. Dougal était mort à la veille des combats, tué par Jamie. Il l’avait tué pour se défendre… pour me défendre, corrigeai-je, et sa disparition était passée inaperçue parmi l’amoncellement de morts lors de ce mois d’avril sanglant.
(p148) Attaque de Stephen Bonnet sur le bateau
La hargne déformait les traits du pirate. J’aperçus l’éclat d’une lame, puis quelque chose me frappa rudement et me renversa. Je me retrouvai aplatie sur le pont, écrasée sous le poids de Jamie. Étourdie, je n’essayai même pas de me relever et, quand bien même en aurais-je eu l’envie, j’en aurais été bien incapable : le torse de Jamie m’écrasait la nuque, me plaquant le visage contre le plancher. (…) Il se produisit ensuite un chuintement sourd et je sentis le corps de Jamie se cambrer avant de retomber lourdement sur moi. Mon Dieu ! Ils l’ont poignardé ! pensai-je, terrifiée. Toutefois, un second bruit identique, suivi d’un grognement, me laissa deviner qu’ils lui avaient seulement envoyé un coup de pied dans les côtes. Jamie ne bougeait plus, me pressant contre le pont. (…)
— Relevez-vous, monsieur Fraser, dit Bonnet. Il ne sera rien fait à votre femme… même si elle l’a cherché.
(p150) Après l’attaque de Stephen Bonnet
J’avais horriblement mal à l’arrière du crâne et mes oreilles bourdonnaient. (…) Autrement, je ne m’en sortais pas trop mal. Sur le plan physique, du moins. Je sentais la présence de Jamie deux mètres derrière moi, sombre et menaçante comme un orage d’été. Ian, qui pouvait le voir par-dessus mon épaule, n’avait pas l’air rassuré. Les lattes du pont craquèrent et les traits de Ian se détendirent. Puis la voix de Jamie retentit dans la cabine. Il posait une question à Fergus sur un ton apparemment calme. Ensuite je les entendis remettre les meubles d’aplomb et rassembler les affaires éparses. Je poussai un soupir de soulagement.
— Ne vous inquiétez pas, tante Claire, dit Ian d’un ton peu convaincu. Oncle Jamie n’est pas du genre à lever la main sur vous. Enfin, je ne crois pas.
Je n’en étais pas si sûre, compte tenu des mauvaises vibrations que dégageait Jamie pour le moment.
— Il est très en colère, à ton avis ? chuchotai-je. Ian haussa les épaules d’un air incertain.
— Eh bien… la dernière fois qu’il m’a regardé de travers comme ça, quelques secondes plus tard il me flanquait une baffe qui m’a envoyé rouler par terre. Mais il ne vous ferait pas ça, à vous !
— Non, je ne pense pas, dis-je d’une voix faible.
— D’un autre côté, il vaut mieux ne pas se trouver dans les parages quand il vide son sac, reprit-il d’un air compatissant. Personnellement, je préfère encore une bonne raclée. (…)
Je tressaillis en voyant soudain Jamie sortir de l’ombre, une autre perche à la main. Dans le vacarme qui régnait dans la cabine, je ne l’avais pas entendu sortir. Sans un regard vers moi, il ôta sa chemise et, suivant les indications d’Eutroclus, planta à son tour son bâton dans la berge. (…) Jamie lui sourit, satisfait, ramassa sa chemise sur le pont et se tourna vers moi. Je me raidis et Rollo dressa les oreilles, aux aguets. Toutefois, Jamie ne semblait pas avoir l’intention de m’assommer ou de me jeter par-dessus bord. Il se contenta de s’accroupir à mon côté et de plisser les yeux pour mieux me dévisager à la lueur vacillante de la lanterne.
— Comment tu te sens, Sassenach ? Avec cette mauvaise lumière, je n’arrive pas à voir si tu es vraiment verte ou si c’est la lumière.
— Je vais bien, l’assurai-je. Un peu secouée, c’est tout. (…) C’est sans doute mon imagination, mais j’ai l’impression qu’une des alliances est restée coincée dans ma gorge. (…)
Ayant achevé ses préparatifs, il me tendit la tasse avec un sourire sinistre.
— Oh non ! me récriai-je. Pas question !
— Oh que si ! Allez, Sassenach. Courage ! (…) La seule autre solution, déclara Jamie, c’est d’attendre que ça ressorte par l’autre côté. Crois-moi, c’est nettement plus désagréable, surtout sur un bateau et devant tout le monde. Alors ?
Il plaqua une main contre ma nuque et pressa le bord de la tasse contre mes lèvres. (…)
— Il n’y en a pas pour longtemps. Allez, juste une petite gorgée. (…)
Jamie ne perdit pas de temps à discuter ni à tenter de me convaincre. Il me lâcha simplement la nuque, me pinça les narines et, quand je fus bien obligée d’écarter les lèvres, me versa son infâme potion dans la bouche.
— Mmmmfff !
— Avale ! ordonna-t-il.
Il me plaqua une main sur la bouche, faisant la sourde oreille à mes protestations étouffées. Il était nettement plus fort que moi et n’avait pas l’intention de se laisser apitoyer. (…)
— Tu n’es qu’un sale pervers sadique, Jamie Fraser !
Il se pencha vers moi et écarta une mèche qui me tombait devant les yeux.
— A la bonne heure, ma douce colombe. Me voilà rassuré ! Si tu as la force de m’injurier, c’est que tu as retrouvé la forme.
Il déposa un baiser sur mon front et s’assit à mon côté. Une fois passées la colère et la peur, les hommes se retranchèrent dans la cabine et se remirent de leurs émotions devant une bouteille d’eau-de-vie de pomme que le capitaine Freeman avait réussi à sauver des pirates en la cachant dans la citerne d’eau potable. (…) Si Jamie ne se montrait guère rancunier, du moins pour un Ecossais, aucun Highlander ne pouvait essuyer un tel affront dans un silence résigné. Il n’en allait pas seulement de la perte de sa fortune mais également d’une injure à son honneur. Allait-il simplement jeter l’éponge ? Il scrutait l’eau sombre, les lèvres pincées. (…)
— Ce n’est pas ta faute, lui dis-je doucement.
— La faute à qui, alors ? Je savais à qui j’avais affaire. J’aurais pu le laisser au sort qu’il avait mérité. Mais il a fallu que je m’en mêle. Je ne suis qu’un idiot.
— Tu es bon, ce n’est pas la même chose.
— C’est presque pareil.
(p155) Après un long silence, il reprit d’une voix basse :
— Je suis désolé pour ton autre alliance.
— Oh, ce n’est… J’allais répondre « ce n’est rien », mais les mots me restèrent dans la gorge. Cette alliance ne m’avait pas quittée depuis près de trente ans, symbole de vœux échangés devant l’autel, vœux bafoués, renouvelés, et enfin dissous par la mort ; symbole d’un mariage, d’une famille, d’une grande partie de ma vie ; elle constituait le dernier lien avec Frank qu’en dépit de tout j’avais aimé. (…) De son autre main, il exerça une petite pression sur mon annulaire droit, enfonçant l’alliance d’argent dans ma chair, me rappelant ce que je possédais encore. Je soulevai son poing et le pressai contre mon cœur. Au même moment, la pluie commença à tomber en grosses gouttes lourdes. Mais ni lui ni moi ne bougeâmes. (…) La pluie me sembla fraîche et douce sur ma peau, comme un baume sur les plaies laissées par la peur et le chagrin. Je me sentis à la fois vulnérable et en sécurité. Mais ça n’était pas nouveau : avec Jamie Fraser, je me sentais toujours vulnérable et en sécurité.
Chapitre 10 p159 Arrivée chez Jocasta
Je me hissai sur la pointe des pieds pour redresser son jabot et lui enlevai une petite plume sur l’épaule.
— Tout ira bien, lui chuchotai-je. Tu es superbe.
Il se pencha vers moi et déposa un baiser sur mon front.
— Mais non, Sassenach. C’est toi qui es superbe. On dirait une jolie petite pomme. Tu es à croquer.
(p190) Jugement de l’esclave
Il enfonça son chapeau sur sa tête d’un geste sec et se tourna vers Jamie.
— Je suis prêt, répondit ce dernier en glissant les pistolets dans les poches de sa veste. Sassenach, tu veux bien… (…)
— Jamie, je t’en prie ! N’y va pas. Je ne veux pas que tu participes à cette mascarade.
Il posa une main sur la mienne et la pressa, me fixant droit dans les yeux.
— Chut, calme-toi. J’y suis déjà mêlé, que je le veuille ou non. (…)
— Alors je vais avec toi.
J’avais parlé avec ce détachement étrange qui accompagne souvent la prescience d’un désastre imminent. Ses lèvres réprimèrent un sourire.
— Je m’y attendais, Sassenach. Va chercher ton coffret. Je vais te faire seller un cheval.
Sans écouter les protestations de M. Campbell, je courus vers l’herboristerie, et mes mules claquèrent sur les dalles comme un cœur palpitant. Andrew MacNeill (…) nous attendait sur le bord de la route. (…) Il salua Campbell d’un signe de tête et son regard s’arrêta sur moi
— Vous ne lui avez donc pas dit, Campbell ? Ce n’est pas une affaire de femmes.
— Vous avez bien expliqué qu’il y avait eu effusion de sang, non ? intervint Jamie. Ma femme est ban-lighiche. Elle a fait la guerre avec moi et en a vu d’autres. Si vous voulez que je vienne, il faudra l’accepter.
(p196) L’esclave Rufus
Personne ne prêtait attention au véritable objet du débat. Quelques minutes seulement s’étaient écoulées… et il ne me restait plus que quelques secondes pour agir. Je posai une main sur le bras de Jamie, attirant son attention.
— Si je le sauve, chuchotai-je, ils le laisseront vivre ?
Ses yeux parcoururent les visages des hommes derrière nous, calculant les probabilités.
— Non, dit-il enfin.
Nos regards se croisèrent, lourds de sens. Il redressa les épaules et posa son pistolet sur sa cuisse. Je ne pouvais l’aider à prendre sa décision. Il ne pouvait m’aider à prendre la mienne, mais il me défendrait, quoi que je fasse.
Chapitre 12 p210 Myers opéré
— Comment va-t-il ? Je fis volte-face et découvris Jamie derrière moi.
— Très bien. Rien ne pourrait l’abattre. Il est solide comme un roc, indestructible, comme toi.
Je pris appui sur lui, enlaçant sa taille, et enfouis mon visage dans les plis de sa chemise. Il déposa un baiser dans mes cheveux.
— Je suis fier de toi, dit-il. Tu as été parfaite. (…)
Je glissai mes mains un peu plus bas, sentant la rondeur de ses fesses lisses et libres sous son kilt. (…)
— Très bien, dit Jamie. Alors rejoins-moi dans le jardin de simples. Fais attention en descendant l’escalier. Ne va pas te casser le cou
Soulevant mon menton, il m’embrassa fougueusement et me laissa étourdie, à la fois plus sobre et plus ivre qu’avant.
(p213) Accepter River Run ou pas
L’argent ne l’intéressait pas. Pas plus que le pouvoir. (…) Mais il avait été laird, autrefois. (…) Parlant des hommes qui partageaient sa cellule, il m’avait dit : « C’étaient mes hommes. C’était le fait de devoir veiller sur eux qui me gardait en vie. » Je me souvenais aussi de ce que Ian Murray avait dit de Simon Fraser : « Le soin avec lequel il veille sur ses hommes est désormais son unique lien avec l’humanité. » Oui, Jamie avait besoin d’hommes. Des hommes à diriger, à protéger, à défendre et à mener au combat. Mais pas à posséder. (…)
Pourtant, la réalité, c’était l’homme qui marchait à mon côté, tête baissée, perdu dans ses pensées. Ma tentation, c’était lui. Jamie. Ce n’étaient pas les lits confortables, les pièces richement décorées, les robes de soie ou le rang social. C’était Jamie. (…) Je m’appuyai sur son bras, mais avant que j’aie enjambé le bord de la barque, il m’attira à lui et m’embrassa. Il me serra contre lui et posa son menton sur ma tête. (…)
— Tu n’as rien à dire ? demanda-t-il au bout d’un moment.
— Ce n’est pas à moi de décider.
— Ah non ?
— C’est ta tante. C’est ta vie. Ce ne peut être que ta décision.
— Et toi, tu comptes rester comme une simple spectatrice ? Ce n’est pas ta vie, peut-être ? À moins que tu n’aies pas l’intention de rester avec moi ?
— Que veux-tu dire ?
— Peut-être vivre ici serait-il trop dur pour toi. (…) Je sais que tu peux encaisser la mort et la violence, Sassenach. Mais ce sont les choses de la vie quotidienne qui te heurtent… (…)
— Oui, c’est vrai. Je ne veux pas… je ne peux pas posséder d’esclaves, je te l’ai déjà dit. (…)
— Je ne peux pas t’indiquer ce que tu dois faire, admis-je enfin. (…)
Jamie prit mon menton entre ses doigts.
— Tu es tout pour moi, Sassenach. Mais tu as raison, tu ne peux pas être ma conscience.
En dépit de tout, je me sentis brusquement soulagée, comme si je venais de me débarrasser d’un fardeau indéfinissable.
— Tant mieux, dis-je, ce serait trop lourd à porter.
Il parut surpris.
— Ah oui ? Tu me trouves donc si mauvais ?
— Mais non, tu es l’homme le meilleur que je connaisse, mais… personne ne peut décider pour deux. On ne peut pas imposer à un autre ce qu’on croit bon pour lui. (…) Il se tut un moment et fixa l’eau noire.
— Tu me crois vraiment bon ? dit-il enfin.
Il y avait dans sa voix une note étrange que je n’arrivais pas à déchiffrer.
— Oui, pas toi ?
— Non. Je sais que je suis violent. Toi aussi.
Il étala ses grandes mains puissantes devant moi, des mains qui savaient manier l’épée avec aisance et qui pouvaient étrangler un homme.
— Tu n’as jamais rien fait de mal sans y être obligé. (…)
— J’ai quarante-cinq ans ! s’écria-t-il. À cet âge, un homme devrait être établi, non ? Il devrait avoir une maison, un lopin de terre où cultiver de quoi se nourrir et un peu d’argent pour assurer ses vieux jours. Mais je n’ai rien de tout cela. Ni terre ni maison. (…)
— Tu m’as, moi, dis-je doucement.
Il émit un son guttural qui aurait pu être un rire ou un sanglot.
— Oui, je t’ai, toi. C’est bien là le problème. (…) S’il n’y avait que moi, cela n’aurait aucune importance. Je pourrais aller dans les montagnes avec Myers, vivre de la chasse et de la pêche. Ensuite, quand je serais devenu trop vieux, je n’aurais plus qu’à me coucher sous un arbre et attendre tranquillement la mort. (…) Tu ne comprends donc pas, Claire ? J’aurais voulu déposer le monde à tes pieds… et je n’ai rien à te donner !
Il le pensait sincèrement ! (…) En l’espace d’une heure j’étais passée de l’angoisse extrême à l’idée de le perdre en Ecosse, au désir puissant de le violer dans les plates-bandes de sa tante, puis à celui de l’assommer avec sa rame. À présent, j’en étais revenue à la tendresse. Je m’agenouillai dans le fond de la barque entre ses genoux et, l’enlaçant, pressai ma joue contre son torse. Je sentais son souffle qui soulevait mes cheveux. Je ne trouvais pas mes mots, mais j’avais fait mon choix.
— Où tu iras, j’irai, murmurai-je. Ton toit sera mon toit, ton peuple mon peuple, ton dieu mon dieu. Où tu mourras, je mourrai et, là, je serai enterrée. Qu’il s’agisse d’une colline écossaise ou d’une forêt américaine. Fais ce que tu as à faire, Jamie. Je serai toujours là.
(p219) La mort du contremaître Byrnes
— Byrnes est mort, déclara-t-il soudain sans me regarder.
— Le contremaître ? Quand ? Et comment ?
— Cet après-midi. (…) Le tétanos, dit-il d’un ton nonchalant. C’est une fin très cruelle. (…)
— Ce n’est pas non plus une mort rapide, rétorquai-je. Il faut au moins plusieurs jours pour mourir du tétanos.
— David Byrnes a mis cinq jours en tout.
— Tu le savais ! Tu l’as vu mourir et tu ne m’as rien dit ! (…)
Écœurée, je n’avais fait aucun effort pour m’informer de son état de santé. C’était ma propre négligence qui me rendait furieuse, j’en étais consciente, mais cela ne changeait rien.
— Tu n’aurais rien pu faire, dit Jamie. Tu m’as dit toi-même qu’il n’y avait pas de remède contre le tétanos, même à ton époque. (…)
— C’est vrai. Je n’aurais pas pu le sauver, mais j’aurais pu aller le voir et, peut-être, soulager ses souffrances. (…)
— Non, dit Jamie, j’ai empêché Campbell de venir te chercher. Il y a la loi… et puis la justice. Je sais faire la différence entre les deux. (…)
— Tu aurais dû me prévenir. Même si tu pensais que je ne pouvais rien faire, ce n’était pas à toi d’en décider.
— Je ne voulais pas que tu y ailles.
— Je sais ! Mais que tu penses ou non que Byrnes ait mérité de souffrir…
— Pas pour lui ! (…) Je me moque que Byrnes ait mérité son sort ou pas, reprit-il, mais je ne suis pas un monstre de cruauté ! Je ne t’ai pas empêchée d’aller le voir pour lui éviter de souffrir. Je l’ai fait pour te protéger.
— Ce n’était pas à toi d’en décider, répétai-je. Je ne suis pas ta conscience, mais tu n’es pas la mienne non plus. (…)
Soudain, sa main jaillit entre les feuilles et m’agrippa le poignet.
— C’est à moi de veiller à ta sécurité !
— Je ne suis pas une gamine qui a besoin d’être protégée, ni une débile mentale ! Si tu estimes qu’il y a une chose que je ne dois pas faire, tu n’as qu’à m’en parler et je t’écouterai. Mais tu n’as pas à décider ce que je dois faire et où je dois aller sans même me consulter. Je ne l’accepterai jamais, tu le sais très bien !
— Je ne t’ai jamais dit où tu devais aller !
— Tu as décidé à ma place où je ne devais pas aller, ça revient au même !
Son visage n’était qu’à quelques centimètres du mien, monopolisant tout mon champ de vision. Il plissait les yeux, qui ne formaient que deux fentes noires. Je clignai des yeux. Lui non. Il lâcha mon poignet et me saisit les deux bras. Je sentais la chaleur de ses paumes à travers mes manches. Sa poigne d’acier me rendit soudain consciente de la fragilité de mes propres os. « Je suis violent. » Il m’avait déjà secouée comme un prunier à plusieurs reprises. Je n’avais pas du tout aimé. Au cas où il aurait songé à remettre ça, je glissai un pied entre ses jambes et m’apprêtai à lui en donner un bon coup là où cela lui ferait le plus mal.
— J’ai eu tort.
Je m’étais attendue à tout et j’avais déjà soulevé le talon avant d’enregistrer le sens de ce qu’il venait de dire. Mû par un bon réflexe, il referma les jambes juste à temps, emprisonnant mon genou.
— J’ai dit « j’ai eu tort », Sassenach, ça ne te suffit pas ?
— Ah… euh…
Je tentai de libérer mon genou mais ses cuisses le pressaient comme un étau.
— Tu veux bien me lâcher, s’il te plaît ? demandai-je aimablement.
— Non. Tu vas m’écouter, maintenant ? (…) Cette dispute est ridicule, déclara-t-il. Tu le sais aussi bien que moi.
— Non, je ne le sais pas. Si ma colère commençait à se dissiper, je ne comptais pas le laisser s’en tirer comme cela.
— Ce n’est peut-être pas important pour toi, lançai-je, mais ça l’est pour moi. Cette dispute n’est pas ridicule et tu le sais très bien, sinon tu n’admettrais pas aussi facilement tes torts.
Il prit une grande inspiration et ses mains retombèrent sur ses genoux.
— D’accord. J’aurais dû te prévenir au sujet de Byrnes, je le reconnais. Mais si je l’avais fait, tu serais allée le voir, non ?
— Oui, même s’il n’y avait rien à faire. Je n’aurais pas pu faire autrement. Je suis médecin. Tu ne comprends pas ?
— Si, justement. Tu crois que je ne te connais pas, Claire ? (…) Lorsque l’homme est mort dans tes bras l’autre jour à la scierie, les gens ont commencé à parler, c’est normal, non ? Personne n’a dit ouvertement que tu y étais pour quelque chose, mais… certains le pensent. Ce n’est pas qu’ils croient que tu l’as tué, mais plutôt que tu l’as laissé mourir pour lui éviter d’être pendu.
— Ça m’a traversé l’esprit.
— Je sais. J’ai vu ta tête, Sassenach.
— Et toi ? Tu t’es demandé si je l’avais tué ?
Il parut légèrement surpris.
— Je sais que tu n’as fait que ce qui te semblait juste.
Il écarta le problème mineur de savoir si j’avais tué un homme ou non, pour en revenir à la question du jour.
— Mais il m’a semblé qu’il ne serait pas judicieux que tu assistes aux deux morts, si tu vois ce que je veux dire.
C’était le cas. Une fois de plus, je me rendis compte des réseaux subtils dans lesquels il naviguait quotidiennement. A de nombreux égards, ce pays lui était aussi étranger qu’à moi. Pourtant, il savait non seulement ce qui se disait (après tout, ceux qui fréquentaient les tavernes et les marchés pouvaient le savoir également), mais aussi ce que les gens pensaient. Mais le plus irritant, c’était qu’il savait aussi ce que je pensais.
— Vois-tu, reprit-il, je me doutais que Byrnes allait mourir de toute façon et que tu n’y pourrais rien. Je me doutais aussi que, si tu apprenais son état, tu irais le voir. Et que, lorsqu’il mourrait, les gens diraient : « Tiens, tiens, comme c’est étrange que ces deux hommes soient morts dans ses bras ! »
— Je crois comprendre.
Il esquissa un sourire navré.
— C’est que les gens te remarquent, Sassenach.
Je me mordis la lèvre. À plusieurs reprises déjà, cette particularité avait failli me coûter la vie.
(p224) Oubliant toute prudence, je me mis à crier son nom.
— Jamie ! Jamie, où es-tu ?
— Ici, Sassenach.
Sa voix venait de quelque part sur ma gauche, calme mais grave.
— Avance vers moi, demanda-t-il.
Soulagée, je marchai à tâtons vers sa voix.
(p241) — Nous allons la conduire dans les montagnes. (…)
— « Nous » ? demandai-je poliment. Qui ça, « nous » ?
Il afficha un large sourire.
— Myers et moi, Sassenach. Il faut que j’aille visiter l’arrière-pays avant l’hiver et c’est là une excellente occasion. (…)
— Tu m’emmènes avec toi, dis, oncle Jamie ? lança Ian avec un regard avide. Tu auras besoin d’aide avec cette femme, crois-moi. Elle est aussi forte qu’un ours.
Jamie sourit à son neveu.
— D’accord. Je suppose qu’un homme ne sera pas de trop.
— Humm… fis-je en lui adressant un regard torve.
— … Et puis comme ça tu pourras surveiller ta tante, continua Jamie en me retournant mon regard. Nous partons dans trois jours, Sassenach… si Myers peut tenir en selle d’ici là.
(p242) Il ne me restait plus qu’à régler le problème de ma tenue. (…)
— Que fais-tu, Sassenach ? Et qu’est-ce que c’est que cette… chose que tu portes ?
Jamie, les bras croisés, était adossé à la porte, perplexe.
— Un soutien-gorge improvisé, répondis-je avec dignité. Je ne compte pas me promener dans les montagnes en montant en amazone et, si je ne porte pas de corset, il me faut bien quelque chose pour soutenir mes seins. (…)
Il décrivit un large cercle autour de moi, gardant une distance prudente, observant mes jambes d’un air intrigué.
— Et ça, on peut savoir ce que c’est ?
— Tu aimes ?
Je posai les mains sur mes hanches, ravie du pantalon de daim que Phaedre m’avait cousu en riant comme une folle du début à la fin. (…)
— Non, répondit-il franchement. Tu ne vas tout de même pas sortir en… en…
Il le montra du doigt, faute de trouver le mot.
— En pantalon, répondis-je. Mais si, bien sûr. J’en portais tout le temps à Boston. Ils sont très pratiques.
Il me regarda un moment en silence. Puis, très lentement, il reprit sa marche autour de moi.
— Tu portais ça dans la rue ? s’écria-t-il incrédule. Devant tout le monde ?
— Oui. Comme la plupart des femmes. Pourquoi pas ?
— « Pourquoi pas » ? répéta-t-il, scandalisé. Mais on voit tes fesses, bon sang, même la raie !
— Et alors, on voit les tiennes aussi ! Ça fait des mois que j’admire ton derrière à travers tes culottes serrées, mais ce n’est qu’occasionnellement que sa vue m’inspire l’envie de te faire des propositions indécentes.
Ses lèvres frémirent ; il ignorait s’il devait rire ou non. Profitant de cette indécision, j’avançai vers lui et l’enlaçai en lui tenant fermement les fesses.
— A vrai dire, c’est surtout ton kilt qui me donne envie de me jeter sur toi, de te culbuter dans l’herbe et de te violer, lui susurrai-je. Mais les culottes ne te vont pas mal non plus
Cette fois, il se mit à rire. Il se pencha vers moi et m’embrassa longuement ; ses mains explorèrent sans vergogne mon arrière-train à travers le daim. Il exerça une petite pression, me faisant me dandiner contre lui.
— Enlève-le, dit-il en reprenant son souffle.
— Mais je…
— Enlève-le.
Il recula d’un pas et commença à dénouer les lacets de sa braguette.
— Tu pourras le remettre plus tard si tu veux, Sassenach. Mais soyons clairs : s’il y a de la culbute et des viols à commettre, c’est moi qui m’en chargerai, d’accord ?
Chapitre 14 p258
— Et toi, Sassenach, à quelle heure es-tu née ?
— Je n’en sais rien. (…) Mais je sais quand Brianna est née, elle. À trois heures et trois minutes du matin. Il y avait une grande horloge dans la salle d’accouchement.
— Tu étais éveillée ? Mais tu m’as dit qu’on droguait les femmes à ton époque.
— C’est vrai, mais j’ai refusé l’anesthésie.
— Pourquoi ? Je n’ai jamais assisté à un accouchement mais j’ai déjà entendu des femmes accoucher ! Il faudrait être folle pour refuser d’être soulagée de la douleur, quand on a le choix.
— C’est que…
Je cherchai un moyen de lui expliquer sans avoir l’air théâtrale, mais c’était pourtant la vérité.
— Je ne pensais pas que j’allais y survivre et je ne voulais pas mourir endormie.
Il ne fut pas choqué, juste intrigué.
— Ah non ?
— Pourquoi, tu aimerais, toi ?
Il se gratta le menton, amusé par la question.
— Je ne sais pas. Pourquoi pas ? J’ai été à deux doigts d’être pendu et je ne peux pas dire que j’aie beaucoup apprécié d’attendre l’heure de mon exécution. J’ai failli être tué plusieurs fois au combat, mais je n’avais pas trop le temps de réfléchir à la mort. Ensuite j’ai manqué succomber à mes blessures et à la fièvre, et je souffrais tellement que j’aspirais plutôt à mourir le plus rapidement possible. Tout compte fait, non, je ne crois pas que ça me dérangerait de mourir dans mon sommeil.
Il se pencha sur moi et m’embrassa.
— De préférence, dans un lit à côté de toi, ajouta-t-il. À un âge très avancé.
(p262) Bataille avec l’ours
Ma main se referma sur un objet froid et gluant : le poisson. Je le saisis par la queue et chargeai droit devant, assenant de toutes mes forces un coup sur le museau de l’ours. Celui-ci referma la gueule et parut surpris. Il redressa la tête et s’élança vers moi avec une rapidité que je n’aurais jamais crue possible. Je tombai à la renverse et tentai un dernier coup de poisson avant que l’ours ne se rue sur moi, Jamie toujours suspendu à son cou. (…)
Je glissai deux doigts sous son menton, cherchant le pouls. Il était vif, ce qui n’avait rien de surprenant, mais fort. Je poussai un soupir de soulagement.
— C’est ton sang ou celui de l’ours ? demandai-je.
— Si c’était le mien, Sassenach, je serais déjà mort, rétorqua-t-il.
Il roula péniblement sur le côté et se redressa en gémissant.
— D’ailleurs, reprit-il, si je suis encore en vie, ce n’est pas grâce à toi. Qu’est-ce qui t’a pris de me taper sur la tête avec un poisson pendant que j’essayais de sauver ma peau ? (…)
Le sentant frissonner, j’allai lui chercher une couverture que je lui enveloppai autour des épaules.
— Puisque je te dis que je vais bien !
Il repoussa mes tentatives pour l’aider à s’asseoir.
— Va plutôt t’occuper des chevaux, dit-il. Ils ont dû s’affoler.
Chapitre 15 p267 Une femme chez les Indiens
Les Indiens m’observaient avec fascination. Le vieil homme inclina la tête sur le côté en fronçant les sourcils d’un air perplexe. Il s’approcha et s’accroupit devant moi, assez près pour que je sente son étrange odeur musquée. (…) Sans prévenir, il avança soudain la main et me pinça un sein. Son geste n’avait rien de lubrique, mais je fis un bond en arrière. Tout comme Jamie, qui saisit aussitôt son coutelas. L’Indien se rassit calmement sur ses talons et fit un geste d’apaisement. Il posa la main à plat sur son propre sein, puis mima une rondeur et me désigna du doigt. En d’autres termes, il n’y avait pas de quoi s’énerver, il avait juste voulu s’assurer que j’étais bien une femme. Il pointa l’index vers moi, puis vers Jamie.
— Oui, elle est à moi, grogna-t-il. Alors, bas les pattes ! Il rabaissa son arme, mais ne la lâcha pas.
Chapitre 16 p274 Le lieu qui deviendra Fraser’s Ridge
Il s’accroupit, retroussa son plaid, et tourna le fraisier sauvage entre ses doigts.
— C’est une plante à part, dit-il doucement. On a la fleur, le fruit et les feuilles en même temps. Les fleurs blanches sont l’honneur, le fruit rouge le courage… et les feuilles vertes la constance.
— Ça ne pouvait mieux tomber ! plaisantai-je. Il me prit la main et serra mes doigts autour de la petite tige.
— En plus, ajouta-t-il, le fruit a la forme d’un cœur. Il se pencha vers moi et m’embrassa. Puis il se releva, dénoua sa ceinture et laissa le plaid retomber à ses pieds. Il ôta sa chemise et ses culottes, et se tint devant moi, totalement nu.
— Il n’y a personne, précisa-t-il. Nous sommes seuls. (…) Autrefois, dit-il, c’était ce qu’on faisait pour rendre les champs féconds.
— Je ne vois de champs nulle part. Je n’étais pas sûre de souhaiter en apercevoir un jour.
Néanmoins, je me déshabillai tandis qu’il rétorquait :
— Bah ! Il faudra abattre quelques arbres, mais ça peut attendre, non ?
(p275) La thermodynamique et la foi
Avec ses cheveux dénoués retombant sur ses épaules, il avait tout l’air du Highlander sauvage qu’il était. Ce que j’avais cru être son piège, à savoir sa famille et son clan, était sa force. Et ce que j’avais pris pour ma force – ma solitude, mon absence de liens – était ma faiblesse. Il avait eu la force de quitter son univers, d’abandonner toute notion de sécurité pour s’aventurer seul dans le monde. Alors que moi, autrefois si fière de mon indépendance, je ne pouvais plus supporter l’idée d’être seule sans lui. (…) La terreur et le désespoir m’envahirent. (…)
— J’ai peur, lâchai-je. (…) Serre-moi contre toi, Jamie.
Il m’enlaça tendrement.
— Tout va bien, a nighean donn, murmura-t-il. Je suis là. De quoi as-tu peur ?
— De toi, dis-je en me blottissant contre lui. De cet endroit, de te savoir ici, de nous deux nous installant ici.
— Peur ? Mais de quoi ? N’ai-je pas promis de toujours veiller sur toi, de m’assurer que tu ne manquerais jamais de rien ? Tant que je serai là, tu n’auras jamais faim ni froid. Je ne laisserai rien t’arriver, jamais.
— Ce n’est pas ça ! J’ai peur que tu meures. Je ne le supporterai pas, Jamie. Je ne pourrai pas.
— Je ferai ce que je peux, Sassenach, mais ça ne dépend pas uniquement de moi.
— Ne te moque pas de moi ! m’écriai-je. Je te l’interdis !
— Mais je ne me moque pas de toi !
— Si ! (…)
— Sassenach, tu m’as vu à l’article de la mort une bonne dizaine de fois sans en faire une histoire ! Qu’est-ce qui te prend ? Je ne suis même pas malade !
— Sans en faire une histoire ! Parce que tu crois que ça me laissait de glace, peut-être ?
— Non, je n’ai pas dit cela. Mais ça ne t’a pas mise dans un tel état !
— Bien sûr que si ! Mais tu ne vois rien ! Tu n’es qu’un… qu’un… un Ecossais ! (…)
— Alors, tu vas me dire ce qui te tracasse ou tu comptes me faire souffrir encore longtemps ? (…)
— C’est de toi qu’il s’agit, dis-je.
— De moi ? Mais pourquoi ?
— Parce que tu es un foutu Highlander, obsédé par l’honneur, le courage, la constance et je ne sais quoi encore. Je sais bien que c’est plus fort que toi mais… un jour, ça te conduira à nouveau en Ecosse où tu te feras tuer. Je ne pourrai rien faire pour l’empêcher. (…)
— Ah ! fit-il enfin. Je vois. Tu crois que si je rentre en Ecosse, j’y mourrai, parce que c’est là que tu as vu ma tombe, c’est ça ? (…) Mais pourquoi veux-tu que je retourne en Ecosse ? (…)
— Où vas-tu trouver des Ecossais pour s’installer ici, sinon en Ecosse ?
Cette fois, ce fut son tour de s’énerver.
— Et comment irais-je les chercher ? (…) Je vais voler jusqu’en Ecosse comme un oiseau ? Puis je ramènerai des colons en marchant sur l’eau, peut-être ?
— Tu trouveras bien une solution. Tu en trouves toujours une !
Il me dévisagea quelques secondes avant de répliquer :
— Je ne m’étais jamais rendu compte que tu me prenais pour Dieu, Sassenach.
— Pas pour Dieu. Pour Moïse, plutôt. (…)
— Les hommes qui étaient avec moi à Ardsmuir sont déjà tous dans les colonies.
— Mais comment comptes-tu les retrouver ? protestai-je. Ils ont été déportés voilà des années ! Ils sont probablement déjà bien installés. Ils ne vont pas tout abandonner pour te suivre jusqu’ici, au bout du monde !
Il afficha un sourire narquois.
— Tu l’as bien fait, toi ! Je pris une profonde inspiration. La peur sourde qui me tenaillait les viscères depuis plusieurs semaines commençait à se dissiper. (…) . Les larmes coulaient le long de mes joues, chaudes et apaisantes comme une pluie d’été.
— Tu ne me quitteras pas ? questionnai-je enfin. Tu ne mourras pas ?
Il secoua la tête et prit ma main dans la sienne.
— Tu es mon courage, Sassenach, et je suis ta conscience. Tu es mon cœur… et je suis ta compassion. Aucun de nous ne serait complet sans l’autre. Tu ne le sais donc toujours pas ?
— Si, répondis-je d’une voix tremblante. C’est bien pour cela que j’ai peur.
Il écarta une mèche qui me tombait devant les yeux et m’attira contre lui. Je sentais son torse se soulever et s’affaisser. Il était si solide, si vivant ! (…)
— Tu ne vois donc pas comme l’idée de la mort est dérisoire en ce qui nous concerne tous les deux, Claire ?
Non, je ne la jugeais pas du tout dérisoire.
— Quand tu es rentrée chez toi, après Culloden… j’étais mort, non ?
— C’est-à-dire que je le croyais. C’est pourquoi je… oh !
— Dans deux cents ans, je serai mort depuis longtemps, Sassenach, que je sois tué par les Indiens, une bête sauvage, la maladie, la corde du bourreau ou simplement la vieillesse… Je serai mort et enterré.
— Oui.
— Comme je l’étais déjà quand tu vivais dans ton époque.
J’acquiesçai, sans voix. (…) A présent, je me tenais avec lui au sommet de la vie et ne pouvais envisager de redescendre. (…)
— J’étais mort, Sassenach, et pourtant, pendant deux cents ans, je n’ai jamais cessé de t’aimer. (…)
— Moi aussi, je t’aimais, murmurai-je. Je t’aimerai toujours.
— Tant que nous vivrons, nous ne serons qu’un. Et longtemps après que mon corps sera tombé en poussière, mon âme t’appartiendra encore, Claire… je le jure sur les cieux. Je ne te quitterai jamais. (…) Rien ne se perd, Sassenach. Tout se transforme.
— Je sais, c’est le premier principe de la thermodynamique, dis-je en m’essuyant le nez.
— Non, répondit-il. C’est la foi.
Chapitre 21 p321 Réparation du toit, nu et de nuit
La neige tombait sans bruit, s’accumulait sur la cabane, puis, lorsque la chaleur de l’intérieur la faisait fondre, s’écoulait sur la pente du toit pour laisser de petites stalactites de glace sous les avant-toits. Toutefois, l’eau trouvait parfois un espace entre les planches (…), dardant ses gouttes glacées jusqu’à nous. Jamie considérait ces intrusions comme un affront personnel et tenait à les combattre sur-le-champ. (…) Aucun homme digne de ce nom, me fit-on comprendre, ne pouvait supporter de dormir dans de telles conditions. Jamie descendit du lit et secoua Ian. (…) Il saisit un bardeau neuf, un marteau, une hachette, un sac de clous, et se dirigea vers la porte.
— Tu ne vas pas grimper sur le toit comme ça ! m’écriai-je en me redressant. C’est ta seule chemise en laine convenable !
Il s’arrêta sur le pas de la porte, me fusilla du regard puis, avec l’air stoïque d’un martyr chrétien, posa ses outils, ôta sa chemise de nuit, reprit ses outils et sortit d’un pas majestueux, les fesses nues. (…) Des pas sur le toit, qui n’étaient aucunement ceux du père Noël, nous indiquèrent que Jamie était en place. (…) Il y eut un vacarme de coups de marteau et de bois arraché ; la fuite fut rapidement réparée. (…) De retour dans le lit, Jamie enroula son corps glacé autour du mien, me serra contre son torse gelé et s’endormit presque aussitôt avec le sourire satisfait d’un homme qui a défendu sa maison et son foyer contre vents et marées.
(p329) Je me retournai sur le ventre et tirai l’édredon sur mes épaules. Il avait beau faire chaud au fond du lit, j’avais les mains et les pieds gelés. Être seule avec Jamie, c’était le bonheur, l’aventure, la plénitude. Être seule sans Jamie, c’était… être vraiment seule.
(p337) Dos bloqué dans la neige, loin de la cabane
Je sentais un nœud dur dans le grand dorsal droit, juste sous le rein, ainsi qu’un chevauchement des érecteurs du rachis, les longs muscles près de la colonne vertébrale. D’après sa description de l’accès précédent, j’étais presque sûre qu’il ne s’agissait que d’un spasme musculaire aigu, auquel cas le remède approprié était chaleur, repos et administration d’antiinflammatoires. On pouvait difficilement être plus éloigné de ces trois conditions.
— Je pourrais peut-être essayer l’acupuncture, pensai-je à voix haute. J’ai les aiguilles de M. Willoughby dans ma sacoche et…
— Sassenach, m’interrompit-il en articulant distinctement, je veux bien supporter d’avoir mal, froid et faim, mais il n’est pas question que ma propre femme me plante des aiguilles dans le dos ! Tu ne pourrais pas te contenter de m’apporter un peu de réconfort et de compassion, pour changer ? Je ris et glissai un bras sous lui, exerçant de légères pressions sur son dos. Je laissai ma main descendre plus bas, nettement en dessous du nombril.
— A quel genre de réconfort penses-tu ? demandai-je d’une voix innocente. Il saisit aussitôt ma main pour l’empêcher d’aller plus loin.
— Pas ce genre-là.
— Ça te ferait peut-être penser à autre chose qu’à la douleur. J’agitai les doigts pour le chatouiller et il resserra sa main sur mon poignet.
— Une fois qu’on sera de retour à la maison, Sassenach, que j’aurai un lit chaud où me coucher et un bon dîner, alors je ne dirai pas non. Mais pour le moment… Nom de Dieu ! Tu te rends compte à quel point tu as les mains froides ?
Je posai ma joue contre son dos et éclatai de rire. Je sentais les vibrations de son hilarité, même s’il ne pouvait rire franchement sans réveiller la douleur.
Chapitre 23 p368 Le fantôme sauveur
— J’étais couché quand cette bête est devenue comme folle, dit Jamie en faisant un geste vers Rollo. Il aboyait, hurlait et se jetait contre la porte comme si le diable était de l’autre côté. (…) Il était tellement énervé qu’il en bavait et j’ai cru qu’il était devenu fou. J’ai eu peur qu’il ne se fasse mal, alors j’ai demandé à Ian d’ouvrir la porte pour le laisser sortir. Il se cala sur ses talons et fixa mes pieds en fronçant les sourcils. (…) On a fouillé la clairière de l’enclos jusqu’à la source et on n’a rien trouvé… sauf ça.
Il ouvrit son sporran et en extirpa mes deux mocassins froissés. Puis il leva les yeux vers moi, le visage impassible.
— Quand on est revenus à la cabane, ils étaient posés sur le seuil de la porte, côte à côte.
Mes cheveux se dressèrent sur mon crâne. Du coup, je bus une grande gorgée d’eau-de-vie.
— Rollo est parti en trombe vers la forêt, reprit Ian. Il est revenu quelques minutes plus tard. Il s’est mis à renifler vos chaussures et à gémir.
— J’ai bien failli faire pareil, dit Jamie d’une voix éraillée.
Je déglutis, mais ma bouche était trop sèche pour que je puisse parler. Jamie glissa un mocassin à mon pied, puis l’autre.
— J’ai cru que tu étais morte, ma Cendrillon, murmura-t-il.
Ian, emporté par son récit, ne l’entendit pas.
— Ce chien est tellement intelligent ! s’exclama-t-il. (…) Pas vrai, Rollo ?
Il gratta affectueusement la tête du chien.
Chapitre 26 p403 Lord John Grey et William de passage, la jalousie de retour
Je tentai de ne plus écouter la conversation et de me concentrer sur l’image de Jamie taillant du bois, m’imaginant blottie dans ses bras chauds et puissants. Cette vision m’apaisait et me réconfortait toujours, même lorsque j’étais seule, en sécurité dans la maison qu’il avait construite pour moi. Mais ce soir-là, ça ne marchait pas. Je restai immobile, me demandant ce qui me mettait dans cet état d’énervement. Ou plutôt, pourquoi je me mettais dans un tel état, car je savais déjà ce qui me travaillait : la jalousie. Je n’avais pas ressenti cette émotion depuis des années et j’en avais honte. Je roulai sur le dos et essayai de faire le vide.
(…) C’était en partie à cause de William, bien entendu. Jamie avait beau se surveiller, j’avais plusieurs fois surpris son regard tandis qu’il observait l’enfant à son insu. Son corps tout entier irradiait la joie, la fierté et l’incertitude. Et de le voir ainsi me nouait. Jamais il ne contemplerait Brianna de cette façon. Jamais il ne la verrait. Il n’y était pour rien et, pourtant, cela me paraissait injuste. Parallèlement, comment lui en vouloir d’être en admiration devant son fils ? Si je ne pouvais regarder ce beau visage d’enfant qui ressemblait tant à celui de sa sœur, c’était mon problème. Cela n’avait rien à voir avec Jamie ni avec Willie. Pas plus qu’avec John Grey, qui avait amené le jeune garçon jusqu’ici.
Chapitre 33 Brianna et Laoghaire
— C’est elle, reprit-elle. Elle l’a ensorcelé dès le premier jour où elle a mis les pieds à Castle Leoch. À moi aussi, elle m’a jeté un sort. Elle m’a rendue invisible. Dès qu’elle est apparue, il a cessé de me voir. Puis, quand elle a disparu, ils ont dit qu’elle était morte. Tuée pendant le Soulèvement. Lorsqu’il est rentré d’Angleterre, il était enfin libre. (…) Mais elle n’était pas morte, continua Laoghaire. Il n’était pas libre. Je le savais. Je l’ai toujours su. (…) Tu l’as vue, n’est-ce pas ? Le jour de notre mariage. Elle se tenait là, comme un spectre, entre Jamie et moi. Tu l’as vue, mais tu n’as rien dit. Je ne l’ai su que plus tard, quand tu l’as raconté à Maisri la voyante. Tu aurais dû me prévenir.
Jenny était devenue très pâle ; ses yeux bridés reflétaient une étrange lueur… de la peur, peut-être ? (…) Laoghaire était livide, le visage pétrifié. (…)
— Je pouvais sentir sa main sur lui, murmura-t-elle. Elle était couchée dans notre lit, entre nous deux, sa main sur lui. Il se réveillait en sursaut pendant la nuit en criant son nom. C’est une sorcière. Je l’ai toujours su.
Un lourd silence s’abattit sur la pièce. (…)
— Si vous êtes vraiment la fille de Jamie Fraser, dit Laoghaire d’une voix claire, alors sachez ceci : votre père est un menteur, un maquereau, un escroc et un tricheur. Je vous souhaite une belle vie, à tous les deux !
Hobart tira sur sa manche et la porte se referma derrière elle. Toute la rage que Brianna avait ressentie s’évanouit aussitôt. Elle se pencha en avant, prenant appui sur la table, serrant toujours le collier dans sa main. (…)
— Il n’a jamais cessé de l’aimer, murmura-t-elle. Il ne l’avait pas oubliée.
— Bien sûr que non.
Elle rouvrit les yeux et vit le visage de Ian à quelques centimètres du sien. Ses grands yeux doux la dévisageaient tendrement.
— Nous non plus, ajouta-t-il.
Chapitre 41 Rencontre Brianna et Jamie
Passage mieux traduit, disponible sur cette page.
— Vous désirez quelque chose ? demanda-t-il. Il avait parlé sur un ton ferme mais courtois. (…)
— Vous, répondit-elle simplement. (…)
Il parut amusé par sa réponse, et l'inspecta des pieds à la tête, arquant un sourcil roux.
— Désolé, petite, dit-il avec un demi sourire. Je suis un homme marié. (…)
— Sérieusement, reprit-il. Ma femme m'attend à la maison et celle-ci n'est pas loin, dit-il en souhaitant visiblement rester courtois. (…)
— Vous... vous êtes bien Jamie Fraser ?
Il redressa brusquement la tête.
— Oui. (…)
— Je m'appelle Brianna. (…) Je suis votre fille, dit-elle en sentant sa voix s'étouffer. Brianna. (…)
— Des images ? dit-elle se sentant essoufflée de bonheur. Tu veux dire, des photos ? Maman t'a retrouvé, n'est-ce pas ? Quand tu parlais de ta femme tout à l'heure, tu voulais dire...
— Claire, l'interrompit-il.
Ses lèvres avaient pris leur décision ; elles se scindaient en un sourire qui illuminait ses yeux comme le soleil illumine les feuilles dansantes des arbres.
— Tu ne l'as pas encore vue ? Mon Dieu ! Elle va être folle de joie !
Chapitre 44 p589
Claire s’approcha et lui enleva un copeau pris dans ses cheveux. (…) Il attrapa ses doigts au vol et les baisa. Elle eut l’air surprise, puis une jolie couleur rosée envahit ses joues. Elle se haussa sur la pointe des pieds et l’embrassa sur la bouche avant de filer pour rattraper Brianna, qui avait déjà atteint la lisière de la forêt.
— Faites attention ! leur cria-t-il encore. Elles agitèrent la main en guise de salut puis s’enfoncèrent dans les bois.
— Deo gratias, murmura-t-il. (…)
S’il était reconnaissant au destin de lui avoir enfin fait rencontrer sa fille, il lui tardait aussi de pouvoir à nouveau faire l’amour à sa femme dans leur lit. Il commençait à faire un peu trop frais pour leurs ébats dans la remise aux simples ou dans la forêt, bien qu’il dût reconnaître que de batifoler sur l’épais manteau de feuilles jaunies avait son charme.
Chapitre 47 Dialogue sur l’agression de Brianna, enceinte
Passage mieux traduit, disponible sur cette page.
Je voulais me mettre au lit avec Jamie et m'allonger au chaud contre lui, nous deux scellés en sécurité sous les couettes contre le froid grandissant de la pièce. (…) Laisser notre discours passer des mots au toucher, de la respiration aux petits mouvements du corps qui étaient en eux-mêmes questions et réponses et que l'achèvement de notre conversation fasse place enfin au silence dans l'unité du sommeil.
Mais il y avait des problèmes dans la maison ce soir, et il n'y avait pas de paix entre nous. (…)
Je ne voulais rien de plus que lui parler - et en même temps, je le redoutais. J'avais promis à Bree de ne pas lui parler de Bonnet. Mais j'étais assez mauvaise menteuse quelles que soient les circonstances - et il connaissait si bien mon visage. (…)
— Jamie, dis-je enfin, alors que nous atteignions le bord du champ, qu'est-il arrivé à ta main qu'as-tu fait à tes mains ?
— Quoi ? sursauta-t-il.
— Tes mains. (…) On ne se fait pas ce genre de blessure en empilant des pierres de cheminée. (…)
— Ah. (…) Brianna... dit-il, elle... elle t'a parlé de l'homme qui lui a fait ça ? Est-ce qu'elle t'a dit son nom ?
J'hésitai - et j'étais perdue. Il me connaissait très bien.
— Elle te l'a dit, n'est-ce pas ?
Sa voix était pleine de colère.
— Jamie, elle m'a fait promettre de ne pas te le répéter, lâchai-je. Je lui ai pourtant expliqué que tu devinerais tout de suite si je te cachais quelque chose, mais... j'ai promis. S'il te plaît, ne me force pas à la trahir ! (…)
— Tu as raison. Oui, je te connais bien, Sassenach ; tu es incapable de cacher un secret à quelqu'un qui te connaît un tant soit peu. Même petit Ian peut lire tes pensées comme dans un livre. (…) Je ne veux pas troubler ta conscience. Elle me le dira elle-même quand elle se sentira prête. Je peux attendre. (…)
— Tes mains, répétai-je. (…)
— Tu te souviens de l'époque où nous nous sommes rencontrés, Sassenach ? Dougal me provoquait sans cesse sans que je puisse me défendre. Tu m'as dit : 'Frappe quelque chose, tu te sentiras mieux.' (…) C'est ce que j'ai fait. J'ai donné des coups de poing dans un tronc d'arbre. Ça m'a fait un mal de chien mais... tu avais raison, ça va mieux je me suis senti mieux, du moins pour un moment.
— Oh.
Je libérai ma respiration, Je fus soulagée qu'il n'ait pas l'intention de nous tirer les vers du nez me pousser dans mes retranchements.
(…)
— Je me demandais... est-ce aussi terrible d'être … d'être violé... quand c'est... ce n'est pas... quand... il n'y a pas de dégâts physiques ? (…)
Je savais très bien qu'il pensait à la prison de Wentworth et aux cicatrices estompées qui striaient son dos, tel un réseau de souvenirs horribles.
— Ce doit être affreux, mais tu as raison, c'est sans doute moins dur à supporter quand il n'y a pas de cicatrices qui rappellent sans cesse ce qu'on a subi. Mais, en l'occurrence, il lui reste une trace physique, et (…) sacrément perceptible, en fait ! (…)
— Tu peux le dire ! (…) Toutefois, s'il ne lui a pas fait mal, c'est toujours ça. Autrement... la mort serait encore trop douce pour ce salaud, conclut-il brusquement.
— Tu oublies un tout petit détail. On ne se 'remet' pas vraiment d'une grossesse, dis-je avec une pointe marquée dans ma voix. S'il lui avait brisé les os ou s'il avait fait couler son sang, elle pourrait guérir. Mais à présent, elle ne pourra jamais l'oublier.
— Je sais ! (…) Pardon, je ne voulais pas crier. Je sais ce que c'est, dit-il plus calmement. Tu m'excuseras, Sassenach, mais j'en connais sacrément plus sur la question que toi. (…) J'essaie de t'expliquer ce que je sais, reprit-il. (…) Je n'ai pas pensé à Jack Randall depuis un bon moment, dit-il enfin. Je ne veux pas le faire maintenant. Mais c'est là. (…) Il y a le corps, Sassenach, et puis il y a l'esprit. Tu es médecin, tu connais bien le premier. Mais pour moi, le second est le plus important. (…) Randall - la plupart des choses qu'il m'a fait subir, j'aurais pu les supporter, poursuivit-il d'une voix songeuse. (…) J'aurais eu peur, j'aurais eu mal, j'aurais eu envie de le tuer, mais j'aurais pu aussi continuer à vivre sans toujours sentir ses mains sur mon corps, sans me sentir souillé. Mais il ne pouvait pas se satisfaire de mon corps. Il lui fallait mon âme aussi... et il l'a eue. (…) Mais bon, tu sais tout ça (…) Ce que j'essaie de dire, c'est que... si cet homme n'était qu'un inconnu qui ne l'a prise que pour un moment de plaisir... s'il n'en voulait qu'à son corps... alors je pense qu'elle guérira. (…) Mais s'il la connaissait, s'il était assez proche pour la vouloir, elle, plutôt que n'importe quelle autre femme, alors il a peut-être blessé son âme et lui a fait un mal difficilement réparable.
— Parce que tu crois qu'il ne lui a pas vraiment fait de mal ? dis-je en haussant la voix malgré moi. Qu'il l'ait connue auparavant ou pas...
— C'est différent, je peux te le dire !
— Non ! C'est la même chose. Je comprends ce que tu veux dire mais...
— Tu ne comprends pas !
—Si ! Mais pourquoi...
— Parce que ce n'est pas ton corps qui compte quand je te prends ! dit-il Tu le sais très bien, Sassenach !
Il pivota sur place et m'embrassa brutalement, me prenant complètement par surprise, il écrasa mes lèvres contre mes dents puis il prit toute ma bouche avec la sienne, à moitié mordante, exigeante. (…)
— Je ne peux pas. dit-il. (…) Je ne peux pas. (…) Ce n’est pas que je ne veux pas de toi. dit-il enfin, (…) Je te veux peut-être plus que jamais. dit-il doucement. Seigneur ! J'ai besoin de toi, Claire. Mais je ne peux même pas me considérer comme un homme pour le moment. Je ne peux pas te toucher et penser à ce qu'il… Je ne peux pas.
Je touchai son bras.
— Je comprends, dis-je, et c'était le cas. (…)
Comment serait-ce de faire l'amour avec lui, en imaginant tout le temps un acte identique dans ses mouvements, mais totalement différent dans son essence ?
— Je comprends, Jamie, répétai-je.
Il ouvrit les yeux et me regarda.
— Tu comprends, n'est-ce pas ? Et c'est ce que je veux dire.
Il prit mon bras et m'attira près de lui.
— Tu pourrais m'écarteler Claire, sans me toucher, murmura-t-il, Car tu me connais.
Ses doigts touchèrent le côté de mon visage. Ils étaient froids et raides.
— Et je pourrais te faire de même.
— Tu pourrais, dis-je, me sentant un peu faible. Mais j'aimerais vraiment que tu ne le fasses pas.
Il sourit un peu de mes derniers mots, se pencha et m'embrassa, très doucement. (…) Je savais ce qu'il voulait dire, à propos de la différence entre les dommages au corps ou à l'âme. (…) Je reculai enfin, et levai la tête pour le regarder.
— Et toi ? demandai-je. Comment réagirais-tu si c'était moi ?
Il me lança un regard surpris, ouvrit la bouche, la referma, me dévisagea d'un air troublé.
— J'allais dire : 'Bien sûr que je resterais à ton côté !', dit-il enfin lentement. Mais je t'ai promis d'être toujours sincère, non ?
— Oui. Dis-je, et je sentis mon cœur sombrer sous son fardeau coupable. (…)
— Oui, bon Dieu, je resterais ! Toi, tu serais toujours à moi, même si l'enfant ne l'était pas. Et si tu... Oui, je le ferais, répéta-t-il fermement. Je te prendrais, toi et l'enfant, et que le monde entier aille au diable !
— Mais ensuite... ? demandai-je. Tu crois que tu n'y penserais pas, chaque fois que tu te glisserais dans mon lit ? Que tu ne verrais pas le visage du père chaque fois que tu regarderais l'enfant ? Que tu ne me le jetterais jamais au visage ou que tu ne le laisserais pas se mettre entre nous ?
Il allait rétorquer quelque chose, mais referma la bouche sans parler. Puis je vis un changement se faire sur ses traits, le choc soudain d’une réalisation qui le rendait mal à l’aise.
— Seigneur ! dit-il. Frank. Pas moi. C'est de Frank dont tu parles.
J'acquiesçai et il me saisit les épaules.
— Que t'a-t-il fait ? me demanda-t-il. Quoi ? Dis-le-moi, Claire !
— Il m'a soutenue, dis-je, d'une voix qui me parut étranglée même à mes propres oreilles. J'ai tout fait pour qu'il parte, mais il est resté. Puis, quand le bébé... Brianna est arrivée... il l'a aimée, Jamie. Il n’était pas sûr, il ne pensait pas pouvoir le faire - moi non plus - mais il l’a vraiment fait. Je suis désolée ajoutai-je.
Il prit une profonde inspiration et lâcha mes épaules.
— Ne sois pas désolée pour ça, Sassenach, dit-il d'un ton bourru. Jamais.
Il passa une main sur son visage et j'entendis le léger frottement de son chaume du soir.
— Et toi,Sassenach ? Ce que tu as dit... quand il venait dans ton lit. Pensait-il…
Il s'interrompit brusquement, laissant toutes les questions en suspens entre nous, non exprimées, mais posées néanmoins.
— C'était peut-être moi - ma faute, je veux dire, dis-je enfin, dans le silence. C'est que... je ne pouvais pas oublier. (…) Cela aurait été plus facile ... mieux... pour lui si ça avait été un viol. C'est ce que lui ont dit les médecins, tu sais, que j'avais été maltraitée, violée et que le traumatisme me faisait délirer. C'est ce que tout le monde pensait, mais je continuais à lui répéter que non, ça ne s'était pas passé comme ça. J'insistais pour lui dire la vérité et, au bout du compte, il a fini par me croire au moins en partie. C'était là tout le problème : non pas que j'avais eu un enfant d'un autre homme, mais que je t'avais aimé. Et que je n'arrêterais pas. Je ne pouvais pas, ajoutai-je d'un ton plus doux. Frank était meilleur que moi. Il a eu le courage de tirer un trait sur le passé, au moins pour l'amour de Bree. Mais pour moi...
Les mots moururent dans ma gorge et je m'interrompis.
— Et alors tu as vécu vingt ans auprès d'un homme qui ne pouvait pas te pardonner pour ce qui n'a jamais été ta faute ? C'est moi qui t'ai fait ça, n'est-ce pas ? dit-il. Je suis désolé aussi, Sassenach.
Je laissai échapper un sanglot étranglé.
— Tu m'as dit un jour que tu pouvais m'écarteler sans même me toucher, répondis-je. Tu avais raison, bon sang.
— Pardonne-moi, répéta-t-il dans un murmure, mais cette fois, il m'attira à lui et me serra fort contre lui.
— Te pardonner quoi ? demandai-je. Le fait que je t'aime ? Ne le regrette pas, je t'en prie, dis-je, ma voix à moitié étouffée dans sa chemise. Jamais.
Il ne répondit pas mais pencha la tête et appuya la joue sur mes cheveux. Tout était calme. J'entendais les battements de son cœur dans le bruit du vent à travers les arbres. (…)
Au moment où nous contournions la porcherie, Jamie reprit la parole :
— Oui, eh bien... J'espère que Roger Wakefield saura se montrer plus à la hauteur que nous deux, Frank et moi.
Il me regarda.
— Il a intérêt, ou il aura affaire à moi !
Je me mis à rire malgré moi. (…)
Juste avant le chemin qui menait à la porte, je l'arrêtai.
— Jamie, hésitai-je. Tu crois que je t'aime ? (…)
— Si ce n'est pas le cas, Sassenach, dit-il enfin, tu choisis vraiment mal ton moment pour me l'annoncer.
Je laissai échapper mon souffle dans le fantôme d'un rire.
— Non, ce n’est pas ce que je veux dire, l’assurai-je. Mais…
Ma gorge se serra et j'avalai à la hâte, ayant besoin de faire sortir les mots.
— Je... je ne te le dis pas souvent. C’est peut-être seulement que je n’ai pas été élevée pour dire de telles choses. (…) Écoute, ce que je veux dire, c'est que... si je ne le dis pas, comment sais-tu que je t'aime ?
Il resta immobile, me regardant, puis hocha la tête en signe d'acquiescement.
— Je le sais parce que tu es ici, Sassenach, dit-il avec calme. C’est bien ce que tu veux dire, non ? Qu'il est venu la chercher - ce Roger. Et alors peut-être qu'il l'aimera assez ? Ce n’est pas une chose que tu ferais juste par amitié. (…)
— Jamie ?
— Oui ?
— Devrais-je... voudrais-tu... tu as besoin que je te le dise ? (…)
— Non, je n'en ai pas besoin.
Sa voix était douce.
— Mais je n'y vois aucun inconvénient si tu veux le faire. Dis-le-moi de temps en temps. Pas trop souvent quand même, je ne voudrais pas gâcher ce plaisir.
Je pouvais entendre le sourire dans sa voix, et je ne pouvais pas m'empêcher de sourire en retour, qu'il puisse le voir ou non.
— Mais une fois de temps en temps ne serait pas un luxe, n'est-ce pas ?
— Non.
Je m'approchai de lui et posai les mains sur ses épaules.
— Je t'aime.
Il me regarda longuement.
— J'en suis heureux, Claire, dit-il doucement, et il toucha mon visage. Très heureux. Viens te coucher maintenant, je vais te réchauffer.
Chapitre 49 p634 Désaccord au sujet d’un avortement de Bree si elle le demande
Je vins me placer derrière lui et posai une main sur son épaule. Il ne bougea pas. Je le caressai doucement, cherchant un réconfort dans sa solidité et sa force.
— Jamie, tout ira bien. J’en suis sûre.
Je cherchais surtout à m’en convaincre. Je voulais qu’il me prenne dans ses bras et m’assure lui aussi que tout irait bien, ou, du moins, qu’il me dise qu’il ne me reprocherait pas ce qui arriverait, pour le meilleur ou pour le pire. Il se retourna brusquement, délogeant ma main.
— Tu as une haute opinion de tes pouvoirs, n’est-ce pas ? dit-il sur un ton cassant.
Il m’agrippa le poignet et le serra.
— Tu crois que la décision t’appartient, à toi seule ? Que tu peux décider de la vie et de la mort ?
Je sentis les petits os de ma main écrasés les uns contre les autres et me raidis, essayant de me libérer.
— Non, ce n’est pas à moi de décider ! répliquai-je. Mais si elle le veut, alors oui, il est en mon pouvoir de l’aider. Comme tu le ferais toi-même. Comme tu l’as déjà fait, quand il l’a fallu.
Je fermai les yeux, refoulant la peur. Il n’allait tout de même pas me faire mal ? Je me rendis soudain compte qu’il pouvait m’empêcher d’agir. Il lui suffisait de serrer un peu plus fort et de me briser les os de la main. Très lentement, il baissa la tête et appuya son front contre le mien.
— Regarde-moi, Claire, dit-il doucement. (…) Je t’en supplie, chuchota-t-il.
Il me lâcha et partit. Je restai un long moment adossée au mur, fixant la porte par laquelle il venait de disparaître, l’entaille de mon pouce m’élançant au rythme des battements de mon cœur. J’étais si troublée par cette scène avec Jamie que je me sentais incapable de prendre la moindre résolution.
Chapitre 50 p641 Où tout est révélé
— Comment as-tu pu demander une chose pareille à ce pauvre Ian ? hurlait Brianna, hors d’elle. Je n’ai jamais vu une arrogance aussi despotique… (…)
Il se passa une main dans les cheveux, signe d’une grande agitation et de ses efforts pour se maîtriser. Il baissa le ton, faisant de son mieux pour être conciliant.
— Je t’assure, Brianna, j’ai fait de mon mieux pour te trouver le meilleur des époux. (…) « Envie » ? Mais il n’est pas question d’« avoir envie » ! (…) Tu te trompes, ma fille. Ton enfant va bientôt naître et il lui faut un nom. Il n’est plus temps de faire la difficile. (…) Allons, Brianna. Si tu ne le fais pas pour toi, fais-le pour l’enfant. (…) C’est comme ça que t’a élevée Frank Randall ? questionna-t-il, dépité. Tu n’as donc aucune notion du bien et du mal ?
— Mon père a toujours voulu ce qu’il y avait de mieux pour moi ! rétorqua-t-elle. Il n’aurait jamais fait un coup pareil. Jamais ! Il m’aimait, lui ! (…)
— Parce que moi, non ? Parce que je ne cherche pas ce qu’il y a de mieux pour toi ? En dépit du fait que tu sois… que tu sois… (…) Je n’ai jamais vu quelqu’un se comporter de manière aussi insensible, idiote et égoïste ! cracha Jamie.
— Tu n’es qu’un monstre qui se croit tout permis !
— Un monstre ? C’est toi qui dis ça, alors que tu t’apprêtes à mettre au monde un innocent qui sera exposé toute sa vie aux calomnies et qu’on montrera du doigt… (…) Pauvre sotte ! Tu n’as donc aucune idée de la manière dont les choses se passent ici ? Tu seras l’objet d’un scandale ! Les gens te traiteront ouvertement de putain ! (…) Et moi, je suis censé rester là à écouter leurs insultes sans rien faire ?
— Personne ne t’a demandé de jouer les gardes-chiourme !
— Qui va s’en charger si ce n’est moi ?
(…)
— Que veut dire nighean na galladh (fille de pute) ? demanda-t-elle sur le pas de la porte.
— Je ne sais pas, mentis-je. Mais je suis sûre qu’il ne le pensait pas.
(…)
Je le rejoignis sur le sentier devant la maison quelques instants plus tard.
— Que dois-je faire ? interrogea-t-il sans préambule.
— T’excuser.
— M’excuser ? Mais qu’est-ce que j’ai fait de mal ?
— Là n’est pas la question, rétorquai-je. Tu me demandes ce que tu dois faire et je te l’ai dit.
Il souffla bruyamment par le nez, hésita un instant puis reprit le chemin de la maison, les épaules redressées pour affronter la bataille ou le martyre. Il se planta devant elle.
— Je m’excuse, déclara-t-il. (…) J’ai eu tort. Je n’aurais pas dû…
— Ce n’est pas grave. J’ai eu tort moi aussi. Je n’aurais pas dû m’énerver.
(…)
(Puis Brianna dessine le portrait de Roger)
Ian émit un son étranglé. (…) Il fixait Jamie d’un air sidéré. Je me tournai vers Jamie, pour découvrir exactement la même expression sur son visage. (…) Il déglutit laborieusement. Les commissures de ses lèvres se mirent à trembler. Alarmée, je lui saisis le poignet, cherchant son pouls.
— Jamie, qu’est-ce qu’il y a ? m’écriai-je. Tu as mal quelque part ? Tu te sens faible ?
— Moi, oui, dit Ian.
Il était penché en avant, semblant sur le point de vomir. Il fit un petit geste vers le dessin. (…)
Elle explosa à son tour et frappa du poing sur la table.
— QU’EST-CE QUE TU LUI AS FAIT ? hurla-t-elle. (…)
— Jamie… tu l’as tué ? questionnai-je d’une voix tremblante.
— Euh… non. Je l’ai livré aux Iroquois. (…) Il a dit… que tu l’avais invité à partager ta couche. Que tu… (…) … que tu le désirais et que tu lui avais offert de toi-même ta virginité.
— C’est vrai.
Jamie ferma les yeux et serra les dents. (…)
— Je n’ai pas voulu le croire, siffla-t-il. Je me suis dit qu’il essayait simplement de sauver sa peau, que ce n’était pas possible… (…)
Il la dévisagea longuement, fouillant son visage à la recherche d’un signe de… regret ? …de remords ? Quoi qu’il en soit, il n’y trouva que le reflet de sa propre fureur froide. Il détourna les yeux.
— Je l’ai regretté, continua-t-il. Quand je suis rentré ce soir-là et que je t’ai vue, j’ai songé que j’aurais dû le tuer. Je t’ai tenue dans mes bras, le cœur rempli de honte parce que j’avais douté de la vertu de ma fille. À présent, je suis mortifié. Non seulement tu es impure, mais tu m’as menti. (…) Oui, menti ! Dire que tu as couché avec un homme pour ton propre plaisir puis venir te plaindre qu’on t’a violée ! Tu te rends compte que, pour un peu, je me retrouvais avec un meurtre sur la conscience, par ta faute ?
(…) Moi aussi incapable de parler, je fouillai ma poche en hâte, sortis l’anneau d’or et le laissai tomber sur la table. « De F. à C. pour la vie ». Le visage de Jamie se vida de toute expression. (…) Jamie le saisit entre le pouce et l’index comme un insecte dangereux.
— Où as-tu récupéré ça ? demanda-t-il.
Il avait parlé sur un ton presque détaché mais lorsque je croisai son regard, un frisson de terreur m’envahit.
— C’est moi qui le lui ai apporté, déclara Brianna. Et je t’interdis de la regarder comme ça !
Il se tourna vers elle mais elle ne sourcilla même pas. Elle vint se placer derrière moi, posant les mains sur mes épaules dans un geste protecteur.
— Où l’as-tu trouvé ? répéta-t-il.
— Chez Stephen Bonnet. (…) … quand il m’a violée, ajouta-t-elle.
Le visage de Jamie se décomposa soudain, comme s’il avait implosé. Je tendis une main vers lui mais il se tint immobile au milieu de la pièce. (…) J’étais étrangement consciente de tout ce qui se passait autour de moi, mais n’avais d’yeux que pour Jamie. Il semblait enraciné dans le sol, les poings fermés sur son ventre comme pour empêcher ses entrailles de se déverser d’une plaie béante.
J’aurais dû dire ou faire quelque chose. (…) Mais j’étais paralysée. Je ne pouvais aider l’un sans trahir l’autre… et les avais déjà trahis tous les deux. J’avais bradé l’honneur de Jamie en croyant le protéger et, ce faisant, j’avais peut-être provoqué la mort de Roger et détruit le bonheur de ma fille. (…)
— Pauvre type ! dit-elle d’une voix à peine audible. Je te déteste. Je maudis le jour où je t’ai rencontré.
Chapitre 53 p663 A la recherche de Roger
Jamie n’avait pas dit un mot entre notre départ de River Run et notre arrivée dans le village tuscarora de Tennago. Je chevauchais derrière lui, déchirée entre ma culpabilité d’avoir laissé Brianna seule, mon angoisse à propos de Roger et ma douleur devant son mutisme. Il était sec avec Ian et n’avait dit que le strict minimum à Jocasta. À moi, pas un traître mot. De toute évidence, il m’en voulait de ne pas lui avoir révélé plus tôt la vérité sur Stephen Bonnet. Rétrospectivement, je m’en voulais aussi, voyant le résultat catastrophique de ma discrétion. Il avait gardé l’alliance d’or que je lui avais jetée à la figure. Je n’avais pas la moindre idée de ce qu’il en avait fait. (…)
La main de Jamie se posa sur mon épaule. Machinalement, je la pris et la serrai dans la mienne. Nous ne nous étions pas touchés depuis près d’un mois. (…)
— A notre retour, nous lui rendrons peut-être une courte visite, déclara Jamie.
— Tu ne crois pas que tu as suffisamment de problèmes comme ça ?
J’avais parlé sur un ton plus sec que je ne l’aurais voulu et il retira brusquement sa main.
— Sans doute, dit-il. Le visage impavide, il se tourna vers Ian. (…)
Je me levai à mon tour pour l’imiter, mais Ian m’arrêta d’une main sur mon bras.
— Tante Claire, dit-il sur un ton hésitant, quand allez-vous lui pardonner ?
— Lui pardonner ? Mais lui pardonner quoi ? Roger ?
— Non, ça, c’était une sale erreur, mais il referait la même chose s’il croyait toujours que c’est lui le violeur. Je voulais parler de Bonnet.
— De Bonnet ? Mais il ne croit tout de même pas que je lui en veux pour ça ?
Je ne lui ai jamais rien dit à ce sujet ! Je n’y avais même pas songé, pensant qu’il m’en voulait à moi. Ian se gratta le crâne d’un air embarrassé.
— C’est que… vous ne comprenez donc pas, tante Claire ? Il s’en veut depuis que cette ordure nous a volés sur le fleuve et, maintenant, après ce qu’il a fait à Brianna… Ça le ronge de l’intérieur, surtout parce que vous êtes fâchée contre lui…
— Mais je ne suis pas fâchée contre lui ! Je croyais qu’il était fâché contre moi, parce que je ne lui avais pas révélé tout de suite le nom de Bonnet.
— Ah !
Ian semblait ne pas savoir s’il devait en rire ou en pleurer.
— Le fait est, ma tante, que ça nous aurait épargné bien des soucis si vous le lui aviez dit. Mais non, je suis sûr que ce n’est pas ça. Après tout, quand Brianna vous en a parlé, il était déjà trop tard. Nous avions déjà rencontré MacKenzie dans la montagne.
— Tu penses vraiment qu’il croit que je lui en veux ?
— Mais ça crève les yeux, tante Claire ! Vous ne le regardez jamais et vous ne lui adressez la parole que quand c’est indispensable. (…) Et puis… je ne vous ai pas vue le rejoindre dans son lit une seule fois de tout le mois.
— Mais il n’est pas venu dans le mien non plus ! me défendis-je.
Il me vint à l’esprit un peu tard que ce n’était pas là le genre de conversation que je devais avoir avec un garçon en âge d’être mon fils. Ian haussa les épaules et me lança un regard las.
— Quand même, tante Claire, il a sa fierté, non ?
— Ça, pour l’avoir ! soupirai-je. Enfin, merci pour ce conseil, Ian.
Il m’adressa un sourire d’enfant qui illumina son long visage.
— C’est que je ne supporte pas de le voir souffrir. J’aime tellement oncle Jamie !
— Moi aussi, répondis-je en déglutissant péniblement. Bonne nuit, Ian
(…) Pourquoi n’avais-je pas remarqué ce que Ian avait vu ? La réponse était simple : ce n’était pas la colère mais la culpabilité qui m’avait aveuglée. J’avais caché le nom de Bonnet autant en raison de l’alliance de Frank que parce que Brianna me l’avait demandé. J’aurais pu la persuader de le dire elle-même à Jamie. Elle avait raison, bien sûr. Tôt ou tard, Jamie se lancerait à la poursuite de Bonnet. J’avais plus confiance qu’elle en l’issue de cette confrontation. Non, c’était bien la bague qui m’avait incitée à garder le secret. Mais pourquoi m’en sentir coupable ? La réponse était moins simple. C’était l’instinct et non la raison qui m’avait poussée à lui cacher l’alliance. Je n’avais pas voulu la lui montrer, la repasser à mon doigt sous son nez. Mais j’avais eu besoin de la garder. Mon cœur se serra quand je songeai aux semaines qui venaient de s’écouler. J’avais craint que, s’il partait seul, il ne revienne pas. Aiguillonné par la culpabilité, il ne reculerait devant rien. Avec moi, il se montrerait plus prudent. Pendant tout ce temps, il s’était senti non seulement seul, mais rejeté par la seule personne qui pouvait, et devait, le réconforter. (…)
— Jamie, je suis désolée, chuchotai-je. Ce n’était pas ta faute.
— La faute à qui, alors ?
— A tout le monde. À personne. À Stephen Bonnet. Mais pas à toi.
— Bonnet ? s’étonna-t-il. Quel rapport ?
— Eh bien… c’est à cause de lui, non ? dis-je, prise de court. Il se détacha de moi, écartant les cheveux de son visage.
— Stephen Bonnet est un salaud, dit-il calmement. Je le tuerai à la première occasion. Mais je ne peux pas lui imputer mes propres erreurs.
— Mais de quoi parles-tu ? Quelles erreurs ?
Il ne répondit pas tout de suite. Ses jambes étaient entremêlées avec les miennes et je pouvais sentir la tension dans son corps, nouant ses articulations, faisant tressauter les muscles de ses cuisses.
— Je n’aurais jamais cru devenir jaloux d’un mort, dit-il enfin.
— D’un mort ? (…) De Frank ?
— Qui d’autre ? Cela me ronge depuis que nous sommes partis de River Run. Je vois son visage, jour et nuit. Tu as bien dit qu’il ressemblait à Jack Randall, non ? (…) Tu l’as entendue, non ? Tu sais très bien ce qu’elle m’a dit !
— Brianna ?
— Elle a dit qu’elle aimerait me voir brûler en enfer, qu’elle donnerait son âme pour retrouver son père… son vrai père. Je suis sûr qu’il n’aurait pas commis une telle erreur. Il lui aurait fait confiance… Je crois que Frank Randall était meilleur que moi. En tout cas, elle en est persuadée. (…) … Sans doute toi aussi, Sassenach.
— Tu n’es qu’un idiot ! Viens ici. (…) Elle ne le pensait pas, dis-je.
— Si. Je l’ai bien entendue.
— Je vous ai entendus tous les deux. Elle est comme toi. Quand elle s’énerve, elle dit n’importe quoi. Toi-même, tu ne pensais pas tout ce que tu lui as dit, n’est-ce pas ?
— Non. Pas tout.
— Elle non plus. (…) Tu peux me faire confiance, murmurai-je. Je vous aime tous les deux.
Il soupira et resta silencieux un moment avant de demander d’une voix hésitante :
— Si je retrouve son homme et que je le lui ramène, tu crois… tu crois qu’elle me pardonnera un jour ?
— Oui, j’en suis certaine. (…)
Juste avant que nous quittions River Run, Brianna m’avait glissé à l’oreille : « Tu dois partir. Tu es la seule qui puisse le ramener. » Pour la première fois, je me rendis compte qu’elle n’avait peut-être pas voulu parler de Roger.
Chapitre 60 p720 Roger
Mourir avec l’assurance que Brianna l’aimait encore était toujours mieux que de crever comme un chien abandonné. (…) De l’eau stagnait dans l’un des pots au fond de la hutte. Il y trempa un bout du plaid de Fraser et lui essuya le visage. (…) Il ouvrit grands les yeux et, avant que Roger n’ait eu le temps de réagir, se redressa sur un genou, la main sur le sgian dhu glissé dans sa botte. Roger leva un bras devant son visage pour se protéger pendant que Fraser le dévisageait d’un regard assassin. Puis ce dernier parut reprendre ses esprits. Il secoua vigoureusement la tête, cligna des yeux, gémit et se laissa retomber lourdement sur les fesses.
— Ah, c’est toi ! dit-il simplement. Il ferma les yeux et gémit à nouveau. Puis il tressaillit et se redressa brusquement.
— Claire ! s’écria-t-il. Ma femme ! Où est-elle ?
— Claire ? glapit Roger. Vous l’avez amenée ici ? Vous avez amené une femme dans cet… enfer ? Fraser lui lança un regard agacé mais ne daigna pas répondre. Il se tourna vers l’entrée. (…)
— Il y a une sentinelle, indiqua Roger en suivant son regard. Fraser se leva d’un bond, agile comme une panthère. La plaie de son visage saignait toujours mais ne semblait pas le gêner. Il se plaqua contre la paroi, s’approcha de la porte et souleva la peau de daim. (…) Le grand Highlander ne tenait pas en place. Il se releva et retourna près de l’entrée, regardant sous la peau.
— Quand avez-vous vu Claire pour la dernière fois ? reprit Roger.
— Juste avant qu’ils ne commencent à se battre. Nous nous sommes trouvés pris dans la foule venue voir le bûcher. Ils ont attaché le prêtre à un poteau, lui ont ouvert la poitrine et lui ont arraché le cœur encore palpitant. C’était insoutenable. Je ne voulais pas que Claire voie ça, mais nous ne pouvions pas faire marche arrière. Écrasés comme nous l’étions, je n’avais pas remarqué une jeune Indienne qui se tenait de l’autre côté de Claire. Elle portait un bébé dans les bras. Quand ils ont allumé le feu, elle s’est tournée vers Claire, lui a flanqué son bébé dans les bras et s’est faufilée dans la foule. Elle a marché droit vers le bûcher.
— Quoi ? fit Roger, incrédule.
— Les flammes se sont refermées sur elle. Ses cheveux ont tout de suite pris feu, comme une torche vivante. Elle s’est accrochée au prêtre et, au bout de quelques secondes à peine, on ne les distinguait plus l’un de l’autre. Ils ne formaient qu’une seule silhouette noire. Une femme s’est mise à hurler dans la foule, puis, tout à coup, ça a été la cohue. Tout le monde courait dans tous les sens ou se battait.
Il avait essayé de faire les deux à la fois, protégeant Claire et l’enfant tout en se frayant un chemin dans la foule à coups de poing et de pied. Il avait vite été dépassé par le nombre. Incapables de s’enfuir, ils s’étaient plaqués contre le mur d’une hutte. Il avait saisi un bâton tout en appelant Ian à la rescousse.
— L’un de ces démons a jailli de la fumée. J’ai réussi à le repousser, mais l’instant d’après, ils étaient trois à m’assaillir. J’ai reçu un coup de tomahawk sur la tempe et j’ai perdu connaissance. Je n’ai pas revu Claire ou Ian depuis lors.
(p723) — Brianna ? demanda-t-il. Où est-elle ? Jamie sursauta.
Ce garçon pouvait-il lire dans les pensées ? Avait-il hérité du don ?
— Elle… euh… elle est à River Run, chez sa tante. Elle est en sécurité.
Les yeux verts le fixèrent.
— Pourquoi est-ce Claire qui vous a accompagné et non pas elle ?
Jamie soutint son regard. Il allait bientôt savoir s’il pouvait vraiment lire dans les pensées. La dernière chose qu’il avait l’intention de lui dire en ce moment, c’était la vérité. Il serait toujours temps quand ils seraient hors de danger.
— Je n’aurais pas dû laisser Claire venir non plus. Mais à moins de la ligoter, il n’y a rien eu à faire. Elle est si têtue !
Une lueur sombre traversa le regard de MacKenzie. De doute ou de chagrin ?
— Je ne pensais pas que Brianna était du genre à se laisser dicter sa conduite par son père.
Jamie se détendit légèrement. Il ne lisait pas dans les pensées.
Chapitre 61 p730 Le sacrifice de Jamie, le choix de Ian
Une fois les Indiens chrétiens partis, nous restâmes seuls. (…)
— Vous croyez qu’ils vont nous tuer ? demanda Roger au bout d’un moment. (…)
— Ils ne nous tueront pas, déclarai-je. (…) En tout cas, ils ne vous tueront pas, leur honneur le leur interdit car le whisky volé avait été offert en échange de votre vie. Mais comme ils ne peuvent pas venger leur mort, la coutume veut qu’ils adoptent un de leurs ennemis dans la tribu pour le remplacer. (…)
— M’adopter ! Ils veulent me garder ?
— L’un de nous. Ou plutôt l’un de vous. Je suis sans doute hors concours, étant une femme. (…)
— Ce sera moi, annonça soudain Jamie.
Il posa une main sur mon bras avant que je puisse protester.
— Ian et toi raccompagnerez MacKenzie auprès de Brianna.
Il regarda Roger, le visage impénétrable.
— Après tout, ajouta-t-il, c’est de vous deux qu’elle a le plus besoin.
Roger commença aussitôt à protester mais je m’interposai. (…)
— Je me demande bien où est passé Ian !
— Je n’en ai pas la moindre idée, bougonna Jamie. (…)
— Je… je ne peux pas rester longtemps, oncle Jamie. J’ai dû insister pour qu’ils me laissent vous dire adieu.
Jamie était livide.
— Mon Dieu ! Ian…
— Je vais recevoir mon nouveau nom tout à l’heure pendant la cérémonie d’adoption. Après cela, je serai indien et je n’aurai plus le droit de parler une autre langue que le kahnyen’kehaka. Je ne pourrai plus m’exprimer en anglais ou en gaélique.
Il sourit faiblement avant d’ajouter :
— Comme je sais que tu ne parles pas très bien le mohawk…
— Ian, tu ne peux pas faire ça !
— C’est déjà fait, mon oncle. (…) Vous serez libres demain matin (…). Ils ne vous retiendront pas.
Je le lâchai et il traversa la hutte pour s’approcher de Roger qui l’observait, médusé.
— Je suis désolé pour ce qu’on t’a fait. Pardonne-moi. Tu veilleras bien sur ma cousine et le petit ?
Roger serra sa main et s’éclaircit la gorge.
— Oui, je te le promets.
— Ian, s’écria Jamie, je ne peux pas te laisser faire ! C’est à moi de rester ! (…)
— Tu m’as dit un jour que je n’avais pas le droit de gâcher ma vie. Rassure-toi, je n’en ai pas l’intention. (…) Toi non plus, je ne t’oublierai pas, oncle Jamie.
(p734) Roger tressaillit.
— Quoi ? Vous ne croyez tout de même pas que je vais l’abandonner ! Et mon enfant ?
J’ouvris la bouche et vis Jamie se raidir.
— Non, déclarai-je fermement. Il faut lui dire. De toute manière, Brianna le fera. Autant qu’il le sache tout de suite. Il a peut-être une décision à prendre, lui aussi. Auquel cas, il vaut mieux qu’il soit au courant avant de la voir.
Jamie serra les dents, puis acquiesça.
— Soit, dis-lui.
— Me dire quoi ? demanda Roger, inquiet.
— Nous ne sommes pas certains que l’enfant soit de vous.
L’espace d’un instant, son visage resta le même, puis son esprit enregistra les mots qu’il venait d’entendre. Il m’agrippa les deux bras et les serra si fort que je poussai un cri. Jamie réagit comme un éclair. Il lui décocha un crochet du droit juste sous la mâchoire, qui lui fit lâcher prise et tomber à la renverse.
— Après que tu as abandonné ma fille, elle a été violée. Ça s’est passé deux jours après vos ébats. Alors, l’enfant est peut-être de toi et peut-être pas.
Chapitre 65 p763 État civil du bébé
« Prénom », écrivis-je. Je m’arrêtai. Bonne question ! Le sujet était encore en discussion. Quant à son patronyme, il n’était pas encore envisagé. (…) Brianna ne ressentait manifestement pas le besoin de le nommer. (…) Elle refusait tout bonnement de lui donner un prénom définitif.
— Pas encore, disait-elle. (…) Brianna se taisait, mais la réponse coulait de source : quand Roger serait là.
— S’il ne se montre pas, me dit Jamie en aparté, ce pauvre enfant ira à la tombe sans un nom. Bon sang, que cette fille est têtue !
— Elle a confiance en Roger, rétorquai-je. Tu ferais bien de l’imiter. Il me lança un regard noir. — Il y a une grande différence entre la confiance et l’espoir, Sassenach. Tu le sais très bien.
— Alors essaie l’espoir ! répliquai-je sèchement. Je lui tournai le dos, plongeant ma plume dans l’encrier. Le jeune « Point d’Interrogation » avait eu une fièvre de lait qui nous avait tenus éveillés toute la nuit. Abrutie de fatigue et de méchante humeur, je n’allais pas tolérer des manifestations de mauvaise foi. Jamie contourna la table et s’assit en face de moi, posant son menton sur ses bras croisés. Je n’avais pas d’autre solution que de le regarder.
— Je ne demande pas mieux, dit-il avec un sourire dans les yeux. Le problème, c’est que je n’arrive pas à décider si j’espère qu’il s’amène ou qu’il ne réapparaisse jamais. Je souris malgré moi et lui chatouillai le nez avec la pointe de ma plume en signe de pardon. Il éternua puis se redressa, essayant de lire le papier devant moi.
— Qu’est-ce que tu fais, Sassenach ?
— Je rédige le certificat de naissance de notre petit Machin, dans la mesure du possible.
— Machin ? dit-il d’un air suspicieux. C’est un saint ?
— J’en doute, quoique… ! Il y en a bien qui s’appellent Pantaléon, Onuphrie ou Ferréol.
— Ferréol ? Je n’en ai jamais rencontré.
— C’est un de mes préférés, lui assurai-je.
p770 Brianna à Roger
Elle leva les yeux et soutint son regard avant d’ajouter :
— Je ne vivrai pas avec toi si tu es revenu par devoir, déclara-t-elle. J’ai déjà vu un couple rester ensemble par obligation. Et puis j’en ai vu un autre qui tenait par amour. Je prendrai cette dernière option ou rien du tout. Il me fallut un certain temps pour comprendre qu’elle voulait parler de mon mariage avec Frank. Ce fut comme une gifle en plein visage. Je cherchai le regard de Jamie ; il me dévisageait avec un air ahuri. Enfin il s’éclaircit la gorge et se tourna vers Roger.
p791 Lettre de Frank, tombe et confession
Mon cher Reg, Mon cœur est malade (je ne parle pas de Claire !). (…) Je n’ai pas vraiment peur de ce qui m’attend de l’autre côté (si quelque chose m’attend), mais sait-on jamais ? (…) Je n’attends pas de réponse de ta part. Je te demande uniquement de m’écouter. Tu sais si bien le faire ! Tu te souviens du service que je t’ai demandé il y a quelques années concernant les tombes de Sainte-Kilda ? Comme tu es un vrai ami, tu ne m’as jamais demandé d’explications, mais il serait temps que je t’en donne. Dieu seul sait pourquoi Black Jack Randall a été enterré sur une colline écossaise plutôt que sur ses terres du Sussex ! (…) Quoi qu’il en soit, c’est là-bas qu’il repose. Si Brianna s’intéresse un jour à son histoire, à mon histoire, elle le recherchera et le trouvera. L’emplacement de sa tombe est mentionné dans nos archives familiales. C’est pourquoi je t’ai demandé de placer l’autre tombe non loin de là. (…) Tôt ou tard, Claire emmènera Brianna en Ecosse, j’en suis persuadé. Si elle se rend à Sainte-Kilda, elle les verra. (…) Si Brianna s’interroge, si elle souhaite en savoir plus, si elle pose des questions à Claire… eh bien, j’aurai fait ma part de travail. Pour ce qui arrivera après mon départ, je ne peux m’en remettre qu’au hasard. Tu te souviens des délires de Claire lorsqu’elle est revenue. (…) Je ne sais pas si tu me croiras mais, la dernière fois que je suis venu te rendre visite, j’ai loué une voiture et me suis rendu sur cette maudite colline, Craigh na Dun.(…) Il ne s’est rien passé, bien sûr. Pourtant, j’ai cherché. J’ai recherché cet homme… Fraser. Je crois l’avoir trouvé, du moins j’ai trouvé un homme de ce nom. Tout ce que j’ai appris sur lui correspond à ce que Claire m’a raconté. (…) J’ai presque honte de te l’avouer, mais pendant que je me tenais sur cette colline, la main posée sur le menhir, j’ai prié de toutes mes forces qu’il s’ouvre et qu’il me mette face à face avec ce James Fraser. Que n’aurais-je donné pour le voir… et l’étrangler de mes mains ! Je ne l’ai jamais vu, je ne suis même pas sûr qu’il ait existé, mais je hais cet homme comme je n’ai jamais haï personne. Si ce que Claire a dit et ce que j’ai trouvé est vrai, alors je la lui ai reprise et je l’ai gardée auprès de moi toutes ces années grâce à un mensonge. Ce n’est peut-être qu’un mensonge par omission, mais c’est néanmoins un mensonge. On peut même parler de vengeance, je suppose. (…) Fraser… dois-je le maudire pour m’avoir volé ma femme ou le bénir pour m’avoir donné ma fille ? Chaque fois que je pense à lui, je m’en veux de prêter foi à une théorie aussi absurde. Pourtant… j’ai l’impression de le connaître, j’ai presque un souvenir de lui, comme si je l’avais déjà vu quelque part. C’est sans doute uniquement le produit de mon imagination et de ma jalousie. Après tout, je sais très bien à quoi ressemble ce salaud. Je vois son visage tous les jours sur ma fille ! C’est là l’aspect le plus étrange de cette affaire. Je ressens comme une obligation. Pas seulement vis-à-vis de Brianna. Elle a le droit de savoir… plus tard. Mais aussi vis-à-vis de lui. Je peux presque le sentir, parfois, regardant par-dessus mon épaule ou se tenant de l’autre côté de la pièce. Je n’y avais encore jamais pensé, mais peut-être le rencontrerai-je enfin dans l’au-delà, s’il y en a un. C’est drôle. Serons-nous amis, une fois que nous aurons laissé derrière nous nos péchés de chair ? Ou serons-nous prisonniers à jamais d’un enfer celtique, condamnés à nous haïr et nous entre-tuer pour l’éternité ? Selon l’angle où l’on se place, j’ai été bon avec Claire, ou cruel. (…) Tout ce que je peux dire, c’est que je regrette. Voici donc mon âme, mon cher Reg : haine, jalousie, mensonges, vol, infidélité… Je n’ai pas grand-chose à présenter pour me racheter, sinon l’amour. Je l’ai aimée, je les aime, mes femmes. Ce n’est peut-être pas le genre d’amour dont elles auraient besoin, mais c’est tout ce que j’ai à offrir. En tout cas, je ne mourrai pas dans le désespoir. Je compte sur toi pour une absolution conditionnelle. J’ai élevé Brianna dans la foi catholique. J’ose espérer qu’elle priera un peu pour moi.
— C’était signé « Frank », bien sûr.
— Bien sûr, répéta Jamie, songeur. Il était immobile, le visage indéchiffrable. Roger n’avait pas besoin de lire ses pensées, elles étaient sans doute semblables aux siennes. (…) Si Frank Randall n’avait pas fait placer la stèle dans le cimetière de SainteKilda, Claire aurait-elle appris la vérité ? Peut-être que oui, peut-être que non. Mais c’était la vue de cette tombe qui l’avait incitée à raconter à sa fille l’histoire de Jamie Fraser et à lancer Roger sur la piste de la découverte qui l’avait mené jusqu’ici. C’était la tombe qui avait renvoyé Claire dans les bras de son amant, qui avait rendu Brianna à son vrai père, (…) qui avait abouti à la naissance d’un petit garçon roux, assurant la continuité du sang de Jamie Fraser. Une façon pour Frank Randall de rembourser ses dettes avec intérêts ? (...)
Jamie Fraser sortit enfin de sa transe.
— L’Anglais ! dit-il doucement, comme une conjuration. Je ne sais pas si j’ai envie de le rencontrer un jour ou si j’en ai peur.
Roger attendit un moment puis s’éclaircit la gorge.
— Dois-je le dire à Claire ? demanda-t-il enfin.
— Tu en as déjà parlé à Brianna ?
— Pas encore, mais je vais le faire.
Il soutint le regard froid de Fraser, ajoutant :
— C’est ma femme.
— Pour le moment.
— Pour toujours, si elle le veut bien.
Fraser se tourna vers le campement des Cameron. On apercevait la silhouette de Claire se détachant devant le feu.
— Je lui ai promis la sincérité, répondit-il enfin. Oui, dis-lui.
(p795) Il déposa un baiser sur mon front et me saisit la main.
— C’est vrai, Sassenach. Et toi, tu as choisi ?
Il ouvrit les doigts et je discernai un éclat doré.
— C’était il y a longtemps, dis-je doucement.
— Longtemps, répéta-t-il. Je suis un homme jaloux, mais pas rancunier. Je t’ai prise à lui, ma Sassenach, mais je ne veux pas te le prendre. Tu la veux ?
Je lui tendis ma main en guise de réponse et il glissa l’alliance d’or à mon doigt. « De F. à C. pour la vie ». Il murmura quelque chose que je n’entendis pas.
— Qu’est-ce que tu dis ?
— J’ai dit : « Pars en paix. » Je ne m’adressais pas à toi, Sassenach.