Il y a, comme ça, des débats récurrents parmi les fans d’Outlander, et en particulier, ceux qui sont à la fois lecteurs des ouvrages de Diana Gabaldon et spectateurs de la série télévisée.
Parmi ces thèmes régulièrement abordés, vous trouverez en tête de liste « Qui est le fantôme d’Inverness ? », suivi de très près par « Frank est-il une pauvre victime ou un salopard ? »…
Autant le premier sujet offre l’opportunité aux fans de se réunir pacifiquement autour de théories plus invraisemblables les unes que les autres, - sachant d’ailleurs qu’il n’y aura aucune chance pour que Diana dévoile la vérité avant les dernières pages de son dernier tome - … autant les discussions à propos de Frank génèrent des tensions palpables, agressives, voire personnelles.
Ce qui est délicat, et qui rend justement les échanges complexes, c’est que le Frank des livres n’est pas le même que celui de la série. Diana l’a précisé à maintes reprises sur différents forums.
Matthew Robert, producteur de la série, le dit également : « Les livres sont notre matériau source, mais ils sont racontés du point de vue de Claire. Et si vous le dites simplement du point de vue de Claire, vous pouvez perdre les autres perspectives. Nous ne saurons pas ce qui se passera, et ce n’est pas propice à la télévision. »
Il est un fait qu’avant l'adaptation télévisée, il y avait peu de discussions à propos de Frank. Il y avait la "team" Jamie. La "team" Frank n’existait tout simplement pas.
Les lecteurs ne peuvent nier le drame vécu par Frank, pour autant, il semblerait que sa personnalité n’engendre pas la compassion.
Parmi les traits de son caractère, on trouve, dans le premier tome « Le chardon et le tartan » :
- Ses confidences troublantes sur sa probable incapacité d'aimer un enfant adopté.
- Le fait qu'il organise une seconde lune de miel dans les Highlands, non pas pour passer de longs moments avec sa femme retrouvée, mais pour se plonger des heures durant dans les recherches sur ses aïeuls.
- La discussion qui suit sa vision du fantôme est assez démonstrative de son caractère. Il demande à Claire si ce Highlander pourrait être un homme qu’elle a soigné durant la guerre, laissant entendre qu’elle aurait pu avoir une aventure et qu’il est disposé à le comprendre.
C’est assez dérangeant comme posture, car derrière cette soi-disant complaisance se cache un esprit froid, suspicieux et dénué de passion.
De plus, j’ai une théorie - toute personnelle je l’admets - : "on accuse les autres de ce qu’on est capable de faire soi-même". Je me souviens m’être dit lors du premier visionnage de cet épisode que si Frank était si prompt à excuser sa femme d’une aventure extra-conjugale, c’était probablement pour qu’elle puisse absoudre les siennes… Bref, passons, ce n’est pas tout à fait le sujet de ce billet (quoi que…).
Assez vite nous quittons ce prof d’histoire pas vraiment détestable mais plutôt conventionnel pour nous retrouver en présence de Jamie, homme d’honneur, passionné, courageux et plein d’attention pour son clan et pour Claire, dès lors qu’elle apparaît dans sa vie. Un tempérament à l’opposé de Frank, homme rationnel, dénué de tout romantisme. Comment ne pas être immédiatement tenté de faire une comparaison ? D’autant que, dans les livres toujours, lorsque Claire traverse les pierres, la réalité de Frank n’existe plus, son drame personnel nous échappe.
Diana Gabaldon construit avec talent la nouvelle existence de Claire. Cette dernière, malmenée par un quotidien compliqué se questionne, s’accroche à des souvenirs, à des rêves, à des projets qui s’éloignent de plus en plus ! Tout nous apparaît de son point de vue, c’est l’une des belles trouvailles de sa saga. Mais cela a pour effet de faire disparaître Frank dès lors que nous sommes transportés avec Claire dans le 18e siècle. Nous la voyons douter, nous l’entendons réfléchir, nous regardons, avec elle, ces deux alliances côte à côte qui lui posent un problème éthique. Mais nous avons déjà la certitude que Jamie l’emportera. Déjà, pour nous, Frank n'a plus d'importance.
Ron Moore explique que les scénaristes ne savaient pas comment articuler l’histoire à la suite du mariage de Claire et Jamie. C’est lors d’une de leurs tables rondes que l’un d’eux s’est demandé ce que Frank était en train de faire au même moment.
« C’était une idée originale, dit Moore, parce que ce n’est pas du tout dans le livre… C’est devenu vraiment intéressant quand nous avons commencé à parler du contrepoint dans leurs expériences. »
Alors que rien, dans les écrits de Diana, ne nous aidait à compatir au sort de Frank, les scénaristes de l’épisode 108 « D’un monde à l’autre », entrecroisent les scènes de Claire en pleine romance avec l'enfer vécu par Frank, le cœur brisé, bouleversé, perdu.
Nous pouvons alors concrètement constater son désarroi, sa confrontation lunaire avec les inspecteurs de police qui se moquent de lui, à tel point qu’il finit par retourner à Craigh na Dun afin d’appeler Claire à travers les pierres comme Mme Graham le lui a suggéré, lui, l’historien terre à terre et pragmatique… parce qu’il est désespéré.
À ce moment-là, non seulement nous avons de la compassion pour lui, mais nous comprenons mieux pourquoi Claire tient tant à le rejoindre.
Sans être l’égal de Jamie (mais qui peut l’être bon sang !! ) Il est malgré tout digne d’être aimé.
Survient cependant cette scène surprenante dans la ruelle où Franck se déchaîne brutalement contre un couple qui tente de l’escroquer en lui faisant croire qu’ils ont retrouvé la trace du Highlander pour lequel Frank offrait une récompense.
L’homme que nous observons alors, violent, colérique, prêt à tuer peut-être, ce n’est plus Frank, mais Black Jack Randall, cet aïeul qui justement détient Claire 202 ans auparavant et menace de la violer.
C’est un parallèle puissant qui apporte beaucoup à l’histoire et nous rappelle le drame premier. Quoi que vive Claire dans son siècle, prisonnière de BJR, Frank est enfermé dans son propre enfer.
Tobias Menzies (qui joue Frank et BJR) dit à propos de cette scène :
«Je pense que cela donne une dimension vraiment intéressante à Frank comme quelque chose que nous n’avons pas vu dans l’histoire à ce jour. Il a été relativement contenu, et je pense que c’était une décision vraiment intéressante et bonne parce qu’elle semble fidèle à ce que ce serait. Je n’ai jamais perdu personne ni vu personne disparaître, mais je peux croire à l’impuissance que cela doit générer chez quelqu’un, et surtout quelqu’un comme Frank – qui est un homme du monde ; c’est un maître-espion, et j’imagine qu’il est habitué à être capable de régler ces choses – [quand il réalise] qu’il est complètement impuissant. Je pense que vous voyez tout cela condensé dans ce moment d’attaque ».
Puis, comme c’est le cas dans les livres, la série ne s’inquiète plus de Frank. Nous nous concentrons sur Claire, son nouvel amour, et les nombreux dangers que représente la vie au 18e siècle. Ceux qui comptent dorénavant, ce sont les Fraser, les McKenzie, et le terrible Capitaine des dragons, Jack Randall.
Pourtant, en ouverture du tome 2 de la deuxième saison, sans que nous soyons préparés à cela, nous voici projetés en 1948. Claire est à nouveau de l’autre côté des pierres. On lui confirme que la bataille de Culloden a bien été gagnée par l’armée britannique alors elle hurle de douleur parce qu’elle a perdu tous ceux qu’elle aimait et que nous avons appris à connaître, notamment Jamie, l’homme de sa vie. C'était il y a plus de 200 ans ! Mais pour elle, c'était il y a quelques heures à peine.
Lorsque Frank la retrouve à l’hôpital, cela fait trois ans que sa femme a disparu. Son soulagement est vite confronté au traumatisme de Claire. Triste, dure, presque absente, elle lui raconte une histoire qu’il ne peut pas croire, qu’il ne veut pas croire !! Et qui, pourtant, fait écho aux propos de Madame Graham. De plus, les vêtements qu’elle porte sont incontestablement authentiques. Mais il s’entête, s’enferme dans le déni, reste braqué sur ce qu’il peut gérer, sur ce qui va dans le sens qui lui convient et ce que son esprit rationnel est apte à concevoir.
À nouveau, nous voilà confrontés à cette dualité qui définit Frank Randall.
Il écoute autant que possible et tente de la croire, mais en vérité, il semble vouloir en finir le plus vite possible. "Vraiment, tout ce qui compte, c’est que tu sois de retour", lui dit-il. Comme si cela pouvait suffire à tourner la page. Comme si, ce qui était important, c’était ce qu’il était capable d’entendre, et non ce qu’elle avait à dire.
Il lui confie le "vide total" ressenti lors de sa disparition sans prendre garde à l'abysse dans lequel elle-même est plongée.
"Je savais que tu n’avais pas choisi de m'abandonner, que quelque chose t’avait enlevée à moi". Il lui dit même qu’il peut comprendre ses sentiments pour Jamie et le fait qu'elle ai le coeur brisé, un peu comme il l’avait fait lors du premier épisode après avoir aperçu le fantôme. Ne pas tenir compte de ce qu'elle a vécu lui donne l'occasion de ne pas être obligé de la croire.
Alors Claire lui parle de l’enfant qu’elle porte.
Bien que se sachant stérile, sa première réaction est le pur bonheur, c’est dire s’il est complètement déconnecté de la réalité, à quel point il ne tient pas compte de ce que Claire a vécu véritablement !
Cette scène m’a terriblement dérangée, et j’avoue que, personnellement, c’est à partir de là que je me suis "détachée" de Frank.
Ce qu’il fait passer pour de la compréhension et de la générosité, ce n’est qu’un verni destiné à garder le cap, maintenir Claire auprès de lui et, surtout, accéder à une paternité qu'il pensait impossible.
Sur ce sujet, j’ai du mal à rejoindre entièrement les propos de Matthew Roberts qui déclare :
« Ceci fait de lui un « mec solide. Si vous élevez Frank, cela fait de Jamie un gars encore meilleur. Parce que si vous avez un gars solide, mais que votre amour est toujours si puissant pour cet autre gars que vous ne pouvez toujours pas donner votre cœur au gars solide, alors c’est le dilemme. C’est le triangle. Si c’est juste Frank à l’extérieur qui regarde à l’intérieur, il n’y a pas de triangle. »
Oui, je pouvais penser cela avant, à l’époque où il tentait de retrouver Claire, lorsque, malgré son incroyance, il criait à travers les pierres de Craigh Na Dun pour appeler sa femme.
Mais lors de ce premier épisode de la seconde saison (flash-back à l’envers, étrange articulation scénaristique !! mais bien trouvée) et ensuite, dans la saison trois, je perçois chez Frank plus d'égoïsme et de manipulation qu'une véritable posture altruiste.
Il aime Claire, bien sûr, cela ne fait aucun doute. mais il en aime qu'une partie, celle qui lui convient. Et c'est pour ça qu'il va vérouiller ce qu'elle vient de traverser, l'emputant, par la même occasion, de ce qui a été le plus grand bonheur de sa vie.
Dans le livre 3, « le voyage », bien qu'impressionné par la détermination de Claire, Frank est mécontent qu'elle passe tout son temps à l'école de médecine et soit absente de la maison, notamment lorsque Brianna a été blessée à cause d'une baby-sitter négligente. Il fait également preuve de racisme en insultant le collègue et ami de Claire, Joe Abernathy. Le voilà à nouveau difficile à aimer !
La série quant à elle, préfère axer son récit sur les efforts du couple pour élever Brianna et pour tenter de sauver un mariage habité par le fantôme de Jamie.
Compte tenu de la distance émotionnelle de Claire, Frank devient la figure tragique de l’histoire, l’homme qui aime une femme, même quand elle ne se laisse pas aimer en retour.
Encore une fois, on joue sur cette dualité et il faudrait être sans cœur (ou avoir une histoire personnelle très forte) pour n’éprouver aucune compassion pour Frank.
Lors des innombrables discussions sur les réseaux sociaux, beaucoup de femmes ont réagi vivement en faisant le parallèle avec ce qu’elles-mêmes étaient en train de vivre ou avaient vécu.
C’est une injustice de plus pour Frank, nous devons la lui reconnaître. Jamie bénéficie d’une posture intouchable. Personne ne peut prétendre avoir connu la vie auprès d’un Highlander du 18e siècle ! Tandis que Frank endosse les traits caractéristiques d’un homme du 20e siècle, pire même, d’un temps où le féminisme n’avait pas encore égratigné le machisme institutionnel et dont beaucoup de femmes souffrent encore aujourd'hui.
Lorsque Claire et Millie Nelson discutent près de la cheminée, elles constatent l’une et l’autre que Frank est quelqu'un de plutôt ouvert d’esprit. Ce qui est probablement vrai pour l’époque. Et pourtant, nous venons de passer 3 années avec un Écossais du 18e siècle tellement plus respectueux ! Quel homme pourrait tenir la comparaison ?
En plus de souffrir de cette comparaison, Frank pâtit du peu d’informations que nous avons à son sujet et c’est la raison pour laquelle, entre autres, Diana Gabaldon prend si souvent sa défense auprès de ses lecteurs et qu’elle a annoncé dernièrement lui consacrer un ouvrage très prochainement : « Ce que Frank savait ».
Car oui ! Que savait-il finalement ? Car cela pourrait tout changer !
Dans le tome 4 de la saga littéraire, "les tambours de l’automne’, nous apprenons que Frank avait érigé une fausse pierre tombale pour Jamie avec les mots "Époux bien-aimé de Claire", alors qu'il avait la certitude que Jamie avait survécu à la bataille de Culloden. Le but était de pousser Claire à dire la vérité à Brianna sur sa paternité (ce que Claire a fait dans "le Talisman"), pourquoi cette manipulation ? Est-elle bienveillante ? Ou était-ce, à l’inverse, un stratagème afin de diviser la mère et la fille ?
Pourtant, nous comprenons petit à petit qu’il a enseigné à Brianna la survie en pleine nature et à tirer au fusil comme personne… Comme s’il savait qu'à son tour, elle allait traverser les pierres.
Oui, Frank savait. C’est indéniable. Alors, pourquoi a-t-il porté ce secret jusqu’à la fin ? Pourquoi n’a-t-il pas partagé ce savoir avec Claire ? N’aurait-ce pas été le meilleur moyen de renouer avec elle ? De reconstruire leur couple, leur famille ?
Il est un fait certain, c’est qu’il ne saurait être question de caricaturer le personnage de Frank. Ce n’est pas un salaud, ce n’est pas un lâche, et quoi qu’il en soit, c’est un père merveilleux. Quelles qu’aient été ses raisons qui l’ont poussé à rester auprès de Claire durant toutes ces années, il l’a fait. C’est donc un homme d’honneur, à sa manière, et cela malgré ses blessures et ses déceptions.
Est-ce que cela suffit pour que nous l’aimions ? À chacun sa réponse bien sûr.
Mais cela ne suffit sûrement pas à le mettre en concurrence avec Jamie… et c’est peut-être là le pire drame de sa vie.