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Faute de pouvoir nous rendre au 18e siècle, nous en avons discuté avec Véronique Borboën, professeure de l’École supérieure de théâtre de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et titulaire d’un doctorat en anthropologie du costume.

 

La mode française brillait en Occident 


La quatrième saison de la série historico-romanesque est campée en Caroline du Nord en 1766. Toutefois, Jamie et Claire arrivent d’Écosse. Peut-on voir un mélange de vêtements européens et américains? Les costumes étaient-ils similaires partout dans le monde occidental? 

 

En Occident, la mode était française depuis le milieu du 17e siècle, donc depuis Louis XIV (pour des raisons de puissance militaire et économique au début, puis culturelles par la suite). Tout venait donc de Paris. Les modèles voyageaient par des gravures et aussi par l’envoi régulier de poupées habillées selon la dernière mode. C’était la réalité vestimentaire de l’élite, mais aussi de la grande et petite bourgeoisie. Les pauvres suivaient aussi la mode, mais avec un petit décalage, s’habillaient dans les friperies en retapant les vêtements de la saison précédente ou fabriquaient leur linge en regardant soigneusement les vêtements des gens plus nantis pour les copier. En revanche, la qualité de leurs textiles était différente.

 

Au 18e siècle, en Angleterre, on copiait la mode française en y apportant de petites nuances : les vêtements étaient moins sophistiqués en général, moins audacieux; on était plus puritains qu'en France… les décolletés des femmes étaient moins profonds ou étaient recouverts d’une palatine de dentelle.

On voit bien la dentelle portée dans le décolleté de Claire sur la photo pour cacher sa poitrine et les fichus brodés portés par les petites-bourgeoises habillées en bleu.

 

Les Anglaises portaient aussi des bonnets que l’élite française ne portait plus depuis longtemps. Ainsi, en France, les mauvaises langues chez les aristocrates disaient : "Les Anglaises s’habillent comme nos domestiques…"

Analyse des costumes

Par  Amélie Grenier pour Radio Canada

Billet original
 

 

"En matière de style, les Anglaises, en général, n’avaient pas l’élégance des Françaises. Tout est un peu plus carré, et c’est très visible dans les tableaux." 

 Véronique Borboën 

 


Cependant, il faut faire une petite nuance historique : le peuple écossais détestait les Britanniques, qui ont rattaché l'Écosse à l’Angleterre vers 1603. Avant ça, l'Écosse était toujours en guerre avec l'Angleterre, et donc, l'Écosse était soutenue par la France qui lui envoyait des renforts. Et pour se démarquer du peuple anglais, le peuple écossais valorisait la culture française depuis la mère de Marie Stuart, qui était française. On donnait souvent des prénoms français aux enfants, par exemple. Et dans les portraits des gens, on peut voir une élégance plus proche de la France.

 

Dans les images de la série, en revanche, on ne distingue pas cette nuance entre les personnages écossais et anglais, mais on voit bien que les coupes et les choix de tissus sont assez anglais. L’utilisation des carreaux, dans certains tissus, ne vient pas d’Écosse. Sur les photos, on voit des imprimés dans certaines robes de gens modestes. À l’époque, ils n’auraient probablement pas eu les moyens de se les offrir, ils venaient de trop loin. En Amérique, les gens suivaient la mode anglaise de toutes les façons.

La grande utilité des sous-vêtements


Comme les amoureux se dévêtissent souvent dans Outlander, nous avons l’impression qu’il y a plusieurs épaisseurs de vêtements. Parlez-nous des sous-vêtements de l’époque.

Les femmes ne portaient jamais d’autres sous-vêtements que la chemise de dessous (longueur aux genoux). Jamais de culottes avant la deuxième partie du 19e siècle, et encore, ce n’était pas pour toutes les femmes avant les années 1920. La principale raison, c’est qu’avec la longueur des robes, ce n’était pas nécessaire, et aussi, en ne portant pas de culottes, les femmes pouvaient faire leurs besoins sans se déshabiller, y compris faire l’amour. Seules les actrices et les prostituées en portaient pour aguicher les hommes, ce qui ne donnait pas envie aux femmes de s’habiller comme des « femmes de mauvaise vie ».

Pour les hommes, il existait des caleçons, de style short boxer long, mais la plupart nouaient le pan de leur longue chemise entre les jambes pour rattraper les gouttes…

 

Les matériaux naturels : la laine, le lin et la soie 


Avec les robes en lainage et les nombreuses couches de vêtements, avaient-ils chaud? 

Ils n’avaient pas aussi chaud qu’on pourrait le croire, les vêtements étaient tous en fibres naturelles. Rien n'est plus léger et confortable que la soie. Et la laine, ce n’est pas chaud, mais ça protège bien contre le vent ou le froid, et même contre le chaud (dans le Sahara, les Touaregs ont des vêtements en laine par 40 °Celsius). Et tous les sous-vêtements au 18e siècle étaient en lin, une fibre particulièrement rafraîchissante. Sous la chemise en lin, les femmes portaient un jupon, puis un corset qui affinait la taille. Même les paysannes portaient des variantes de corsets lacés serrés. Les différents jupons servaient à donner du volume aux jupes, ce qui affinait visuellement la taille, le nec plus ultra de la sensualité de l’époque.

 

"Nous savons qu’en Nouvelle-France, lors de canicules, les femmes et les hommes travaillaient dans les champs en simple chemise, ce qui scandalisait les voyageurs européens." 

 Véronique Borboën 


Quantité rime avec qualité et moyens financiers 


À quoi ressemblait réellement la garde-robe de l’époque? Combien de morceaux les gens avaient-ils (robe, pantalon, jupe)? 

 

Le nombre de vêtements dans une garde-robe variait beaucoup en fonction de la classe sociale. Leurs vêtements étant tissés à la main (non pas en usine) et duraient 20 fois plus longtemps que les nôtres; le filage et le tissage à la main les rendaient plus solides.

Dans les classes très aisées, les femmes pouvaient changer de robe plusieurs fois par jour. Les bourgeoises avaient quelques jupes, deux casaquins, deux corsages, un corset et plusieurs pièces d’estomac à mettre sur le corset pour le varier.

 

"À la cour royale, les femmes ne pouvaient jamais paraître avec la même robe deux fois". 

 Véronique Borboën 

En revanche, les sous-vêtements étaient très nombreux, puisqu’on ne faisait la lessive que deux fois par année. Les pauvres lavaient leur unique chemise à la rivière et devaient attendre qu’elle sèche pour la porter. La dot d’une jeune fille consistait d’abord en une garde-robe de sous-vêtements en lin et de linge de maison. Chez les plus modestes ou les pauvres, une jupe devait durer presque une vie entière. On la relevait pour ne pas la salir. Quand un vêtement était en lambeau, on recoupait dedans pour habiller les enfants, même chez les bourgeois.

Les vêtements, et surtout les étoffes, étaient très chers et prenaient le tiers du budget d’une famille. On suivait néanmoins la mode en ajustant les volumes ou les manches chez la couturière.

 

"La dentelle valait autant que des bijoux. C’était un grand luxe, inaccessible pour la plupart. Les modestes se contentaient de broder en blanc leurs fichus". 

 Véronique Borboën 

 

Nez sensible s’abstenir 


Vous dites que les vêtements étaient lavés deux fois l’an, mais qu’en était-il de l’hygiène en général ? 

 

Elle était pauvre depuis le 16e siècle, date à laquelle on a cessé de se laver régulièrement pour cause de religion, et l’on pensait aussi que l’eau apportait des maladies. Les odeurs corporelles étaient très fortes, mais les gens n’étaient pas obligés de prendre le métro, entassés dans des wagons…

 

Passer à la caisse 

 

Combien pouvait coûter une robe comme celle que porte Claire ? 

 

Comme je l’ai déjà dit, les étoffes étaient chères, la main-d’œuvre, beaucoup moins. Un mètre carré de velours de soie coûtait le prix d’une Rolls Royce aujourd’hui. Le taffetas coûtait moins cher, mais quand même l’équivalent aujourd’hui de 1000 à 2000 $ le mètre. Il fallait de 15 à 18 mètres pour faire une grande robe, et 10 mètres pour une plus ordinaire. Le col en dentelle pouvait coûter l’équivalent de 10 000 $ aujourd’hui.

Sur cette photo, Claire porte une robe de soie rouge de qualité moyenne, et Jamie, un habit qui semble en lin, qui n’est donc pas si luxueux. Un motif en relief apparaît dans le lin du justaucorps, fait avec une méthode moderne d’embossage. À l’époque, il aurait été brodé ou sculpté dans du velours de soie, et donc plus cher. Les bottes en cuir des hommes étaient chères, contrairement aux longues guêtres sur les chaussures. Les hommes ne sortaient pas sans leur tricorne, leur chapeau de feutre à trois pointes.


Aujourd’hui, si je dessinais une robe en soie de cette époque pour le cinéma, elle coûterait environ 10 000 $ avec le textile et la main-d’œuvre (coupeur et couturières), sans compter mon cachet. La main-d’œuvre coûterait trois fois le prix des matériaux, contrairement à l’époque. Un habit complet pour un homme (culottes, justaucorps, gilet) s’élèverait, quant à lui, à environ 5000 ou 6000 $. (4600 ou 5 530 €)

L’élégance masculine qui passe par les petites décorations 


Le foulard blanc autour du cou de Jamie a-t-il une signification ou une fonction particulière? 

 

En fait, c’est l’ancêtre de notre cravate. Les chemises d’homme de l’époque avaient un col dressé qui était caché par un long pan de lin faisant plusieurs fois le tour du cou pour se rattacher devant. Il servait d’abord à l’armée dans le régiment des Croates (d’où l’origine du mot cravate), puis il est devenu un signe d’élégance indispensable partout en Occident. On pouvait se permettre de ne laver que la cravate pour qu’elle paraisse bien blanche, tandis que le reste de la chemise pouvait être pas mal sale. On pouvait se moucher ou s’essuyer la bouche avec quand on était à cheval. Certains, plus modestes, portaient la même cravate, mais en couleur, c’était moins salissant.