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source : l'avant-propos du livre Lord John et la marque des démons, édité chez Libre Expression

 

Lord John Grey est en grande partie un personnage accidentel, et ce, depuis la nuit où ce jeune imprudent s’est mis en tête de tuer un jacobite notoire au col de Carryarrick. Son association avec Claire et Jamie Fraser (ainsi qu’avec moi) date de cet épisode du Talisman. Bien qu’il joue un rôle petit mais important dans les volumes suivants de la série initiée par Le Chardon et le Tartan, je n’avais pas vraiment l’intention d’en faire le héros d’un roman à part. (D’un autre côté, je n’avais pas prévu de montrer Le Chardon et le Tartan à qui que ce soit et voilà où j’en suis aujourd’hui. Comme quoi, tout peut arriver.)


Lord John s’est affranchi de la saga du Chardon lorsque l’éditeur et anthologiste britannique Maxim Jakubowski m’a proposé de rédiger une nouvelle pour une anthologie de récits policiers historiques assemblée en hommage à la romancière Ellis Peters, qui venait de nous quitter. Je n’en avais encore jamais écrit, si l’on fait exception de quelques rédactions guère brillantes pour mon cours d’anglais au lycée. D’un autre côté, j’ai toujours aimé les enquêtes du frère Cadfael, d’Ellis Peters, et j’ai pensé qu’écrire un texte court serait pour moi un défi technique. Je me suis donc dit : pourquoi pas ?


L'histoire devait se dérouler au XVIIIe siècle car c’était la seule époque que je connaissais bien et je n’avais pas le temps de faire des recherches approfondies sur une autre période rien que pour une nouvelle. En outre, cette dernière ne pouvait faire intervenir les principaux personnages du Chardon car, tout comme un roman, une bonne nouvelle doit présenter un puissant enjeu moral. Il m’aurait été difficile de faire vivre aux Fraser un événement majeur qui n’ait pas d’incidence sur les futurs volets de la saga. Comme je ne conçois pas les intrigues à l’avance, il m’a paru plus simple d’éviter le problème en me concentrant plutôt sur lord John. C’est un personnage très intéressant; il m’est facile de m’identifier à lui ; il n’apparaît qu’épisodiquement dans les romans du Chardon ; il n’y a aucune raison qu’il ne vive pas d’aventures passionnantes hors champ, dans son propre monde.


C’est ainsi que sont apparus sir Francis Dashwood et son club Hellfire de sinistre réputation, ainsi que le meurtre du rouquin, cadre de la première prestation en solo de lord John dans une nouvelle, Hellfire, publiée en 1998 dans l’anthologie Past Poisons, compilée par Maxim Jakubowski et éditée chez Headline.


Chaque nouvelle de ce recueil devait se limiter à dix mille mots. Hellfire dépassait les douze mille mais, heureusement, personne ne s’en est plaint. Je trouvais néanmoins la conclusion un peu précipitée et, plus tard, je l’ai remaniée, la développant légèrement. La fin est la même ici, mais présentée, je l’espère, avec un peu plus de finesse et d’élégance.


Depuis sa publication dans Past Poisons, Hellfire a connu une histoire intéressante. L'anthologie a été épuisée au bout de deux ans (elle a depuis été rééditée). C’est alors que les lecteurs américains en ont entendu parler et ont commencé à exprimer un intérêt pour l’aventure en solitaire de lord John. Malheureusement, on ne peut pas faire grand-chose avec une nouvelle de ce format. Elle est trop longue pour les magazines et trop courte pour en faire un livre.

L'histoire des histoires de Lord John

Racontée par Diana Gabaldon 

Vers la même époque, des relations rencontrées sur le Net ont décidé de lancer une maison d’édition virtuelle et m’ont demandé si je n’avais pas « un carton de vieilles nouvelles sous mon lit » (Pourquoi présume-t-on toujours que tous les écrivains commencent par écrire des nouvelles? Quand bien même ce serait le cas, pourquoi accepteraient-ils de dévoiler au reste du monde ces exercices de jeunesse?)
Et pourquoi pas? me suis-je de nouveau dit. J’ai pensé que c’était là une bonne occasion d’explorer le nouveau monde de l’édition électronique. Parallèlement, la branche électronique de ma maison d’édition allemande a également décidé de proposer en ligne une version allemande de Hellfire, et c’est ainsi que lord John s’est aventuré dans le cyberespace international.


Ce fut une expérience intéressante et plutôt réussie en terme d’édition électronique (en général, disons qu’un « succès » dans l’édition électronique ne signifie pas qu’on puisse arrêter son travail principal). Elle a pris fin lorsque mes amis ont décidé de mettre leurs titres en vente sur Amazon.com, une décision très raisonnable. Malheureusement, du fait de la ristourne exigée des éditeurs par Amazon.com, pour que l’opération soit rentable Hellfire devait être proposé à six dollars et cinquante cents. Je ne pouvais admettre de vendre à un tel prix une nouvelle de vingt-trois pages et nous nous sommes donc séparés cordialement.


Je me suis ensuite demandé ce que je pourrais bien faire de ma nouvelle. J’avais pris un grand plaisir à l’écrire. J’aime bien lord John et les complexités de sa vie privée, qui tendent à l’entraîner dans des « situations intéressantes ». Pourquoi ne pas lui offrir deux ou trois autres aventures? Ces récits courts pourraient ensuite être publiés sous forme de livre et tout le monde serait content (enfin, en tout cas, lord John et moi le serions).
Hellfire, rebaptisé Lord John and the Hellfire Club, a ensuite été publié en appendice de la version poche du premier roman de lord John, Lord John and the Private Matter (publié en français sous le titre Une affaire privée).Et le revoici maintenant, accompagné de deux autres nouvelles, Lord John et le succube, initialement écrite pour une autre anthologie, et Lord John et le soldat hanté, rédigée spécifiquement pour ce recueil.


D’autres accidents sont en effet survenus (ce qui est, je le crains, assez fréquent avec lord John). J’ai rédigé Une affaire privée en croyant écrire ma seconde nouvelle avec lord John. Mes agents littéraires m’ont informée qu’en réalité j’avais accidentellement écrit un roman. (Comment l’aurais-je deviné ? Pour moi, un roman commence vraiment à partir de quatre-vingt-cinq mille mots.) C’était une bonne nouvelle pour mes différents éditeurs, ravis de découvrir que j’étais capable d’écrire un roman d’une taille « normale », et qui m’ont rapidement commandé deux autres romans avec lord John. Toutefois, cela laissait toujours Hellfire seul avec ses quatorze mille mots.


Mais les accidents ont continué à se produire. J’ai été invitée à écrire une nouvelle pour une anthologie fantastique et hop ! Lord John et le succube a vu le jour, avec environ trente-trois mille mots. Il ne manquait plus qu’une autre nouvelle de plus ou moins la même longueur et nous atteindrions une masse critique.


À ce stade, la situation se compliqua légèrement. Par pur hasard, la rédaction des nouvelles de lord John a alterné avec celle du roman, à savoir, dans l’ordre : Hellfire, Une affaire privée, Le succube. En outre, je m’étais embarquée dans un second roman, La Confrérie de l’épée. Tout cela était fort bien, mais mon éditeur allemand, pressé de sortir le recueil, m’a demandé de me bouger un peu et de finir la troisième nouvelle avant d’achever le second roman. Étant d’une nature obligeante, j’ai accepté. Permettez-moi de préciser qu’écrire une nouvelle qui suit un roman qui n’a pas encore été écrit n’est pas la chose la plus aisée au monde. Mais si j’avais voulu une vie simple, sans doute aurais-je choisi le métier de nettoyeur de piscines.


Ce recueil devait initialement s’intituler Lord John and a Whiff of Brimstone (« Lord John et une bouffée de soufre ») en raison de l’élément surnaturel commun aux trois histoires. Toutefois, l’éditeur allemand m’a expliqué qu’il ne pouvait utiliser ce titre car mon précédent roman tir la série du Chardon s’appelait A Breath of Snow and Ashes (« Un souffle de neige et de cendres », La Neige et la Cendre dans l’édition française), Ein Hauch von Schnee und Asche en allemand. Or, comme «souffle» et «bouffée» se traduisent de la même manière en allemand et qu’il avait déjà un titre commençant par Ein Hauch..., il trouvait que c’était amplement suffisant. Il m’a proposé à la place Lord John and the Hand of Devils, que j’ai trouvé formidable et ai immédiatement adopté pour la version originale. J’espère qu’il vous plaira !


Amicalement, Diana Gabaldon